« Il y avait un homme riche dont la terre avait bien rapporté… »

Frères et sœurs dans cette histoire il nous faudrait identifier le problème, en somme qu’est-ce qui cloche ? A nous adultes raisonnables, bercés de nos sagesses populaires apprises dès nos plus tendres années à l’école, la cigale et la fourmi par exemple, apprenons à administrer nos biens de façon raisonnable et ce matin, en ce dimanche des récoltes nous rendons grâce à Dieu pour nos moyens de subsistances et les dons que Dieu nous accorde pour mener sereinement et convenablement nos vies. Rendons nous compte dans la gratitude qu’il nous arrive ici d’avoir plus que le nécessaire et de pouvoir le mettre à disposition des autres, ce temps même que nous avons ce matin et que nous consacrons à Dieu, ce temps en plus il nous est octroyé pour lui même et rien que pour ça il est bon de rendre grâce.

Mais alors qu’est ce qui ne vas pas dans notre évangile, qu’a donc fait ce riche pour se faire retirer sa vie à titre d’exemple, ne serait-ce pas un peu sévère ? Tentons d’y voir plus clair et remettons à Dieu nos intelligences, nous prions.

Seigneur, dans la prédication de la parole donne nous les fruits de l’Esprit, ceux dont tu nous parles par la bouche de l’apôtre : « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur et maîtrise de soi. » Donne nous par l’écoute attentive de ton fils l’assurance que sur le chemin de nos vies c’est toi même qui nous accompagne, et nous rassasie des dons de ta grâce, maintenant et toujours et pour les siècles des siècles, amen.

Nous cheminons cette année le long de l’évangile selon Marc, cela ne nous a pas échappé. Mais pour l’occasion de ce dimanche, dimanche des récoltes, nous modifions un tout petit peu notre programme en adaptant nos lectures. Et nous prenons donc une parabole qui vient de l’évangile de Luc, évangile riche en parabole. Et nous sommes ici dans le cœur de son enseignement, au chapitre 10 nous avons la parabole du bon samaritain, au chapitre 11 nous avons l’enseignement du Notre Père, des sentences qui peuvent cadrer une vie entière telles que « Demandez, on vous donnera, cherchez, vous trouverez, frappez, on vous ouvrira » Nous sommes dans ces pages au cœur d’un trésor spirituel et existentiel de la portée du sermon sur la montagne, que nous trouvons dans l’évangile selon Matthieu. Et à cette étape du discours de notre Seigneur nous venons à méditer à propos des biens de ce monde. Rentrons à propos dans cet enseignement de Jésus, rentrons dans la parabole, dans le monde de ce riche, insulté même par Dieu en son dernier jour. Insensé dans nos textes, l’insulte en grec est plus crue. La vie de notre riche est un désert. Il est seul. Seul et déjà dans une forme de mort, personne autour de lui, lui le riche, seul et ses richesses, lui le riche et les angoisses de sa vie qu’il tente d’apaiser, de réconforter entre son désir d’avoir encore plus, son angoisse de manquer de place pour accumuler et son désir de faire taire la voix de son âme par le sommeil, l’inaction, la nourriture et la boisson. Cet évangile a bien entendu été utilisé pour culpabiliser et effrayer, il a bien sûr fait naître des comportements austères et moralisateurs condamnant les plaisirs et les biens de ce monde, consistant à dire qu’il faudrait s’enrichir auprès de Dieu de la même manière que nous, nous enrichissant dans ce monde, par nos œuvres en accumulant des mérites près de Lui, ce qui est une hérésie et ne peut mener qu’aux dérives les plus mortifères de nos religions, au naufrage de la charité chrétienne et de nos spiritualités les plus sincères. Cette lecture de cette parabole est désormais à éviter, tentons d’y voir plus clair. Dans cette parabole c’est encore une fois le plus grand commandement qui est rappelé,

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu et ton prochain comme toi même », et ce commandement de vie, cette vie, trésor de Dieu, fut retiré à ce riche qui se donnait la mort dans ce monde, déjà torturé par ses angoisses.

C’est un Dieu déçu et consterné qui insulte cet homme, c’est d’un Dieu déçu et consterné dont Jésus nous parle, d’un riche qui encombré par ses peurs et son indifférence au monde se construisait des hangars pour stocker à l’infini ce qui le maintiendrait dans la satisfaction pour lui même et l’apathie pour son prochain. Ici c’est l’indifférence au monde et l’autosuffisance assumée qui sont montrée du doigt comme le gâchis d’une vie. Et cette question de Dieu, qui tient de l’ironie en incluant cet autre alors absent dans la vie du riche : « Tu n’es plus, à qui ces richesses seront-elles ? » Concluant laconiquement « Voici le sort de ceux qui thésaurisant pour eux même ne s’enrichissaient pas auprès de Dieu ».

