Dieu et le Père Noël – Etude comparative

Lecture Biblique : Matthieu 2,1-23

Prédication :

Je voudrais laisser un bon tuyau aux enfants désireux d’embarrasser leurs parents… Incidemment au cours du repas de Noël, entre deux débats enflammés autour de Greta Thunberg, la réforme des retraites et la grève à la RATP grâce aux arrêts-maladie de complaisance, vous n’avez qu’à glisser dans la conversation : « Dis-maman, Dieu et le Père Noël c’est pas un peu la même chose ? » Inévitablement vous entendrez quelques borborygmes et autres bredouillements emberlificotés…  N’hésitez pas à répéter un peu plus fort la question si d’aventure les adultes font semblant de ne pas avoir entendu, au besoin en précisant la question : « Dis, maman, Dieu c’est comme le Père Noël, non ? C’est un truc qu’on fait croire aux enfants, pour leur faire avaler des trucs incroyables comme Marie vierge et enceinte… Et puis quand on est grand plus personne n’y croit… n’est-ce pas ? Comme toi et Papa, par exemple ? »

Bien sûr, on est tenté dans un premier mouvement de répondre par une dénégation aussi vigoureuse que catégorique, un brin scandalisée : « Non, bien sûr que non, cela n’a rien strictement rien à voir ! » D’abord, la naissance de l’un se fête le même jour que le passage annuel de l’autre. Vous voyez bien que cela n’a rien à voir ! Et puis, si l’on allume des bougies, si l’on décore la maison, si l’on se rassemble en famille, bien sûr c’est pour se réjouir de… de quoi au fait ? Des cadeaux que l’on reçoit ce jour-là ? De la naissance de Jésus ? « Et puis flûte ! On se réjouit parce qu’on se réjouit, Dieu n’a rien à voir avec le Père Noël un-point-c’est-tout-et-ne-m’embête-plus-avec-tes-questions-bêtes. » C’est toujours ce que disent les adultes quand ils sont troublés.

Alors, est-ce que Dieu, c’est comme le Père Noël ?

Question aussi incongrue que troublante s’il en est. A moins aussi incongrue et troublante que celle posée par les savants venus d’Orient quand ils arrivent à Jérusalem : Où est le roi des juifs qui vient de naître ? Le roi des juifs, à l’époque, on le connaît. Il s’appelle Hérode le Grand, Horedos Agadol en hébreu, Caius Iulius Herodès pour les romains. Et bien sûr, il ne vient pas de naître puisqu’on sait par les écrits de Flavius Josèphe qu’il est fils d’Antipater né à Ascalon en 73 avant Jésus et roi de Judée bien installé depuis 35 ans au moment des faits. Question troublante : pourquoi parler d’un roi qui vient de naître quand il y en a un bien vivant sur le trône ? Et question tout aussi troublante : si le Père Noël il n’existe pas, pourquoi les vrais cadeaux que l’on peut toucher sont faits en son nom ? Comment réagissons-nous quand nous arrive une question aussi troublante qu’incongrue ? Allons-nous lever les yeux pour scruter le ciel à la recherche d’un signe évident, comme un astre, une étoile, quelque chose qui puisse nous aider à y voir clair ? La question est là : Quand le roi Hérode apprit cette nouvelle, il fut troublé – très inquiet – voire bouleversé (dit même le texte biblique) ainsi que toute la ville de Jérusalem. Après tout, il aurait pu s’en moquer, passer outre, rire et décider que ces mages venus d’Orient n’étaient que des hurluberlus sans intérêt qui ne font que poser des questions incongrues (un-point-c’est-tout ! et puis tu devrais aller jouer avec tes cousins au lieu de nous ennuyer avec tes questions). Seulement, Hérode est bouleversé. La puissance du grand roi est ébranlée par une simple question. Comme quoi… la puissance n’est jamais aussi puissante qu’on le suppose quand une simple question incongrue peut bouleverser le sommet du pouvoir et quand une naissance aussi anodine que celle de Jésus est capable de faire trembler un trône apparemment solidement établi.

Hérode est ébranlé alors il fait ce que l’on fait toujours dans ces cas-là, il cherche à se rassurer. Il convoque les spécialistes, il consulte les experts, il crée une commission had-hocIl réunit tous les grands prêtres et les spécialistes des Écritures, et leur demanda où le Messie devait naître. Vous verrez, les enfants, quand les parents sont embarrassés par une question, ils ont exactement la même réaction : « Tu sais, il faut demander au pasteur, lui il saura répondre à ta question… »  Hérode compulse les grimoires anciens : surtout ne négliger aucun « détail » qui pourrait ensuite s’avérer d’une importance capitale. Parce que c’est cela, être troublé : insidieusement, ce qui semblait clair et limpide devient flou et trouble. Ce qui était évident l’est moins. C’est le grain de sable qui enraye la mécanique bien huilée, l’émotion inattendue qui vient tout d’un coup vous empêcher de raisonner comme vous l’auriez fait habituellement. Oui, Hérode est troublé et il prend ce trouble très au sérieux. Comme les parents quand on leur pose une question incongrue… Voici donc un roi inquiet au point de convoquer en secret les savants de passage pour essayer d’en faire des espions malgré eux : Allez chercher des renseignements précis sur l’enfant ; et quand vous l’aurez trouvé, faites-le moi savoir, afin que j’aille moi aussi me prosterner devant lui…

Il faut saluer l’intuition du roi Hérode qui flaire une question potentiellement importante derrière un fait apparemment anodin ? Gouverner, c’est prévoir. Pour ne pas se voir détrôné, pour garder son sceptre et ses hochets du pouvoir, il doit mener l’enquête. Tout de suite, Hérode se place sur la défensive et s’installe sur le registre de la guerre. Il lui faut découvrir les plans l’ennemi pour tenter de les déjouer. Et cet ennemi, c’est Dieu. Alors il cherche les plans de l’ennemi dans ce qu’ont dit les prophètes, ce qui est écrit dans la Bible : Voici ce que le prophète a écrit : Et toi, Bethléem terre de Juda, tu n’es certainement pas la moins importante des localités de Juda : car c’est de toi que viendra un chef qui conduire mon peuple Israël. Mais connaître les plans de l’ennemi ne suffit pas à les déjouer, et nous savons tous qu’il ne réussira pas à éliminer Jésus.

