Difficile d’entrer dans le royaume de Dieu ?

« Difficile (à ceux qui se confient dans leurs biens) d’entrer dans le royaume de Dieu ? »
« Alors, qui peut être sauvé ? » Cette question, les disciples de Jésus la partagent entre eux, peut-être même à voix basse ou à demi-mot ; ils n’osent à peine la poser à Jésus, mais celui-ci l’entend. Jésus vient d’être arrêté sur le chemin par un homme qui l’interrompt et se jette à ses pieds. Il veut savoir que faire pour hériter la vie éternelle et pose la question à Jésus. Il croit que c’est l’observation rigoureuse des commandements qu’il lui fera hériter la vie éternelle. Jésus lui répond qu’il lui manque une chose : se défaire de ses biens matériels, tout vendre pour le donner aux pauvres, avoir un trésor dans le ciel et le suivre. Et Jésus d’insister : Qu’il est difficile à un riche, à ceux qui ont des biens, d’entrer dans le Royaume de Dieu. Les disciples, plus étonnés encore, impressionnés, se disent alors les uns aux autres : « Alors, qui peut être sauvé ? » Et Jésus de répondre : C’est impossible pour les humains mais non pas pour Dieu, car tout est possible pour Dieu.

Je voudrai reprendre avec vous ce matin, l’expression suivante : Tout est possible à Dieu. Dans le cadre de ce texte, cela signifie qu’aucun être humain ne peut se sauver par lui-même ; Dieu seul peut le sauver. Voilà l’affirmation centrale de l’Evangile.  Rien de ce que l’homme fait, en positif ou en négatif, n’a d’incidence sur le fait qu’il sera ou non sauvé. Telle est la justice de Dieu affirmée par Jésus-Christ ; telle est la bonne nouvelle.
Cette justice est bien surprenante, elle nous apparaît comme une injustice flagrante, mais la gratuité, c’est-à-dire le fait que la grâce demeure en dehors du système comptable humain, du conditionnement que nous voudrions lui imposer, est à ce prix : la justice de Dieu est à nos yeux une injustice. Il s’agit donc d’une grâce passive, d’une justice passive, dans laquelle l’homme n’a aucune part. Cela dit, une difficulté demeure pourtant. Cet homme riche est-il oui ou non sauvé ? Le texte ne le dit pas. Le texte dit qu’ « il sera difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu », et même plus précisément, qu’ « il est difficile à ceux qui se confient dans les richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ». Et si cet homme avait renoncé à ses richesses, aurait-il été sauvé ?

Quelque soit la réponse que nous donnons à cette question, nous tombons dans le piège. Dieu seul sauve ; Dieu seul sait qui est sauvé ou non. Quelque soit la réponse que nous donnons, nous nous arrogeons une connaissance qui n’appartient qu’à Dieu seul. Même avec les meilleures intentions du monde, les plus purs raisonnements théologiques, vous le voyez, il est possible de tomber dans le pire obscurantisme, dans le péché par excellence : la prétention de connaître la décision de Dieu ; autrement dit, la prétention de nous mettre devant les hommes à la place de Dieu, quittant la place de l’homme devant Dieu.

