Je prie pour ceux qui par leur parole mettront leur foi en moi

 

Vous l’avez échappé de belle ! Je me suis dis à un moment qu’il nous faudrait lire l’intégralité des chapitres 13 à 17 pour faire droit à la construction de l’Evangile de Jean qui en fait un ensemble le plus souvent titré « discours d’adieux » ; un ensemble qui est vraiment propre à notre évangéliste, les seuls parallèles avec les évangiles synoptiques étant l’annonce de la trahison de Judas et celle du reniement de Pierre.

Avant d’ouvrir la section de son évangile consacrée à la passion et la résurrection du Christ, Jean compose ce discours d’adieux sur le modèle de celui de Jacob dans la genèse (Ch. 47-49), de Josué (Ch. 22-24), de David (1 Chr.28-29) qui lui-même se termine par une prière, de Moïse (et là c’est tout le Deutéronome).

Je pourrais en citer bien d’autres, notamment dans la littérature intertestamentaire avec le « Testament des douze patriarches » , et même dans le Nouveau Testament avec le discours d’adieux de Paul (Actes 20, 17-38).

Ces discours ont en commun des points essentiels que nous retrouvons chez l’évangéliste Jean : Le rappel de ce que Dieu a fait, les directives pour garder les commandements, les recommandations pour rester dans l’amour réciproque, le thème de l’unité du peuple, le regard sur le futur, l’affirmation de la présence de Dieu, la présentation d’un successeur et la prière pour les fidèles. Ici c’est comme un condensé de ce qu’est pour Jean le message de Jésus.

Le chapitre 17, dans lequel se trouve notre lecture de ce jour, vient en quelque sorte résumer et conclure ce discours d’adieux. Il est construit en trois parties que je résume ainsi : « Père, manifeste la gloire de ton Fils, afin que le Fils manifeste aussi ta gloire » (vt. 1) ; disons qu’il s’agit de la prière de Jésus pour lui-même au moment d’entrer dans l’ultime phase de sa mission. Puis vient la prière de Jésus pour ses disciples ; « Je te prie pour eux » (vt. 9). Et, enfin, la prière pour ceux qui croiront… « Je ne prie pas seulement pour eux, mais aussi pour ceux qui croiront en moi grâce à leur message » (vt. 20). Prière sacerdotale, ainsi la nomme-t-on, comme la prière du Grand Prêtre qui se tient devant Dieu pour intercéder pour le peuple ; mais simultanément, méditation sur le ministère de Jésus et la place des disciples dans le monde.

En même temps que cette progression en trois temps, on peut repérer le triangle très fort « Père, Fils, disciples ». Il serait plus juste d’utiliser l’image du cercle, du Père au Fils, du Fils aux disciples, des disciples au Père.. et dans le passage final de ce jour des disciples au monde, du monde au Fils et au Père.

Je vous le relis :

20 Je ne prie pas pour eux seulement, mais encore pour ceux qui croiront en moi à travers leur parole,
21 afin que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et comme je suis en toi, afin qu’eux aussi soient [un] en nous pour que le monde croie que tu m’as envoyé.
22 Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée afin qu’ils soient un comme nous sommes un
23 moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient parfaitement un et qu’ainsi le monde reconnaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé.
24 Père, je veux que là où je suis ceux que tu m’as donnés soient aussi avec moi afin qu’ils contemplent ma gloire, la gloire que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la création du monde.
25 Père juste, le monde ne t’a pas connu, mais moi, je t’ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m’as envoyé.
26 Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et que moi je sois en eux. »

 

Pour bien recevoir ce texte qui nous concerne directement, dans la mesure où nous pouvons nous situer dans ce « monde qui croit» ou qui est susceptible de croire par le message transmis de générations en générations par les disciples, je vous propose de l’aborder sous trois registres qui y sont omniprésents : précisément, celui de la foi ; puis celui du monde et enfin celui de l’unité.

 

La foi, ou plutôt la transmission de la foi « je prie, dit Jésus, pour ceux qui croiront en moi par leur parole » celle des disciples.

C’est la problématique que nous avons abordée il y a quelques semaines dans nos Eglises en suivant les textes dominicaux ; la problématique de Thomas : « par ce que tu m’as vu tu es convaincu. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! », dit Jésus à Thomas.

Comment relever le défi du « sans avoir vu » ?

La réponse semble simple, en première analyse : C’est le rôle des disciples, constitués en « communauté de témoins » ; leur parole, leur témoignage,  permettront à ceux qui n’ont pas vu de croire.

Croire quoi ?

