Guéris et sauvés !

Des miracles et des guérisons, Marc, Matthieu et Luc nous en rapportent des dizaines : des aveugles, des sourds, des paralytiques, des démoniaques, des lépreux, … Ici, nous ne sommes pas dans un lieu précis mais dans un village dont on ne connaît pas le nom, quelque part entre la Galilée et la Samarie, et face à un groupe de dix lépreux anonymes. Pas d’autres précisions. Ils sont dix, unis par la maladie et l’exclusion. Dix, c’était le nombre minimal pour commencer la liturgie à la synagogue. Ces dix lépreux, sont en quelque sorte la représentation de la communauté d’Israël et, au-delà, de la communauté des croyants que nous sommes.

Dans ce cadre, Luc nous invite à faire une étape sur le chemin de Jésus vers sa passion et sa résurrection, en route vers le salut. Nous nous situons dans la zone de contact entre deux peuples en tension qui se méprisent. Pour les juifs de Jérusalem les samaritains étaient des schismatiques qu’il était interdit de fréquenter. Ils étaient considérés comme impurs car ils avaient fricoté avec les païens pendant leur exil. Les juifs les méprisaient. Voilà qu’en entrant dans un village, dix lépreux s’avancent vers Jésus tout en se tenant à distance pour respecter les règles d’isolement prévues par la loi.

Parmi les lépreux se trouve cependant un samaritain mais ils sont ensemble, unis par la maladie et par l’exclusion dont ils font l’objet. Comme l’indique le Lévitique, « le lépreux habitera à l’écart, son habitation sera hors du camp ». Les lépreux étaient exclus de la vie sociale et religieuse, étant considérés comme impurs, et leur maladie était vue comme la conséquence de leurs péchés. En cas de guérison, ils étaient invités à la faire constater par les prêtres avant d’être réintégrés dans la communauté. Le samaritain était doublement exclu : étranger et lépreux. Nos dix hommes s’adressent à Jésus et crient leur détresse : « Jésus, maître, aie compassion de nous ! ». Ils ont probablement entendu parler de lui et de son charisme et lui reconnaissent une certaine autorité. Ils ne demandent même pas à être guéris mais simplement à être traités avec bienveillance.

Contrairement aux très nombreux récits de guérison relatés dans les évangiles, ici Luc ne s’attarde pas sur le miracle lui-même. Dans Matthieu et Marc et dans Luc dans un autre chapitre, lorsque Jésus guérit des lépreux, le processus est décrit de la même façon : Jésus tend la main, touche le lépreux, lui adresse une parole. Rien de tout cela ici. La guérison interviendra mystérieusement en route, hors de la présence de Jésus. « Ils furent purifiés » est-il simplement indiqué. Le récit est en effet centré sur la réaction du samaritain et des neuf autres lépreux après leur guérison.

Dès que Jésus les voit et entend leur interpellation, il les envoie faire constater leur guérison par les prêtres, alors même que celle-ci n’est pas encore intervenue. Les dix lépreux, avec une totale confiance en Jésus, se mettent en route et « pendant qu’ils y allaient, ils furent purifiés ». Cette forme passive « ils furent purifiés » témoigne de l’intervention de Dieu dans leur guérison. Ils ont obéi à Jésus, lui ont fait confiance et ont été guéris en route. Conformément à sa demande et dans le respect de la loi de Moïse, ils vont aller rencontrer les prêtres pour faire acter de leur guérison. L’histoire aurait pu s’arrêter là. Dix hommes guéris en ayant fait confiance à Jésus. C’est alors que leurs parcours divergent : l’un d’eux, se voyant guéri, revient sur ses pas, glorifie Dieu à pleine voix, puis tombe aux pieds de Jésus en lui rendant grâce, tandis que les neuf autres poursuivent leur chemin. « Ne s’est-il trouvé que cet étranger pour revenir donner gloire à Dieu ? » s’esclame Jésus. D’un côté, neuf lépreux guéris qui suivent la prescription de Jésus et vont voir les prêtres pour le rite de réintégration dans la communauté. De l’autre, un étranger qui se voyant guéri revient sur ses pas.

Nous assistons ici à une véritable conversion – c’est le mot utilisé dans le texte, non pas une guérison qui remettrait le samaritain dans l’état antérieur et lui permettrait de continuer son chemin comme si rien ne s’était passé, mais une guérison qui, lorsqu’il la voit, entraîne une transformation radicale de son comportement ; il fait demi-tour, au lieu de continuer avec les autres, puis il glorifie Dieu et, enfin, se jette aux pieds de Jésus. Qu’est-ce qui explique la différence de comportement entre ce samaritain et les neuf autres lépreux ? Le samaritain s’est vu guéri. Certes, les autres ont nécessairement constaté qu’ils étaient guéris mais il y a plusieurs manières de voir. Le verbe voir figure deux fois dans ce texte. « Lorsqu’il les vit, il leur dit : allez vous montrer aux prêtres ». Le simple regard bienveillant de Jésus sur ces hommes et leur détresse acte de la guérison à venir.

Lorsque le samaritain se voit guéri, il fait demi-tour. Au-delà du simple constat de sa guérison, le samaritain voit en profondeur et en vérité. Il voit qu’il a été guéri. Il a compris l’origine divine de sa guérison. Il n’est pas resté à la surface des choses. Et sa compréhension de ce qui lui était arrivé a entraîné immédiatement une transformation intérieure, au point de quitter le groupe et d’opérer un demi-tour. Non seulement il voit Dieu comme source de sa guérison puisqu’il va le glorifier, mais il va changer de direction pour retourner vers Jésus et se jeter ses pieds. Il reconnaît Jésus comme le messie, non plus le maître, mais le Christ incarnant le salut de Dieu, le Royaume. Par Jésus, Dieu est entré dans sa vie.  Voir avec le regard bienveillant de Jésus ou voir en profondeur en nous-même comme le samaritain, sont aussi des défis qui nous sont adressés aujourd’hui, dans notre vie quotidienne, comme dans notre vie d’Église. « Ne s’est-il trouvé que cet étranger pour revenir rendre gloire à Dieu ? » s’exclame Jésus.

Abreuvés et saturés d’informations, d’images et de vidéos déversées par les réseaux sociaux, prenons-nous le temps de discerner et de voir l’essentiel, d’aller au-delà des apparences et de réfléchir sur notre vie ? Installés dans la routine de nos vies personnelles et professionnelles et dans le confort de notre vie d’Église, voyons-nous la trace de Dieu dans nos vies ? Voyons-nous notre vie comme un don de Dieu ? Conditionnés pour consommer en achetant ou en échangeant jusqu’à saturation, sommes-nous disponibles pour accueillir le don gratuit de la présence de Dieu parmi nous et pour, à notre tour, donner gratuitement de notre temps, sans contrepartie ? Les neuf lépreux guéris qui poursuivent leur route vers les prêtres pour accomplir le rite de réintégration dans la communauté ne se posent pas de question sur leur guérison. Leur vie va reprendre un cours normal, comme avant. Faut-il être méprisé car étranger, exclu par la communauté et rongé par la culpabilité car lépreux, comme le samaritain, pour prendre conscience du don gratuit totalement immérité qui nous est fait ?

Dans le chapitre suivant Jésus dira au jeune homme riche : « Il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu ».  Mais Jésus ajoute : « Ce qui est impossible pour les humains est possible pour Dieu ». Le Royaume de Dieu est offert à tous, aux pauvres comme aux riches, aux juifs comme aux samaritains. Les dix lépreux ont été guéris. Dieu est intervenu pour chacun d’entre eux mais un seul a fait demi-tour.

Le Samaritain a reconnu que Dieu était à l’origine de sa guérison et il a rebroussé chemin, glorifié Dieu et s’est jeté aux pieds de Jésus pour rendre grâce. En Jésus, il a reconnu l’irruption de Dieu dans sa vie, dans la vie de notre monde, ce que l’on appelle l’incarnation. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Jésus lui dit : « Lève-toi et va ; ta foi ta sauvé ». Et son parcours de foi va continuer.

En effet, la foi n’est pas évènement magique, ponctuel, instantané qui nous délivrerait d’un coup de tous nos maux. C’est un cheminement, une route, plus ou moins chaotique, avec Jésus. Il n’a rien d’une évidence. Il nécessite des efforts. Il y a de l’imprévu et de l’inattendu en route. De l’acceptation et de la révolte. De l’indifférence et des doutes.

