La grâce de la conversion

Lectures Bibliques : 2 Pierre 3, 8-14, Marc 1, 1-8, Esaïe 40, 1-5.9-11

 

Prédication

Chers frères et sœurs, lorsque l’évangéliste Marc fait précéder la prédication de Jean Baptiste au désert par les mots commencement de l’Evangile de Jésus-Christ (Mc 1, 1), il affirme que la prédication et le baptême de la conversion sont au commencement de l’Evangile de Jésus-Christ : c’est-à-dire que la conversion, prêchée par Jean Baptiste au désert, est la racine, l’origine de l’expérience chrétienne mais aussi le principe directeur du culte chrétien et bien sûr de notre Eglise qui se veut toujours prête à la Réforme (Ecclesia semper reformanda). Je vous rappelle d’ailleurs que la Réforme commence par ces mots de Luther qui ouvre les 95 thèses : « En disant : faites pénitence, notre Maître et Seigneur Jésus- Christ a voulu que la vie entière des fidèles fut une pénitence ». Et précisons que Luther entend ici pénitence dans le sens large de conversion et non dans celui restreint de la confession auprès du prêtre.

Comment pouvons-nous aujourd’hui entendre cet appel à la repentance, à la

conversion ? Comment nous saisir de cette prédication ? Posons d’abord les termes. Le mot grec traduit tantôt par pénitence, repentance, changement d’attitude, changement radical ou encore conversion se dit metanoia et désigne une transformation de l’intelligence, un bouleversement dans la manière de penser. Un autre terme, épistrophê, évoque la conversion comme retournement, un virage à 180 degrés. La conversion implique de se détourner de quelque chose pour s’orienter vers autre chose. C’est changer de route, changer d’avis, d’opinion, de vision du monde… Mais alors, comment l’appel à la conversion peut-il s’entendre comme un évangile, une bonne nouvelle plutôt qu’une condamnation ? Que suppose l’appel à la conversion ? Quel genre de parole posons-nous dans notre société quand nous appelons à la conversion ? C’est avec ces questions que je vous propose de cheminer aujourd’hui.

 

Constatons d’abord que l’appel à la conversion est devenu pour nous de plus en plus difficile à entendre et menace de devenir inaudible. Pourquoi ? Parce qu’elle a été et est encore, trop souvent, caricaturale et caricaturée. Quand on parle de conversion, on s’imagine tout un monde. Par exemple, la pastorale de la peur pratiquée du temps de Luther. Pour le comprendre, il n’y a qu’à nous pencher sur ce fameux Jean le Baptiste. Arrêtons-nous un

 

instant sur son aspect d’abord. Jean avait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins (Mc 1, 6). Il porte des vêtements choquants, qui le rapprochent de l’animal et l’éloigne des hommes. Il se nourrit d’ailleurs de sauterelles et non de pain cuit ou de plats cuisinés. Ces vêtements rappellent aussi ceux d’un autre prophète, Elie (cf. 2 Rois 1, 8), dont l’Ancien Testament nous dit qu’il avait massacré 400 prophètes de Baal à coups d’épée (cf. 2 Rois 18). Et où prêche-t-il ce Jean-Baptiste ? il baptisait dans le désert (Mc 1, 4) nous dit l’Ecriture, c’est-à-dire que Jean-Baptiste ne partage pas la vie des hommes de son temps mais qu’il se tient à l’écart de leur société, qu’il les fuit. Et que prêche-t-il concrètement ? il prêchait le baptême de repentance (de conversion) pour le pardon des péchés (Mc 1, 4). Jean Baptiste, loin de la société des hommes, dénonce le péché. Pire que cela, il oblige ceux qui viennent le voir à confesser publiquement leur péché (Mc 1, 5) ! Et il ne s’agissait pas d’une confession générale comme celle que nous avons dite ensemble ce matin, non, il s’agit bel et bien de confesser ses fautes très concrètement et devant tout le monde ! Comme si cela ne suffisait pas, les autres évangiles nous apprennent qu’il n’hésitait pas à traiter de « race de vipère » les pharisiens ou encore à menacer les hommes de « la colère divine à venir » (cf. Mt 3, 7).

