Dans cette courte parabole, Jésus annonce d’emblée ceux à qui il s’adresse, dans des termes qui annoncent déjà sa conclusion : « certains qui étaient persuadés d’être des justes et qui méprisaient les autres ». Jésus oppose deux personnages aux professions diamétralement opposées dans l’échelle sociale de l’époque : un pharisien et un péager, collecteur d’impôts :
Les pharisiens étaient une des trois sectes juives du temps de Jésus avec les Saducéens et les Esséniens. Ils vivaient en confréries et se faisaient les ardents et intransigeants défenseurs de la loi ; ils se considéraient comme l’élite parmi les croyants d’Israël ; ils avaient été partie prenante de la révolte des Macchabées, avaient résisté aux sirènes de l’hellénisme et avaient une profonde espérance messianique. Certains grands personnages du Nouveau testament étaient des pharisiens comme Nicodème et Saül de Tarse qui deviendra sur le chemin de Damas l’apôtre Paul. Ils associaient à la loi mosaïque écrite des traditions orales issues de l’adaptation aux circonstances qu’ils considéraient aussi importantes que la loi écrite ; ce qui les différenciait des saducéens, gardiens du Temple qui ne considéraient que la Torah. Les saducéens, qui livrèrent Jésus à Ponce-Pilate et les esséniens, de la communauté de Qumran furent exterminés par les légions romaines de Titus en 70 de notre ère, et ce furent les pharisiens qui furent à l’origine du judaïsme moderne.
Les péagers ou collecteurs d’impôts étaient des réprouvés, tout comme les samaritains, juifs schismatiques, jugés par les juifs comme des pêcheurs et – dirions-nous aujourd’hui – des collaborateurs, car ils percevaient les impôts et les taxes des occupants romains ou des princes séleucides. Il faut noter que Jésus n’hésita jamais à fréquenter les péagers, qui sont souvent mentionnés dans les Evangiles, notamment dans celui selon Luc : Luc, dans le chapitre 15 de son Evangile rapporte notamment :
« Tous les collecteurs de taxes et les pêcheurs s’approchèrent de lui [Jésus] pour l’entendre : les pharisiens et les scribes maugréaient : il accueille des pêcheurs et il mange avec eux. »
Un des premiers disciples de Jésus, Matthieu l’évangéliste était collecteur d’impôts et Zacchée, qui reçut avec joie Jésus dans sa maison, était le chef des collecteurs d’impôts de Jéricho.
Ces deux hommes que tout oppose montent ensemble au Temple pour prier : les deux seuls points communs entre ces deux hommes sont le lieu, le Temple, et l’intention, prier le Seigneur Dieu. Monter au Temple était le verbe que les juifs utilisaient pour signifier qu’ils allaient à Jérusalem ou au Temple. Le Temple était un lieu public où l’on allait prier mais aussi se montrer et même régler des affaires. Le mot grec pour prier qu’emploie Luc a un sens plus étendu que notre verbe prier : il implique un acte d’adoration, mais aussi la vie religieuse toute entière et l’identité humaine face à Dieu. Mais la nature de la prière de nos deux protagonistes est bien différente :
La prière du pharisien s’adresse bien plus à lui-même et à ses mérites qu’au Seigneur : il fait l’éloge de ses mérites et de ses actions : « O Dieu, JE te rends grâce de ce que JE ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou encore comme ce collecteur de taxes ». Il fait l’éloge de ses qualités, de ses hautes différences par rapport aux autres hommes pourris de vices qu’il invective et qu’il méprise comme le collecteur de taxes. Sa prière est le témoin de l’orgueil de celui qui se sent appartenir à une caste supérieure, ce dont il remercie Dieu ! Puis il fait l’éloge de ses œuvres, supérieures à celles exigées par la Loi mosaïque : « Je jeune deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus ». On est frappé par l’usage répété du pronom JE, de l’égocentrisme du pharisien et de son manque d’humanité mais aussi de son manque d’humilité devant la divinité. Augustin d’Hippone jugera très sévèrement la Superbia du pharisien, et les théologiens réformés ont utilisé ce texte pour rejeter la justification par les œuvres.
La prière de ce réprouvé, pêcheur méprisé, qu’est le péager est toute différente : il se tient à distance, sans doute à la fois de l’espace le plus sacré du Temple et du pharisien, et il se frappe la poitrine en signe de repentance et garde les yeux baissés, ne les élevant pas vers le ciel et la divinité. Sa prière commence par la même invocation que celle du pharisien : « O Dieu », mais la suite est très différente, il ne dit pas je, mais adresse directement au Seigneur une prière de repentance : « Prends en pitié le pêcheur que je suis ». Il n’a pas peur d’avoir honte et demande au Seigneur-Dieu la fin de la vindicte qui le frappe et de l’accueillir à nouveau
Et Jésus de conclure : « Eh bien, je vous le dis, c’est celui-ci qui redescendit chez lui justifié, plutôt que celui-là ». Le terme justifié fait appel au verset introductif de ce passage « certains qui étaient persuadés d’être des justes ». Le terme justifier signifie le passage de la sphère religieuse à la sphère juridique. Une transformation qui s’opère chez le péager mais pas chez le pharisien. Le péager n’est plus reprouvé, mais justifié, transformé, acquitté en quelque sorte. La deuxième partie de ce dernier verset replace la parabole dans le domaine de la morale et de la religion et lui donne une valeur générale et universelle : « Car quiconque s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé ». Cette maxime, répétée plusieurs fois dans l’Evangile de Luc, replace les relations de l’homme et de Dieu : si l’homme se repent et s’adresse au Seigneur, Dieu l’élève, et si l’homme orgueilleux le néglige, Dieu l’abaissera.
Ce texte dépasse de loin le pharisien et le péager : il s’adresse à chacun de nous. Il nous incite à se méfier de l’orgueil et de la sensation de supériorité que peuvent engendrer le pouvoir, la connaissance ou la position sociale ou religieuse, avec ses conséquences l’hypocrisie et notamment la piété hypocrite. Il nous incite à être humbles, à ne pas mépriser les autres et notamment les plus petits que soi ou les réprouvés pour une raison ou une autre.
D’autre part, l’observation de la loi n’est pas tout comme le pensait le pharisien. Les œuvres sans la foi ne sont rien, c’est ce qui justifia le rejet de la justification par les œuvres des Réformateurs. Sa prière n’est pas opérative contrairement à celle du péager, car il lui manque la foi, indispensable pour recevoir la grâce gratuite du Seigneur par l’intermédiaire de la puissance de l’Esprit Saint. Inspirons-nous donc de ce texte de l’Evangile selon Luc.
Amen !
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