Allons directement au cœur de la foi, pour l’évangéliste Jean : Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, pour que quiconque met sa foi en lui ne se perde pas mais ait la vie éternelle (Jean3, 16).

Il n’y a pas d’autre témoignage que celui qui oriente vers le Fils, le Christ Jésus. La foi ne peut pas se passer de cette connaissance du ministère en paroles et en actes de Jésus ; de sa passion et de sa résurrection, clés pour comprendre sa vie et ses enseignements. C’est cela, qu’ont entendu et vu les disciples et qui est transmis d’âge en âge, par l’Evangile. L’évangéliste Luc est peut-être le plus explicite qui commence son évangile ainsi : « Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des faits qui se sont accomplis parmi nous, tels que nous les ont transmis ceux qui, dès le commencement, en ont été les témoins oculaires et sont devenus serviteurs de la Parole, il m’a semblé bon, à moi aussi, après m’être informé exactement de tout depuis les origines, de te l’expliquer par écrit d’une manière suivie, mon cher Théophile, afin que tu connaisse la certitude des enseignements que tu as reçus ». Et cela est vrai pout tous les auteurs des livres du Nouveau Testament.

La foi est une connaissance, un apprentissage, un travail de longue haleine où chaque lecture, chaque  prédication (nous avons la faiblesse de le croire), chaque étude biblique… apportent leur couche supplémentaire de sédiments qui permettent de construire notre relation au Christ. Par la parole, on pourrait ajouter par la raison, l’intelligence, sans oublier la dimension communautaire du partage. Mais aussi par ces moments de doutes, de retour en arrière, d’interrogations et même d’abandon. Ce n’est pas par hasard qu’en plein discours d’adieux, alors qu’il exprime l’essentiel du message de Jésus, Jean insère les récits de la trahison de Judas et du reniement de Pierre.

 

Mais… Il y a un « mais » ! La foi n’est pas que connaissance et raison. Dans ce que j’ai appelé le cœur de la foi : « Dieu a tant aimé le monde… » il y a un mot que nous ne devons pas oublier, le mot « donner », donner son Fils. Et peut-être n’avez-vous pas noté tout à l’heure à la lecture du chapitre 17 dans son entier comment Jean souligne son importance : « J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu m’as donnés du milieu du monde. Ils étaient à toi, et tu me les as donnés ; et ils ont gardé ta parole. Maintenant, ils savent que tout ce que tu m’as donné est issu de toi. Car je leur ai donné les paroles que tu m’as données ; il les ont reçues ; ils ont vraiment su que je suis sorti de toi, et ils ont cru que c’est toi qui m’as envoyé ».

Paroles et actes de Jésus renvoient à Celui dont il est venu révélé l’amour pour le monde. Nos paroles et nos actes sont appelés à révéler le Fils qui révèle le Père. C’est alors, la limite de la connaissance et de la raison ; c’est alors, la question ultime, le saut de la foi. Si je paraphrase la rencontre avec Thomas : tu as entendu ce que l’évangile révèle du Fils de Dieu, tu as connu les multiples dimensions de son enseignement, tu les as peut-être partagées au sein d’une communauté chrétienne…. mais maintenant crois-tu, à travers lui, et par lui, que Dieu t’aime comme il a aimé le monde en donnant son Fils ? Es-tu prêt comme Thomas, lorsqu’il confesse « Mon Seigneur et mon Dieu » à lâcher prise, à te reconnaître en Christ dans l’amour de Dieu, pout toi et pour le monde ?

 

Nous touchons là au deuxième registre par lequel je souhaite aborder notre texte. Le registre du monde, registre dont les disciples doivent être parfaitement conscients, non seulement parce que le monde est le lieu de leur témoignage. Mais aussi parce que le monde est ce qui donne la dimension de l’amour de Dieu.

L’évangile de Jean nous place en face d’un paradoxe fondamental. Le monde est aimé par Dieu au point qu’il lui a donné son Fils. Et ce monde, Jésus, au terme de sa vie, affirme qu’il n’a jamais connu Dieu. Paradoxe fondamental pour les disciples, et que les paroles de Jésus rendent plus complexe encore.

Croire c’est être du côté de Jésus mais notre maitre n’est plus de ce monde. Nous ne sommes pas subordonnés au monde. Nous ne dépendons pas de lui. Comme notre maitre nous courrons le risque du rejet, de la détestation, de l’animosité, du fait même de la parole que nous portons et qui renvoie au Fils et au Père. Croire c’est déjà être ailleurs, ne plus être du monde.  Avec un risque ; celui de fuir ses difficultés, de se retirer, de garder cet ailleurs pour nous ; c’est le risque d’un monachisme qui n’aurait pas pour attention principale la prière pour le monde. Plus prosaïquement, c’est le risque de faire de notre foi une affaire privée qui  n’aurait rien à voir avec la vie du monde.

