Ezechiel 34, v. 11-17 et Matthieu 25, v. 31-46 : « Toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites »

Dimanche 23 novembre 2008 – par Clotaire d’Engremont

 

Chères sœurs, Chers frères, Chers Amis,

De prime abord, la lecture du texte du jour peut laisser perplexe ; au point que j’ai un moment pensé m’écarter de la liste des lectures communes proposées chaque jour aux catholiques et aux protestants de notre pays. Mais il m’a semblé préférable de ne pas sortir impunément des règles qui font que nos églises méditent en même temps sur le texte du jour. Comme nous le constaterons, le symbole d’unité en ce qui concerne le texte d’aujourd’hui est particulièrement significatif.

Néanmoins, sa lecture laisse planer un certain malaise. Il s’agit du jugement dernier que l’évangéliste Matthieu place juste après l’ensemble des paraboles et juste avant le récit du complot contre Jésus qui le mènera à la crucifixion. Même si ce texte utilise quelques images, ce n’est plus une parabole ; c’est à peine une allégorie car il précise avec une totale clarté qu’un jour le christ reviendra pour juger les hommes et les femmes en triant les bons, c’est-à-dire les brebis qui passent par la porte de droite, et les méchants, c’est-à-dire les boucs qui sont orientés vers la porte de gauche. Et le triage, mot de sinistre mémoire qui évoque pour notre génération les camps de concentration de la seconde guerre mondiale, s’exercerait, précise Matthieu, de façon systématique pour déterminer ceux qui devront aller au châtiment éternel et ceux qui iront à la vie éternelle. Le malaise ne peut pas être dissipé en cherchant une analogie dans les deux autres évangiles synoptiques, car seul Matthieu nous donne ce récit du jugement dernier à la suite des paraboles.

Où est alors la miséricorde pour les hommes et les femmes de notre temps qui souvent ne croient plus à l’enfer, au purgatoire ou au paradis ? Où est donc le Seigneur dont l’amour est incommensurable ?

Pourtant, malgré les apparences, ce texte donne encore un sens à la vie des hommes et des femmes de notre temps en insistant sur l’urgence de l’amour du prochain ; il reprend d’ailleurs, sous d’autres formes, l’enseignement de Jésus qui lors du sermon sur la montagne rappelait que la foi chrétienne se mesurait également à l’amour porté au prochain, plus qu’aux simples paroles aussi belles soient-elles ; à ce propos, nous pouvons nous référer utilement au verset 21 du chapitre 7 de l’évangile de Matthieu d’où il ressort qu’il « ne suffit pas de dire Seigneur, Seigneur, pour entrer dans le Royaume des cieux. »

C’est pourquoi, avant d’en venir au jugement dernier, dans une troisième partie de conclusion, je vous convie à lire le texte du jour autour de deux idées principales et essentielles à mes yeux, à savoir l’universalisme du message chrétien d’une part et l’urgence qu’il y a à s’engager au service d’autrui d’autre part.

Premièrement donc, l’Évangile, c’est-à-dire la « bonne nouvelle », s’adresse à la terre entière, car il est dit au verset 32 « Toutes les nations seront rassemblées devant lui. » Il faut toujours et toujours insister sur l’universalité du message chrétien. Les références à l’ancienne alliance sont certes fréquentes chez Matthieu car il s’adresse souvent à des « judéo-chrétiens » encore attachés à un certain légalisme ; mais pour autant le Dieu de la nouvelle alliance est bien pour toutes et tous, c’est-à-dire pour les juifs et les non juifs, les hommes libres et les esclaves, les romains et les barbares, les petits et les grands, et j’oserai dire pour les croyants et les incroyants et pour les demi croyants que nous sommes parfois… Encore une fois, le Fils de l’homme qui viendra dans sa gloire exercera son jugement même sur les païens et pas seulement sur le seul peuple élu comme il était précisé dans le passage d’Ézéchiel, lu tout à l’heure. L’universalisme du message chrétien a pour conséquence immédiate que chaque être humain est unique, égal aux autres, digne de l’amour de Dieu, sans condition. Chacun peut alors agir, même modestement. Il ne convient pas non plus de se retrancher derrière sa propre modestie… Pensons par exemple chers amis, au petit geste de la pauvre veuve qui, devant les notables religieux, mit deux toutes petites piécettes, faisant un quart de sou, dans le tronc de la quête ; nul doute que, pour Matthieu, elle fait partie, sans le savoir, des brebis destinées à la vie éternelle. Le message chrétien est bien le même pour toutes et tous depuis deux mille ans. Et, il est réconfortant de savoir que pour nous il est possible de s’inscrire dans la nuée des témoins, à notre mesure.