Bref, Jean-Baptiste nous apparaît comme un prophète de malheur, un misanthrope, un pessimiste, un manichéen, partisan du tout ou rien, une sorte de fou de Dieu errant dans le désert s’égosillant contre la société des hommes, condamnant tout en bloc, voyant partout le péché et le mal. Et si c’est Jean-Baptiste qui le premier dans l’Evangile nous montre ce qu’est la conversion, on aurait tendance à penser que parler de conversion c’est re-convoquer le péché, la morale, le jugement, l’enfer ; que parler de conversion, c’est être fataliste sur l’état du monde et de l’homme ; et, du coup, on ne voit pas très bien comment la conversion pourrait être au commencement de l’Evangile de Jésus-Christ qui nous parle au contraire d’espérance.

 

Au bien sûr, il se pourrait bien que mon portrait de Jean-Baptiste soit trop rapide, trop caricatural justement… Parce qu’au fond, avec son attitude choquante, Jean-Baptiste semble quand même nous rappeler que quelque chose ne tourne pas rond dans notre monde… Mais pour l’instant, laissons Jean-Baptiste dans son désert, laissons-le crier tout seul, et cherchons une autre voix sur la conversion, une voix moins criarde, plus paisible. Plongeons-nous dans

 

l’épître de Pierre que nous avons lue (cf. 2 Pierre 3, 8-14). Faisons ce détour. Changeons de décor : avec Jean-Baptiste nous étions avant le ministère public de Jésus, avant la Croix. Avec l’épître de Pierre nous sommes après, bien après, la Résurrection, les premières communautés chrétiennes se forment, s’institutionnalisent et on se pose des questions de théologies.

 

La communauté à laquelle l’auteur écrit est traversée par un débat important : on avait annoncé le retour très prochain du Christ sur la terre et pourtant… rien ne se passe. Certains se moquent de l’idée, d’autres sont perplexes, d’autres encore se mettent à franchement douter de la foi chrétienne. Bref, il faut répondre à la question « Pourquoi le Christ n’est-il pas encore revenu ? » Et, s’il on lit attentivement toute l’épître, on comprend que derrière cette question se dresse l’idée d’un jugement des impies. En fait, la question, si l’on explicite le sous-entendu, serait plutôt « Pourquoi le Christ n’est-il pas revenu pour nous sauver (nous, les élus) et pour juger les impies ? »

Ecoutons la réponse de l’auteur : « Mais il est un point que vous ne devez pas oublier,

bien-aimés : c’est que, devant le Seigneur, un jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour » (2 P 3, 8) Autrement dit, le temps de Dieu n’est pas le nôtre, ce qui vous paraît long en fait ne l’est pas. Et l’auteur de poursuivre « le Seigneur ne retarde pas l’accomplissement de sa promesse, comme quelques-uns le pensent. Il use de patience envers- vous, il ne veut pas qu’aucun ne périsse, mais il veut que tous arrivent à la repentance/à la conversion. » (2 P 3, 9) Voilà qui peut nous intéresser : l’auteur saisit l’occasion de ce débat de théologie pour inviter à la conversion. Et surtout, alors même que tout le décor habituel est présent dans l’imaginaire de la communauté et de l’épître : le jugement, les péchés, l’enfer etc. Il ne parle pas, pour inviter à la conversion, de la colère de Dieu mais de sa patience et de sa volonté de ne pas faire périr les hommes. Appeler à la conversion c’est donc d’abord réaffirmer la patience de Dieu envers les hommes ainsi que sa volonté de les sauver. Pour l’auteur, c’est la bonté de Dieu, son amour et non sa colère, qui pousse l’homme à la conversion… (cf. aussi Romains 2, 4)

 

Mais alors, comment réconcilier l’image d’un Dieu patient et plein de bonté qui nous pousse à la conversion et le portrait de Jean Baptiste que je vous ai dressé tout à l’heure ?

 

Peut-être nous faut-il laisser une seconde chance à Jean-Baptiste et relire plus précisément l’évangile de ce jour.

Je vous ai brossé tout à l’heure l’image d’un prophète plein d’amertume envers le genre humain… et pourtant de quoi se nourrit-il ce prophète ? de sauterelles et de miel sauvage. Jean-Baptiste se nourrit pas d’amertume mais de miel, d’une nourriture douce et sucrée associée dans la Bible à la promesse de Dieu, à la bénédiction.