Mais au moment même ou Jésus dans sa prière pour les disciples reconnaît cet ailleurs dans lequel ils sont déjà «  ils ne sont pas du monde », il ajoute immédiatement l’autre terme de leur paradoxe « ils sont dans le monde ». C’est là qu’ils ont envoyés, c’est le lieu de leur témoignage, et le pire risque qu’ils courent est de l’oublier. Ils sont « consacrés » pour cela.

 

Ce paradoxe, nous pourrions dire cette tension permanente, que nous dit-elle de notre statut de croyant ? Le croyant se situe dans le prolongement de l’envoi du Christ au monde, pour révéler l’amour de Dieu pour ce monde.  Nous ne sommes pas des illuminés, porteurs de nouveauté. Nous ne sommes pas livrés à nous-même. Nous tirons notre joie de notre dépendance au Christ vivant. Nous sommes faibles comme lui ; nous n’avons aucune assurance que celle de ne pas souhaiter en détenir. Et pourtant, le monde est notre champ de mission tant qu’il ne connaît pas l’amour de Dieu pour lui.

J’entendais récemment certains se lamenter qu’il n’y ait pas un parti politique chrétien. Fausse piste ! Toute assimilation au pouvoir ferait obstacle à l’affirmation de l’amour de Dieu pour tous. Seule la parole qui renvoie au Christ nous permet d’être, avec Lui, dans le monde, sans être du monde.

 

Et pour cela, il nous faut être un.

C’est le  troisième registre auquel je me dois de consacrer un moment, tant il est présent dans notre texte de ce jour ; celui de l’unité

20 Je ne prie pas pour eux seulement, mais encore pour ceux qui croiront en moi à travers leur parole,
21 afin que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et comme je suis en toi, afin qu’eux aussi soient [un] en nous pour que le monde croie que tu m’as envoyé.
22 Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée afin qu’ils soient un comme nous sommes un
23 moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient parfaitement un et qu’ainsi le monde reconnaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé.

Mais entendez bien : cette unité n’est à aucun moment présentée comme une unité structurelle. Faire de ce texte l’emblème de la semaine pour l’unité structurelle des chrétiens est un contresens.  Elle n’est pas non plus le plaidoyer pour une unité doctrinale. Mettre ce texte en exergue d’accords œcuméniques est un contresens.

L’unité dont il est ici question a un fondement, un moyen d’action et un objectif.

Le fondement c’est l’unité du Père et du Fils à laquelle le Fils nous associe en se donnant à nous. C’est une unité offerte. Déjà réalisée. Le moyen d’action c’est la parole qui nous permet de demeurer en Christ et d’appeler sans cesse « ceux qui croiront » à demeurer en lui. Et elle n’a qu’un but ultime que le monde reconnaisse en Christ, envoyé du Père, l’amour du Père pour tous.

J’aimerais vous en donner une image ; ce moment très particulier de la liturgie chrétienne où faisant cercle autour de la table, par le pain et le vin qui nous sont offerts, nous recevons le Christ don de Dieu pour nous et pour le monde. Elle est d’abord une confession de foi ; nous affirmons en faisant cercle autour de la table que le Christ nous unit les uns aux autres, et à lui, et par lui à son Père. C’est pourquoi nous n’en limitons pas l’accès, et peut-être, symboliquement, devrions-nous toujours veiller à laisser le cercle ouvert pour ne pas oublier que notre unité garde un regard ouvert en direction du monde qui doit se savoir aimé de Dieu. Mais en même temps ce repas est prière, prière d’espérance et de reconnaissance. Nous faisons confiance, nous mettons notre foi en celui qui nous a promis sa présence, sa vie en nous, et nous le signifie dans le pain et le vin, symboles du don de son corps et de son sang donnés pour nous.

 

Au terme de ce parcours, de la foi à l’unité en passant par le monde, si je devais ne conserver qu’une exhortation, je reprendrais celle que Jésus formule, après avoir donné à ses disciples l’image de la vigne dont le Père est le vigneron, lui le cep et nous les sarments : Demeurez dans mon amour. Il y a là autant un don ineffable qu’une exhortation ; autant une promesse qu’un projet de vie. Demeurez dans mon amour !

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