Mais alors à ce stade de notre méditation, en savons nous plus sur ce que cela peut bien vouloir dire : « S’enrichir auprès de Dieu » ?

Revenons au début de notre texte, et à la demande qui est faite à Jésus. « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage ». Il est posé à jésus un des problèmes les plus complexes de son ministère, le partage d’un héritage. On lui demande de régler ce conflit important, il est interpellé comme un enseignant, dispensateur légitime de savoir et figure d’autorité de la connaissance. Il lui est alors demandé d’accomplir un travail de notaire, ou de juge, ce qui n’est pas du tout le but de la mission de jésus et il le fait bien remarquer.

Cela pourrait aussi nous faire réfléchir sur le rôle des autorités de ce monde, Jésus n’est pas ici pour juger les affaires courantes, il s’agit de questions bien différentes. Et à cette question, qui de fait ne s’adressait pas à la bonne personne, Jésus réponds quand même et il répond comme lui seul pouvait le faire, non pas comme juge et administrateur des possessions matérielles et des biens de la terre mais comme maître de la vie et ami de l’humanité.

L’homme qui interpelle est en proie à une très grande difficulté, départager une question d’héritage.

Peut être ce matin, vous même ici présent avez été amené à s’affronter à cette épreuve. Nous savons que ce sont des périodes qui peuvent être lourdes et difficiles. Elles peuvent aussi malheureusement conduire à déchirer des familles. Départager un héritage n’est pas une situation purement contingente de notre monde et ce ne sont pas des questions purement matérielles pour lesquelles il faudrait se désintéresser et regarder plutôt à l’évangile en remettant le cours des choses à la providence, Dieu a conscience du problème, la Bible regorge de situations d’héritage qui se passent plus ou moins bien, souvent moins bien, c’est malheureusement une des souffrances de notre condition humaine, de ne pas pouvoir partager en paix ce qui nous a été donné. Cela vaut pour des familles, dans le legs d’un patrimoine, cela vaut pour des relations amoureuses dans le partage de l’amour et de la confiance, cela vaut pour la religion dans le legs et le don de la grâce, cela vaut pour les nations dans le partage de la terre, cela vaut pour Jésus dans l’annonce du royaume et de la vie éternelle en partage. La situation ici est délicate, et Jésus ne passe pas à côté, ces questions nous touchent dans notre être le plus profond et il le sait.

Il ne se moquera pas de nos problèmes et inquiétudes les plus concrets, ceux qui nous empêchent de vivre, non. Il va recentrer la question, retourner le problème et nous faire voir, nous faire comprendre que dans ces impasses de l’existence, en l’occurrence cette interpellation pour départager un héritage, il y a une respiration possible, il y a un recul vital à prendre, un horizon à ne jamais perdre ou bien à retrouver si jamais il a été un jour perdu de vue.

En ce dimanche des récoltes regardons à cet homme qui déjà riche, c’est ainsi qu’il est présenté, désirait amasser encore plus de biens et construisait dans son désert une prison dorée ne plus avoir à jamais avoir affaire à l’autre. Quel héritage aurait il pu donc laisser ? Cette parabole a tourné à l’absurde une vie que nous pourrions secrètement désirer mais qui n’a en fait rien de désirable, c’est une vie qui laisserait le dernier mot à nos inquiétudes et angoisses, celles qui nous coupent du monde et qui érigent des murs dans nos existences propres sous couvert de nous garantir confort et repos pour l’éternité, ces conforts et repos éternels qui furent les dieux du riche de la parabole, qui furent les murs de marbre d’un caveau doré que le riche hâta par son enrichissement démesuré, la vie que Dieu nous avait donné n’était pas faite pour ça. La vie que Dieu nous donnait n’était pas faite pour l’emmurer vivante. C’est pourquoi Dieu la retira.

Alors mon frère, ma sœur, faisons mémoire de ce récit en ce culte des récoltes, et que les fruits de ce jour soient autant de passerelles pour la rencontre et le service du prochain, à l’image de ce repas que nous allons bientôt partager, Jésus parmi nous. Que notre labeur quotidien soit autant de services et de gestes de paix pour notre humanité. Que nous nous gardions d’ériger en cette vie des tombes par nos biens et que nous rendions sans cesse grâce à Dieu pour les dons que lui même nous offre, en vue de son royaume et de la vie éternelle en partage, Amen.

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