Je me demande si nous ne ressemblons pas souvent à Hérode avec cette inquiétude sourde qui nous habite face à l’inattendu, devant le moindre grain de sable venu bouleverser nos prévisions, chahuter nos plans, bousculer nos traditions. Toute nouveauté est forcément perturbatrice et les fondamentalistes de tout-poil sont des gens qui ont peur de l’avenir. Ils se sentent en insécurité dans un monde qui bouge trop vite. Ils ont le sentiment de ne rien maîtriser alors ils se figent sur la défensive, développant un syndrome de persécution, se cherchant un ennemi à combattre. Le trouble qui peut être le nôtre quand les choses ne se passent pas exactement comme nous les avons prévues, dans nos vies ou dans l’Église, a souvent pour conséquence de nous faire déterrer la hache de guerre et endosser une armure pour nous protéger des questions incongrues comme des innovations déroutantes. En rangs serrés, à l’attaque, sus aux fauteurs de troubles !

Et les savants eux ? Furent-ils troublés eux-aussi ? Sans doute suffisamment intrigués pour traverser déserts arides et régions hostiles à la suite de l’inaccessible étoile chantée par Jacques Brel. Sans doute également ont-ils été surpris de ne pas trouver à Jérusalem celui qu’ils cherchaient… Alors retrouvant la trace de l’étoile sur le chemin de Bethléem, ils se remettent en route. Oui, à n’en pas douter les mages ont été eux aussi troublés. Mais eux réagissent différemment du roi Hérode. Peut-être ont-ils moins à perdre ? Toujours est-il que les savants ne partent pas en guerre. Ils choisissent de se laisser guider par leurs intelligences et leurs recherches astronomiques. Et cela les amène aux pieds d’un enfant nouveau-né dont ils ignorent tout. Est-ce que cela rentrait dans leur logique ? Les peuples d’Orient étaient-ils déjà à l’époque plus portés à suivre le hasard des vents de l’existence, à scruter le ciel à la recherche d’un signe des temps ? Sans doute que leur culture de la question et de l’intelligence les prédispose à rester ouverts à l’inattendu, à se laisser bousculer par les questions incongrues. J’aime à penser que le récit biblique valorise le cheminement de scientifiques incroyants au détriment des institutionnels de la religions et des hommes de pouvoir.  En tout cas, là où Hérode se crispe et entre en guerre contre un ennemi qui le fragilise, les mages vont et viennent, voyagent avec aisance à la rencontre de Dieu.

Il y a là deux façons si différentes de vivre le trouble jeté parfois dans nos vies par les questions que nous qualifions trop rapidement d’incongrues. Parce que, au fait, est-ce que Dieu c’est comme le Père Noël ? Si je suis l’intuition politique d’Hérode ou la sagesse orientale des mages, il ne faut pas éluder trop rapidement cette question qui n’est pas si incongrue que cela. Est-il possible de comparer Dieu avec le Père Noël ?

Non, si le Père Noël n’est que ce vieux bonhomme à barbe que l’on voit devant toutes les devantures de magasins et qui s’entoure toujours des mêmes décors rouge et vert. Non si le Père Noël est celui qui récompense les enfants sages qui ont déjà tout réussi à l’école, donnant toujours plus à ceux qui ont déjà tout en main pour réussir. Non, si le Père Noël est ce gardien de nos bonnes vieilles habitudes immuables qu’il ne faut surtout pas toucher, celui qui chaque année nous fait organiser le même réveillon avec la même famille et la même fausse surprise au moment d’ouvrir les paquets (parce qu’on sait ce qu’il y a dedans puisque c’est ce que l’on a commandé au Père Noël). Non, si le Père Noël c’est la fête des enfants riches qui se gavent de jouets en fermant les yeux sur les ¾ de l’humanité. Si le Père Noël c’est ça, alors non, effectivement, Dieu ne lui ressemble pas.

Mais si le Père Noël est celui qui émerveille, qui provoque une émotion, qui jette le trouble dans le cœur des enfants au point de perturber leur sommeil cette nuit-là, alors peut-être que Dieu lui ressemble un peu. Si de temps en temps il semble se tromper de cadeau, mettre dans nos chaussures quelque chose d’inattendu, de surprenant, de déroutant qui nous remplit de joie et d’espérance en nous faisant découvrir l’amour d’un autre, si juste qu’il sait mieux que nous-mêmes ce qui remplit nos cœurs, si le Père Noël ressemble à ça, alors peut-être que Dieu lui ressemble un peu.

Car si le Père Noël chaque hiver nous apporte la même fête, Dieu, avec la naissance de Jésus-Christ, vient faire le trouble… fête. Il est Celui qui vient mettre un peu de surprise et de nouveauté dans ce qui sinon ne serait que la répétition immuable du même rituel obligatoire. Celui qui dérange, notre poil-à-gratter, qui nous ouvre des horizons nouveaux plutôt que de nous enfermer. A condition seulement que nous nous laissions troubler par cet enfant qui vient et nous pose des questions incongrues. Amen.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *