Lectures Bibliques : Jean 20,26b-29 Luc 24,1-12
Prédication
Le dimanche matin, très tôt, les femmes vont vers la tombe. Elles entrent, mais elles ne trouvent pas le corps du Seigneur Jésus. Elles ne savent pas ce qu’il faut penser. Et nous non plus, d’ailleurs ! Le corps de Jésus n’est plus dans la tombe, c’est un fait qui n’est contesté par personne. Ni par les soldats romains envoyés par Pilate pour garder la tombe, ni par les prêtres et les pharisiens qui veulent faire croire qu’on a volé le cadavre (Mt 28,11-15). Sa propre mère témoigne avec d’autres femmes. Mais on se méfie… Les apôtres pensent qu’elles disent n’importe quoi, et ils ne les croient pas. D’ailleurs l’Evangile de Marc affirme même d’une manière quelque peu sexiste qu’elles s’enfuirent, tremblantes et bouleversées, et qu’elles ne dirent rien à personne parce qu’elles avaient peur (Mc 16,8) ! Vous avez Thomas qui ne croit que ce qu’il voit. Vous avez aussi ces disciples qui discutent avec lui pendant tout un trajet de Jérusalem à Emmaüs sans jamais le reconnaître. Et même quand il apparaît en Galilée, certains hésitent encore à croire (Mt 28,17). Bref : hier comme aujourd’hui on se méfie à juste titre des informations fallacieuses qu’on les appelle fake-news, infox, fausses nouvelles, hoax ou autre. On serait disposé à croire que l’incendie de Notre Dame est un attentat, qu’on n’a jamais marché sur la lune, que les attentats du 11 septembre ont été planifiés par la CIA, que Mickaël Jackson n’est pas mort, qu’on est gouvernés par des reptiliens ou pire encore que l’homéopathie est plus efficace qu’un placebo… Mais croire en la résurrection de la chair, nous avons des doutes. Voire plus… J’ai commis cette semaine un édito pour l’excellent hebdomadaire protestant de référence que vous trouverez en cadeau à la sortie de ce temple. Et dans cet édito, je partais du constat que la résurrection de la chair était devenu, me semble-t-il, un point aveugle de la foi chrétienne. Personne n’y croit plus vraiment et nombreux sont ceux qui, au moment de réciter le Credo, dit Symbole des Apôtres, s’abstiennent de prononcer la phrase fatidique : « Je crois à la résurrection de la chair », pratiquant une sorte de « restriction mentale » m’a-t-on dit. Et ce jusque dans le corps pastoral, si j’en crois la protestation posée sur les réseaux sociaux par un de mes collègues et néanmoins ami qui s’insurgeait que je puisse écrire « Nous, chrétiens, nous croyons à la résurrection de la chair. »
Et pourtant je persiste et je signe. Permettez-moi de citer l’apôtre Paul dans sa première lettre aux Corinthiens : Nous annonçons que le Christ s’est réveillé de la mort. Pourtant, parmi vous, certains disent : « Les morts ne se relèveront plus. » Comment peuvent-ils dire cela ? Si les morts ne se relèvent plus, le Christ non plus ne s’est pas réveillé de la mort. Et si le Christ ne s’est pas réveillé de la mort, nous n’avons rien à annoncer, et vous n’avez rien à croire. Votre foi est vide et vaine. (1 Co 15,12-14) Je ne ferai pas l’injure au peuple protestant de lui rappeler l’autorité souveraine des Ecritures en matière de foi parce que je crois que l’argument d’autorité serait une manière de tuer la réflexion et le débat. Mais est-ce qu’il existe une autre résurrection que celle de la chair ? Avons-nous déjà fait l’expérience de notre âme sans notre corps ? Avons-nous déjà quelque part rencontré un corps sans âme ? Si tout ce qui ancre notre vie, notre existence d’être humain, dans le réel du monde, ce qui nous permet d’entrer dans une conversation, de créer et d’agir dans le monde en assumant notre responsabilité, tout ce qui nous permet d’exister et de perdurer au cours des siècles, tout ce qui nous permet d’aimer et de bâtir des cathédrales, si tout cela disparaît dans les cendres, dans la fumée et dans la mort, alors la foi chrétienne est vide et vaine. Sans doute nous faut-il apprendre à distinguer les termes pour ne plus les confondre.
- Si l’âme est immortelle, alors la mort n’existe pas. C’est une illusion, un non-événement. Et ressusciter n’aurait aucun sens. Si la partie la plus importante de ce qui fonde l’humain n’est pas concernée par la mort, la résurrection devient superflue. Je sais, moi, que la mort est une réalité qui blesse, qui fait mal, qui détruit tout sur son passage. Je ne crois pas que ce soit une illusion. Elle est mon ennemie parce qu’elle nous éloigne de Dieu.
- Si nous croyons en la réincarnation, alors toute vie sur terre devient une perpétuelle punition. A quoi bon lutter contre les discriminations et les injustices si elles ne sont que les justes rétributions des erreurs et des manquements commis dans les vies antérieures ? Je ne crois pas, moi, que la vie sur terre soit une punition dont il faille nous échapper. Je crois, bien au contraire, que la vie est belle et précieuse et que nous sommes responsables de nos actes ici et maintenant.