La première étape est l’irruption de Jésus dans nos vies ; d’une manière ou d’une autre, nous en avons entendu parler, nous avons été touchés par une parole. D’où l’importance du témoignage du croyant. Comment les lépreux se seraient-ils approchés de Jésus s’ils n’avaient pas entendu parler de lui par des témoins ? Et comment cette parole va se répandre dans le monde si le lépreux sauvé n’en parle pas autour de lui ?

La seconde étape c’est la prise de conscience de la trace de Dieu dans notre propre vie. Réaliser tous les bienfaits de Dieu dans notre monde, dans notre vie, dans les actions bienveillantes de ceux que nous croisons, dans la beauté qui nous entoure. Conscients de ces dons merveilleux, nous disons simplement : merci ! Quand nous rendons grâce à Dieu, quand nous louons Dieu au cours d’un culte, par cette action totalement gratuite, nous laissons exprimer notre reconnaissance. Nous nous nous rendons disponibles pour accueillir ce qui adviendra et nous laisser conduire par Jésus après le culte et offrir notre vie en action de grâce.

La troisième étape, c’est la transformation qui s’opère en nous, que l’on appelle « conversion », c’est-à-dire un demi-tour, un changement d’orientation de notre vie pour aller vers Jésus, comme ce samaritain qui se jette à ses pieds pour le remercier et attendre de savoir ce qu’Il attend de lui. Ce n’est pas l’étape la plus aisée car cela suppose de nous libérer de tous les liens qui nous entravent pour nous rendre disponibles pour le service. C’est un moment de purification ; nous laisser débarrasser de nos lèpres, de tout ce qui nous entrave. Mourir à notre vie d’avant. « Si nous sommes morts avec lui, nous vivrons aussi avec lui » avons-nous lu ce matin dans l’épître à Timothée. Oser sortir du troupeau comme l’a fait le samaritain, ce n’est pas facile. Seul un lépreux sur dix a fait demi-tour.

Jésus alors nous relève, et c’est la dernière étape : « Lève-toi et va ! » dit-il au samaritain. Sa nouvelle vie commence.

Nos parcours de vie ne sont évidemment pas aussi linéaires ; nous sommes parfois des samaritains ouverts à l’inattendu mais souvent aussi, comme les neuf autres lépreux, esclaves de nos routines de vie. Le texte ne nous dit pas ce qu’il advient du samaritain et des neufs autres lépreux. Peut-être que le samaritain tournera le dos à Jésus, comme Pierre l’a fait trois fois ? Peut-être que certains des lépreux feront l’expérience de l’irruption de Jésus dans leurs vies ?

Ce que nous savons en revanche, au travers de ce récit, c’est que le salut est offert à chacun, gratuitement, quels que soient ses origines, son parcours de vie, ses faiblesses et ses doutes. Qui que vous soyez aujourd’hui, il vous est offert gratuitement, sans contrepartie. Ce que nous savons c’est que le salut nous est donné en la personne de Jésus qui a croisé notre chemin qui est mort et ressuscité pour nous. Jésus a dit à ses disciples qu’il n’était pas venu pour abolir la loi mais pour l’accomplir. Il ne se contente pas de respecter la loi de Moïse, comme ici avec les dix lépreux, mais ll nous invite à la faire vivre en le suivant. La loi montre le chemin mais Jésus est le chemin, la vérité, la vie. Il est présent parmi nous.

Le texte de ce jour nous invite à faire demi-tour, à réorienter nos vies, à prendre conscience de l’action de Dieu dans nos vies et à nous jeter aux pieds de Jésus pour être relevé et envoyé à son service. Dans les versets suivant notre lecture, Jésus répond aux pharisiens qui l’interrogent sur le Royaume de Dieu : « Car voici, le Royaume de Dieu est au-milieu de vous ».

Chers amis, chers frères et sœurs, le Règne de Dieu est au milieu de nous, ici-même, aujourd’hui et demain, en la présence de Jésus dans nos vies. Que cette certitude nous accompagne tout au long de la semaine et au-delà. Lève-toi et va !

Amen

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