J’ai aussi affirmé tout à l’heure que Jean-Baptiste était presque obsédé par le péché… et pourtant que dit-il vraiment sur le péché ? il prêchait le baptême de repentance pour le pardon des péchés (Mc 1, 4). S’il dénonce effectivement le péché, Jean-Baptiste en parle pour proclamer le pardon possible de Dieu. Je vous ai dit tout à l’heure qu’il voyait tout en noir, qu’il était foncièrement pessimiste… Je m’étais trompé puisqu’en parlant de pardon, Jean- Baptiste refuse la fatalité, refuse de baisser les bras et offre l’espérance au cœur même de la misère humaine.

Dans ma caricature j’ai aussi prétendu qu’il fuyait la ville pour la sécheresse du désert… Mais à bien y regarder, que fait-il au désert ? Il baptisait dans le désert (Mc 1, 4) nous dit l’Evangile. Autrement dit, au cœur de l’étendue désertique, Jean-Baptiste plonge les hommes et les femmes dans l’eau. Jean-Baptiste fait symboliquement jaillir l’eau du baptême au beau milieu du désert rappelant ainsi que Dieu change le désert en étang et la terre aride en sources d’eaux comme le dit Esaïe, le prophète (Es 41, 18).

Et que dire de tous ces gens dont j’ai soutenu que Jean-Baptiste obligeait à se confesser publiquement ? Le texte montre que c’est librement que les habitants de la Judée sont venus vers Jean-Baptiste, que c’est librement qu’ils ont confessé ouvertement leurs péchés. Mais alors, que nous disent-ils ? Eh bien, ils détruisent aux yeux de tous l’image de l’homme fort, impeccable, irréprochable, sans failles… Ces hommes et ces femmes en confessant ouvertement leurs péchés ont montré à tous que l’homme est fragile, faillible, pécheur mais que, malgré cela, par la grâce et le pardon de Dieu, ce même homme pécheur peut se tenir debout, peut changer, peut se libérer du joug qui l’accable. Et, cela dit en passant, ces hommes et ces femmes nous montrent que prêcher la conversion n’est pas dénoncer le péché des autres mais avoir le courage de nous montrer nous-mêmes fragiles, de reconnaître nos propres tords tout en affirmant que le pardon de Dieu est possible.

 

Chers frères et sœurs, l’Ecriture nous montre ici qu’il ne faut plus penser à la repentance comme un refrain moraliste désagréable mais plutôt comme une grâce. On pourrait parler d’une grâce de la conversion. En fait, l’appel à la conversion qui résonne dans toute l’Ecriture et jusque dans nos consciences n’est pas l’émanation d’une vision fataliste et défaitiste du monde, pas plus qu’elle n’est le fer de lance d’une morale culpabilisatrice ou réactionnaire. Non, l’appel à la conversion que nous adresse l’Ecriture sainte procède d’une conviction profonde : alors même que le pire et le meilleur se côtoient en l’homme et que le pire paraît triompher si souvent, alors même que le mal et l’injustice semblent parfois prendre le pas dans notre monde, alors même que nous nous sentons coincés dans nos caractères et nos habitudes, un autre chemin est possible. L’appel à la conversion ne peut provenir que d’un cœur gonflé d’espérance, ce cri ne peut qu’être nourri par un amour patient et sans faille pour les hommes, en fait l’appel à la conversion ne peut venir que du cœur d’un Dieu qui nous aime envers et contre tout. Pourquoi cela ? Parce que la conversion est un retournement : c’est le passage d’un être recroquevillé sur soi, arc-bouté sur lui-même, à un être qui lève les yeux vers le ciel et tend une main ouverte vers son prochain. Ce passage ne résulte pas de la peur d’une colère à venir mais de la découverte d’un amour tout-puissant qui renverse nos résistances, nous emporte et nous porte dans une vie renouvelée et libre.

Appeler à la conversion dans notre monde, c’est en fait prêcher l’Evangile parce que c’est dire au milieu d’un monde abîmé et secoué que tout n’est pas dit, que le meilleur est encore possible, que l’avenir peut s’ouvrir. Appeler à la conversion c’est espérer en Dieu et c’est espérer en l’homme.

Que le Dieu vivant et vrai nous accorde, à nous et à son Eglise, la grâce de la conversion.

 

Amen.

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