Ma deuxième approche, concerne le message lui-même contenu dans le double dialogue qui, en parallèle, oppose les « brebis » et les « boucs ». L’énumération des actes charitables que les « brebis », c’est-à-dire les « justes » sont sensés avoir commis est très précise et très concrète ; elle concerne la faim, la soif, la vêture, l’accueil des étrangers. Vous remarquerez que la charité ainsi conçue est de style profane ; rien n’évoque le sens du sacré ou le rite.

Il est intéressant de noter que certains commentateurs insistent sur le fait que la liste des actes de charité est déjà présente dans certains passages de l’Ancien Testament. Je vous citerai par exemple le verset 7 du chapitre 58 du prophète Ésaïe « Partage ton pain avec celui qui a faim, et fait entrer dans ta maison les malheureux sans asile ; si tu vois un homme nu, couvre-le, et ne te détourne pas de ton semblable. » Cette citation nous rappelle opportunément que Matthieu s’enracine dans les meilleures sources de l’Ancienne Alliance. Notons en outre que Matthieu fait référence aux visites en prison qui constituent un impératif supplémentaire se rapportant certainement aux premiers chrétiens emprisonnés lors des persécutions.

Toujours est-il que ces règles de charité – profanes répétons-le – sont reprises selon le même schéma dans le dialogue avec ceux qui sont maudits parce qu’ils sont restés inactifs. Ce parallélisme entre les deux dialogues souligne le souci pédagogique de Matthieu ; à ses yeux, il est urgent d’agir sans attendre la fin des temps, maintenant, là où nous sommes. S’abstenir de faire est de la plus grande gravité et peut mener à la peine éternelle. Aucun texte du Nouveau testament n’insiste autant sur le fait que ne rien faire est impardonnable. Mais en vérité, le jugement dernier n’est pas cité ici pour lui-même ; il semble être cité pour donner un sens à nos vies, pour que nous prenions au sérieux le message évangélique qui met en évidence la nécessité absolue d’être attentif à autrui. Il est vain de penser que l’on peut être chrétien tout seul !

Forts de notre conviction sur l’universalité dans le temps et dans l’espace du message chrétien et portés par l’urgence de traduire en actes l’amour du prochain, il nous est possible d’aborder l’idée de jugement sans en être terrifié, car, dans sa vision eschatologique, Matthieu nous révèle que les « justes » ignorent qu’ils ont servi Dieu en aidant les plus petits et que les « réprouvés » ignorent tout autant qu’ils se sont éloignés de Dieu en ne faisant rien.

Il n’est pas question pour Matthieu de se servir du plus petit à qui l’on rendrait service pour gagner son salut. Il n’y a donc pas de rétribution à attendre ; les œuvres accomplies n’ont pas de signification méritoire. Nous sommes pleinement dans le registre de la liberté, dans le registre de la gratuité et, en conséquence, dans le registre de la responsabilité des hommes.

Cette responsabilité implique que le chrétien reste debout, car à côté de l’amour du prochain il y a de la place pour la foi dans le Christ Sauveur. Pourquoi donc, chères Sœurs et chers Frères aurions-nous peur du jugement puisque le Christ lui-même a subi le jugement des hommes qui n’ont pas hésité à le conduire au supplice de la croix. Les chrétiens, dont vous et moi, doivent donc attendre en confiance le « verdict du souverain Juge » pour reprendre une expression chère aux Réformateurs.

D’ici-là, soyons fidèles à Dieu et attentifs à autrui. Car comme nous le dit Matthieu : à quoi pourrait bien servir une foi qui ne se traduirait pas en actes dans l’obéissance au commandement de l’Amour ? D’autant plus que, chères sœurs et chers frères, et ce n’est pas contradictoire avec l’enseignement de Matthieu, il n’est pas interdit, par surcroît, de se laisser prendre, de se laisser porter par la grâce divine qui, elle, ne se questionne pas.

Amen

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