Joseph face à l’imprévu

Aujourd’hui, je vous propose de nous arrêter sur le personnage de Joseph.
Gardons à l’esprit que ce qui déclenche ses réflexions et ses décisions, c’est le fait que Marie sa fiancée se retrouve enceinte avant qu’ils soient mariés, c’est-à-dire avant le temps prévu.
Joseph est un homme qui doit affronter l’imprévu, et apparemment ça n’est pas facile.

***

À première vue, Joseph est écartelé entre deux désirs contradictoires. D’un côté, il aime sa fiancée et veut donc préserver sa réputation : c’est pourquoi, face à cette grossesse imprévue, il se propose de rompre secrètement avec elle, afin qu’elle ne soit pas exposée au mépris de sa famille et à l’opprobre de la société. D’un autre côté il ne peut pas envisager de la garder avec lui, car ce ne serait pas convenable.
En effet, du point de vue de la loi et des valeurs culturelles de l’époque, il n’est pas convenable que Marie se retrouve enceinte avant son union avec Joseph.
Nous, nous savons que cette grossesse est l’œuvre de l’Esprit, puisque le texte nous le dit. Mais les personnages, eux, ils n’en savent rien ! Tout ce que voit Joseph à ce moment là, c’est que sa fiancée est enceinte alors qu’ils ne sont pas encore mariés.
J’ajoute que si le texte précise que Marie se retrouve enceinte « par l’action du Saint-Esprit », ce n’est pas pour nous inviter à spéculer sur le comment ou le pourquoi. Il ne sert à rien d’essayer de trouver une explication rationnelle, et il ne sert à rien non plus de chercher là-dedans du « surnaturel ».

Vous le savez bien, dans la Bible, l’Esprit de Dieu, le Souffle du Seigneur, c’est l’imprévu. C’est la manifestation de la liberté de Dieu qui ne s’embarrasse pas des convenances, mais qui agit toujours là où on ne l’attend pas. Eh bien, dire que Marie est enceinte sous l’action du Saint-Esprit, ça revient à dire que ce n’était pas attendu, que ce n’était pas prévu.  Comme pour dire que Dieu se révèle toujours de manière contradictoire, il ne cadre pas avec nos idées, nos valeurs, nos conventions. Il ne vient pas comme on l’attend, ni quand on l’attend. Dans cette histoire, il vient dans une grossesse imprévue.
Le problème n’est donc pas de savoir « par quel miracle » Marie s’est retrouvée enceinte. Il s’agit de savoir comment Joseph réagit face à cette situation imprévue. Est-ce qu’il assume son amour pour sa fiancée, ou est-ce qu’il y renonce pour préserver les convenances ? Est-ce qu’il donne raison à son désir pour Marie, ou est-ce qu’il donne raison à la loi, à la société, aux valeurs, aux conventions ?

Mais plus profondément encore, il se joue une autre question pour Joseph : la question de la paternité.
Joseph doit affronter une paternité imprévue et c’est peut-être ça le plus angoissant pour lui : s’il décide de garder Marie, ça veut dire aussi qu’il décide de garder l’enfant, et donc de devenir père. C’est une décision d’autant plus difficile que pour lui la venue de cet enfant ne cadre pas avec sa position d’homme respectable dans la société. Alors est-ce qu’il accepte de devenir père malgré les conventions, ou est-ce qu’il renonce ?

Au passage, voyez comme ce texte peut nous surprendre : il ne parle pas tant de maternité que de paternité puisque c’est bel et bien Joseph qui est au cœur de la question !  Comment Joseph va-t-il composer avec tout ça ?

Remarquons un premier élément : dans son dilemme intérieur, Joseph est véritablement écartelé entre deux désirs contradictoires. Dans un premier temps, il est incapable de prendre une décision. La décision, il la prendra pourrait-on dire à son insu : pendant son sommeil, à l’occasion d’un rêve. Et de plus, il ne va pas décider tout seul : c’est une intervention extérieure qui va l’aider à trancher.
Nous le voyons, avec cet ange qui lui apparaît en songe, Joseph est rejoint dans les profondeurs intimes de son sommeil par une parole Autre, une parole qui vient d’Ailleurs (puisqu’elle vient du Seigneur). Cette parole vient se greffer à ses interrogations les plus secrètes pour en révéler le sens profond. Et c’est dans cette parole qui le rejoint à son insu, de manière secrète et cachée, que Joseph découvre une issue à son dilemme.
C’est déjà une indication de ce qu’est l’Evangile. Pensons-y : l’Evangile agit dans le secret des cœurs pour révéler ce qui est caché, pour mettre en lumière ce qui est obscur. La Parole de Dieu est comme une épée à double tranchant, nous est-il dit quelque part. Eh bien l’Evangile passe comme une épée dans le cœur de l’homme pour trancher entre ce qui fait vivre et ce qui fait mourir, entre la part vivante et la part morte.
L’Evangile nous vient toujours d’ailleurs, nous ne pouvons jamais que le recevoir de quelqu’un d’autre. Et en même temps, lorsque nous le recevons, il nous rejoint au plus intime, il se fraye un chemin jusque dans les profondeurs secrètes de nos désirs. L’Evangile se greffe à nos racines, afin qu’une nouvelle branche puisse naître et percer au jour. La Parole de Dieu se greffe à ce qui nous travaille en profondeur pour faire advenir du nouveau, de l’imprévu. Ainsi, l’Evangile vient de l’extérieur, mais il agit à l’intérieur, au plus intime de l’intime. Pour Joseph, c’est dans un songe, c’est au plus profond de son sommeil, au plus secret de ses désirs contradictoires. Et quel est-il cet Evangile pour Joseph ? Quelle est la Bonne Nouvelle qui lui est annoncée et qui va l’aider à choisir la bonne part, à choisir la vie (plutôt que les convenances) ?

« Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie ta femme, car l’enfant qu’elle a conçu vient du Saint-Esprit ».

D’abord le messager du Seigneur appelle Joseph par son nom, et en le nommant il l’ancre dans une parenté : « Joseph fils de David ». Que faut-il entendre ?

Eh bien, il faut remonter à l’histoire de David pour comprendre. Or, rappelez-vous, au début de son évangile, Matthieu nous relate l’arbre généalogique de Joseph et de Jésus. Et dans cette généalogie, on trouve cette précision : « le roi David engendra Salomon de la femme d’Urie ». David a engendré Salomon avec la femme d’un autre (d’ailleurs rappelez-vous il a envoyé Urie se faire tuer à la guerre pour posséder sa femme). Salomon est le fruit d’un désir adultère et meurtrier, ce qui n’est pas rien. Et c’est à cet ancêtre-là que Joseph est référé (et Jésus aussi) ! Nous le voyons, Joseph est ancré dans une paternité qui est elle-même en conflit avec les conventions et avec la morale. David n’a pas été un homme parfait, il n’a pas toujours (loin s’en faut !) respecté les règles. Et pourtant, malgré cela, malgré tout, la promesse de Dieu n’a pas abandonné David. Elle n’a pas non plus abandonné Salomon, cet enfant issu d’un couple illégitime. Et de la même manière, elle n’a pas non plus abandonné Joseph (et elle n’abandonnera pas non plus Jésus).

En quelque sorte, en se trouvant référé à David que Dieu n’a pas abandonné malgré toutes ses fautes et malgré tous ses manquements aux conventions et aux règles, Joseph peut comprendre à son tour que la vie que Dieu donne est au-delà de toute règle, de toute loi et de toute morale. L’amour de Dieu nous rejoint au plus profond de nos histoires et nous invite à vivre et à aimer au-delà des conventions, au-delà du regard des autres, au-delà des valeurs de la société.

En rejoignant Joseph au cœur même de ses interrogations, au cœur même de son déchirement intérieur, la promesse de Dieu s’incarne. Elle prend chair. La promesse du Seigneur prend chair en rejoignant l’histoire humaine. Elle assume complètement cette histoire, elle épouse la condition humaine : c’est cela le sens du « Emmanuel », « Dieu avec nous ». Dieu avec nous : Dieu prend chair. La promesse s’incarne dans le conflit intérieur d’un homme qui affronte l’imprévu. Et pour le coup, la promesse de Dieu passe au dessus des conventions, elle les renverse et les bouleverse. Et au fond, nous le savons bien : l’Evangile et les conventions font rarement bon ménage.

« Ne crains pas de prendre avec toi Marie ta femme ». Voilà une Bonne Nouvelle ! Alors même que Joseph est prêt à renoncer à son amour pour sauvegarder les apparences, la parole du Seigneur l’aide à dépasser ses peurs et ses doutes.

Oui ! Marie est ta femme, Joseph, tu peux la prendre avec toi et avancer avec elle en confiance.

Oui ! Tu peux accueillir son enfant comme le tien, sans t’embarrasser des convenances… ni des tests ADN !

Oui ! Marie est ta femme, même si du point de vue des conventions elle ne peut pas l’être. Oui ! Marie est ta femme, et tu peux l’aimer et l’épouser, sans craindre tes propres doutes, sans craindre ce qu’on pensera de toi. Oui, l’enfant qu’elle a conçu vient du Saint-Esprit, il est approuvé par Dieu, et même : il vient de l’imprévu de Dieu.
Il vient de ce Dieu qui intervient de manière imprévue dans notre histoire et qui parle à notre cœur pour nous transformer, pour nous ouvrir, pour nous libérer, pour nous faire vivre d’une vie large, d’une vie inépuisable, d’une vie enracinée dans l’amour.

La promesse du Seigneur s’accomplit en ce jour, et elle continue de s’accomplir à chaque fois qu’il nous est donné de recevoir au cœur de nos vies l’imprévu de la grâce.

Jésus, Emmanuel, Dieu avec nous, celui qui sauvera son peuple de ses péchés : c’est l’imprévu de Dieu qui prend chair pour moi et pour toi !

Pour que je vive et pour que tu vives !

Amen.

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