La force d’une parole

 

Avec Jonas et Marc, comme souvent dans la Bible, nous explorons ensemble ce matin deux récits qui ont été écrits dans l’après coup, qui ne sont pas descriptifs, mais plutôt surréalistes.
Vous connaissez tous la mauvaise volonté de Jonas à répondre à la parole de Dieu, ses pérégrinations dans le ventre du grand poisson avant d’être vomi sur la terre ferme et de se retrouver à Ninive où, cette fois, il lui suffit de très peu de temps pour que les habitants mettent leur confiance en Dieu !

Même surréalisme chez Marc ; Jésus leur dit : Suivez-moi et je vous ferai pêcheurs d’hommes, et aussitôt ils le suivirent, laissant tout sur place !
Mettez-vous deux secondes à la place de Zébédée ou de Madame Zébédée : leurs deux fils les quittent brutalement parce que quelqu’un est passé et leur a dit : Suivez-moi !
Aujourd’hui, on dirait : il a suffi qu’un gourou ouvre la bouche et Jacques et Jean se sont retrouvés dans une secte !
On ne nous dit pas non plus si Simon et André étaient mariés, par exemple.
Mais imaginez la tête de leurs femmes qui attendaient le poisson pour manger…

Ce que je veux souligner par ces quelques digressions, c’est que manifestement le but de ces textes est ailleurs que dans la description. Manifestement on veut nous faire comprendre, nous montrer la force d’une parole.

Dans Jonas comme dans Marc, la parole lancée provoque quelque chose sur l’auditoire, sur les destinataires, quelque chose de mystérieux et d’inexplicable, mais quelque chose de très efficace.

Qârâh, le verbe hébreu qu’on retrouve quatre fois dans le troisième chapitre de Jonas (v. 2, 4, 5, 8) peut prendre le sens de crier, appeler, convoquer, proclamer, nommer.
Cela fait écho aux verbes employés par Marc qui appelle, convoque les quatre premiers disciples. Ils entendent une parole qui fait écho en eux, tellement écho qu’ils sont aussitôt séduits.
Peut-être en avaient-ils déjà l’intuition, de cette parole : il arrive que, dans ce qui nous est dit, on reconnaisse ce qu’on avait déjà intuitivement pressenti, sans l’avoir clairement formulé.
Et quand on l’entend exprimé, on y adhère comme si c’était la parole d’un autre, mais, en fait, c’est une révélation de quelque chose qui était déjà là depuis longtemps.

On ne nous dit pas, ni chez Jonas ni chez Marc, comment sont convaincus — aussi vite — les uns et les autres, ni pourquoi.
Ce qu’on nous dit, ce sont des phrases aussi délirantes que : « Encore quarante jours et Ninive sera bouleversée ! » ou « Je ferai de vous des pêcheurs d’hommes ». Et cependant, ces phrases sont saisies comme vitales par ceux à qui elles étaient destinées.
Une parole qui fait vivre, qui fait irruption dans la réalité comme un choc. Une parole qui les déroute, qui les fait changer de route, qui devient déterminante dans leur vie.
Ils ont entendu une parole, et toute leur vie s’est organisée autour du sens que cette parole a pris ce jour-là. Tout est ré-ordonné, autrement.
Ils découvrent une autre compréhension d’eux-mêmes, des autres et de Dieu.
Ils découvrent un Jésus qui veut les faire pêcheurs d’hommes.

D’emblée, dès le premier chapitre, Marc annonce la couleur : il s’agit de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.
D’emblée, il nous a dit qu’elle ne se confondait pas avec la parole annoncée au désert par le Baptiste, que cette parole serait toujours menacée par le démon d’être détournée au profit d’un pouvoir et là, dès le verset 14, il nous dit que cette parole est confiée à des bouches humaines. Abandonnée à la voix de travailleurs de tous les jours.
Les quatre premiers disciples n’abandonnent pas leur métier : on les retrouvera, plus tard, en train de pêcher du côté du lac de Tibériade… (Jn 21)
Mais ils vont devenir pêcheurs d’hommes.
A leur tour, ils vont proclamer une Parole qui sera déterminante pour quelqu’un d’autre. Même si elle leur échappe. Surtout si elle leur échappe… (Il y a tant de risques de la détourner à son profit !).

Vous savez bien que, souvent, on nous dit que les disciples ne comprennent rien, pas plus que notre prophète Jonas, qui ne se révélera efficace dans la conversion de Ninive que… bien malgré lui !

Aujourd’hui, je suis appelé(e) à être pêcheur d’hommes, à annoncer une parole qui m’échappe, me dépasse mais qui, peut-être, va donner une nouvelle compréhension du monde, des autres, de soi et de Dieu à qui l’entendra.
Oui, je veux bien laisser là mes filets pour annoncer une parole qui m’échappe.

Même si je reste — je resterai toujours — insuffisant(e), imparfait(e), infidèle, j’accepte quand même d’être le porte-parole, la part d’inconnu, l’espace inoccupé où Dieu peut parler et agir au-delà de ce que je peux en percevoir.

J’accepte d’oser risquer une parole parce que je sais qu’un mot, un signe ou un geste peut faire irruption dans la vie d’un autre, peut faire sens, tressaillement, surprise et parfois même bouleversement.

Et ce mot, gravé depuis toujours dans le cœur de Dieu,
Ce mot qui dit la force d’une parole,
Ce mot, il se prononce :
Il s’agit de la grâce.

La grâce de Dieu pour chacun, pour chacune d’entre vous
La grâce de Dieu qui par l’Esprit, nous fait découvrir que nous sommes frères et sœurs,
en Jésus-Christ,

Eternel, un jour dans tes parvis vaut mieux que mille ailleurs.
Seigneur, tu nous unis, nous sommes frères et sœurs.
(Alléluia !) d’après le Ps 84, 10

Amen !

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