Considérons alors la question du salut comme définitivement réglée pour chacun des hommes, car cette question est soustraite aux mains des hommes.  Mais Pourquoi, Marc fait-il dire alors à Jésus qu’ « il sera difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu », autrement dit qu’il sera difficile d’être sauvé ?  Cela sous-entend, me semble-t-il, qu’il y a quelque chose en notre pouvoir pour entrer dans le royaume de Dieu. Est-ce seulement pour que les disciples se retranchent dans les dernières limites en posant la question : Qui peut être sauvé alors ? Question qui reçoit cette réponse tranchante : personne ne le peut, ce n’est dans la possibilité de personne, « c’est impossible à l’homme, mais non à Dieu : car tout est possible à Dieu. » Est-ce seulement pour donner la réplique à Jésus ? Ou y a-t-il autre chose ? Peut-on être sauvé à notre insu, voire contre notre gré, notre assentiment, contre notre propre volonté ? Est-on libre ? Si nous ne sommes pas libres d’être sauvés ou non, d’entrer ou non dans le royaume, quelle place occupons-nous ?
Si nous disons qu’il y a un choix à faire pour être sauvé, nous reconnaissons que Dieu ne peut pas tout, qu’il faut notre assentiment pour que l’action de Dieu s’accomplisse.  Si nous disons qu’il n’y a aucun choix à faire, l’homme n’a aucune responsabilité dans son salut, il n’a rien à faire, et quoi qu’il fasse, il ne saurait être rayé de l’élection ou y être admis ; du coup, il faut même admettre qu’il peut se conduire comme le pire des salauds, ça ne changera rien.  Nous sommes dans une impasse.
Dans un cas comme dans l’autre, nous perdons l’espérance : d’un côté, car si Dieu ne peut pas tout, le possible ne traverse plus l’impossible, ils sont tous les deux séparés irrémédiablement ; de l’autre, car si l’homme ne change pas sous l’effet de la grâce, alors aucun changement n’est possible. Ces deux voies mènent au désespoir de ne voir jamais rien changer sur cette terre.
Reprenons alors à partir de cette phrase : Tout est possible à Dieu ; Il y a deux autres passages où ces mots sont repris dans l’évangile de Marc : Tout est possible à celui qui croit (9, 23 la guérison de l’enfant épileptique) ; Tout est possible à toi (14, 36 la prière d’agonie de Jésus à Gethsémani).
Tout est possible à celui qui croit

Jésus entend la prière d’un homme, et par cette prière le fils de l’homme est guéri. Cette prière la voici : je crois, viens à mon secours parce que je ne crois pas.
Cet homme se tient dans une position contradictoire, paradoxale. Il proclame sa foi en reconnaissant qu’il n’en a pas. C’est au moment où il se reconnaît comme sans foi, qu’il reçoit la foi.  Il reconnaît par-là que la seule foi qui sauve, ce n’est pas celle qu’il croit posséder, mais au contraire celle qu’il n’a pas, celle que seul Dieu donne, celle de Jésus-Christ. Etre sauvé par la foi, ou plus précisément au moyen de la foi, c’est être sauvé par Jésus-Christ, en Jésus-Christ.

Etre croyant, ce n’est pas croire en Dieu, comme si nous décidions de croire ou non, et proclamer dans quel camp on est. Non, être croyant, c’est croire que Dieu croit.  On n’a pas la foi comme on a de l’intelligence, de la générosité, de la grandeur d’âme. On est dans la foi, c’est-à-dire que nous reconnaissons ne pas avoir la foi, mais que seul Dieu a la foi, car il est la foi.

Etre croyant, c’est être dans la foi
sans foi aucune qui nous est propre,
mais debout devant Dieu par la foi de Dieu.

Tout est possible à toi, Père

Jésus prie avant d’être livré. La tristesse s’empare de lui, l’angoisse l’étreint, il ne veut pas y aller. Il ne veut pas aller à l’abattoir, à une morte certaine lente et violente. Il invoque son Père, le Tout-Puissant. Le Tout-Puissant, celui dont le nom provoque crainte et tremblement. Celui qu’on ose à peine nommer tellement on se sent tout petit, et être tout petit, ce n’est pas à la mode aujourd’hui, c’est dépassé.
Il invoque le Tout-Puissant pour échapper au triste sort qui l’attend. Mais nous, le Tout-Puissant, on ne l’aime pas bien, on le trouve cruel, dur et sévère. Mais le Tout-Puissant, c’est celui qui peut tout, changer un riche en pauvre et un pauvre en riche, une malédiction en bénédiction et un mort en un être vivant. Mais on ne l’aime pas bien, on s’en méfie de ce Tout-Puissant, parce qu’on se demande bien ce qu’il veut ce Tout-Puissant.
Et Jésus s’en remet à la volonté du Père et non à la sienne. Il se confie dans la volonté du Tout-Puissant et non dans la sienne. Et il boit la coupe qu’il voulait voir s’éloigner. Il a fait ce choix. Il a fait le saut de la foi, et ce saut il l’a accompli pour nous.

Aujourd’hui, mon frère, ma sœur, l’Evangile te l’annonce : Comme Jésus a regardé l’homme riche, comme Jésus a regardé ses disciples, Le regard d’amour de Dieu se pose sur toi et sur ta vie. Tu es précieux à ses yeux et parce que Dieu t’aime, ta vie a du prix.
Amen !

 

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