- Un cadavre qui reprend vie, ce n’est pas la résurrection. Si on prend l’exemple de Lazare l’ami de Jésus, il n’obtient qu’un sursis. Il devra mourir une seconde fois. Un peu comme cette brave dame de 90 ans à Toulouse, brutalement revenue à la vie 2 heures après la constatation de son décès par le médecin de famille. Prolonger la vie ? Pourquoi pas… Mais pour quoi faire ? Et dans quelle condition de santé, de confort de vie, de capacités intellectuelles et physique ? Aucune de nos questions n’est résolue…
Je me demande si le refus de la résurrection de la chair ne traduit pas plus un refus de la chair, du réel et de la vulnérabilité de la vie que celui de la résurrection en elle-même. Au fond, on serait bien d’accord pour ressusciter mais pas dans cette chair-ci, pas dans cette vie-là, pas sur cette terre ! Apparaissent d’ailleurs des questions insurmontables : ressusciter dans un corps ? mais dans quel corps ? à 20 ans ? à 50 ans ? à 80 ans ? La résurrection de la chair est inconsciemment perçue comme une injustice qui se perpétuerait par-delà notre mort alors que nous espérions justement une sorte de remise à zéro des compteurs. On s’imagine la vie dans l’au-delà sans les lourdeurs de l’existence. A quoi cela sert de ressusciter si c’est pour faire durer une situation désagréable ? Au fond, le refus de la résurrection de la chair traduit une haine du corps qui ne dit pas son nom. Haine d’un corps qu’il faut impérativement dompter par des normes esthétiques draconiennes et filiformes, façonner par des régimes, augmenter par des prouesses technologiques qui nous promettent de devenir des surhommes. Haine d’un corps que l’on constate un peu partout percé, tatoué, mutilé au gré des cultures des uns ou des autres, voilé ici tel des fantômes qui hantent nos rues, exhibé là tel de la marchandise avariée qui s’expose sur le net. Haine d’un corps quand on passe tellement de temps à vivre (mais est-ce encore vivre ?) l’esprit scotché, fasciné, absorbé derrière des écrans pour tenter d’oublier la lourdeur d’un corps que nous n’arrivons plus à aimer. Nous, chrétiens, nous croyons à la résurrection de la chair. Parce que le Dieu de Jésus-Christ a fait le choix de prendre corps pour planter sa tente parmi nous. Parce qu’il a fait le choix d’habiter cette chair que nous refusons, d’honorer ce qui est méprisé par tous, de relever ce qui est vulnérable et de rebâtir ce qui est détruit.
Mais comment le dire ? Comment l’expliquer ? Comment le partager ? Eh bien, si vous craignez que votre témoignage soit aussi contesté que celui de ces femmes qui constatent le tombeau vide au matin de Pâques, je vous invite à allumer vos télévisions, tablettes ou ordinateurs pour regarder et faire regarder autour de vous la série la plus regardée au monde : Game of Thrones. Laissez-moi vous résumer l’intrigue.
Il y a d’un côté le monde des vivants dit « Le royaume des 7 couronnes » où, comme partout, l’on se bat pour le pouvoir, le sexe, la gloire, l’honneur, la famille et même la religion. Tout y passe, c’est plus ou moins glauque selon les intrigues qui s’entremêlent en toute ignorance de ce qui se passe de l’autre côté du Mur. Un mur de 700 pieds (210 mètres) de haut entièrement de glace, protégé par les frères de la garde de nuit, sépare le monde des vivants du royaume des marcheurs blancs qui sont, en fait, des morts, des cadavres décharnés qui se préparent à prendre possession du monde des vivants. Bref, l’hiver vient. Et pendant que les vivants se chamaillent dans l’insouciance de leurs propres intrigues, un danger beaucoup plus grand les menace. Un seul est conscient de l’enjeu qui se trame. Et s’il est conscient du danger que représente la mort, c’est que lui-même est mort, trahit et assassiné par les siens, ses frères de la garde de nuit. Mort, il a été ressuscité par le Maître de la Lumière pour rassembler la plus grande armée possible pour combattre et affronter le véritable et unique ennemi qui soit, la mort qui vient inexorablement.
Permettez-moi de risquer une relecture existentielle de ce scénario haletant. Quel sens cela peut avoir pour notre vie ? Le dernier ennemi à vaincre, le seul véritable en fait, c’est la mort. Parce qu’elle détruit tout sur son passage, elle relativise tous les autres combats que nous pourrions mener. Mais nous faisons semblant de ne pas la voir, reléguée derrière un grand mur. Ce mur, nous l’avons confié à des frères de la garde de nuit, les gens de la religion, les prêtres, les pasteurs, les croyants. On a le sentiment que leur mission consiste à préserver l’insouciance des vivants en nous donnant l’illusion que nous sommes à l’abri. Bien entendu ce ne sont que des stratégies de divertissement, obnubilés que nous sommes par nos combats personnels que nous croyons tellement importants mais qui ne font que masquer le seul enjeu qui vaille. Que ferons-nous quand nous serons tous morts ? Qu’est ce qui aura encore de la valeur quand tout aura été détruit ? Quand la série parle de l’hiver qui vient, nous pensons immédiatement au réchauffement climatique qui menace l’existence du monde et l’analogie fonctionne parfaitement. Quel est le propos théologique et spirituel de cette histoire ? Seul un ressuscité peut nous sauver de la mort. Quelqu’un qui est mort trahi par les siens pour assurer le parallèle avec le Christ et qui est revenu de la mort. Et parce qu’il est le seul à avoir affronté le Maître de la Nuit et à être revenu d’entre les morts dans une véritable résurrection de la chair, il est le seul capable de nous arracher au danger qui nous menace tous. Et pour cette raison, il est le seul légitime pour monter sur le trône de fer qui règne sur le royaume des 7 couronnes (7 est un chiffre symbolique qui, selon l’Apocalypse, porte la perfection divine). Et pourtant le ressuscité refuse le trône. Nommé roi sur la seule autorité de ses actes pour sauver les siens, il sacrifie sa couronne pour se mettre au service de tous les vivants, par-delà son propre peuple. Le parallèle biblique est saisissant. L’Evangile de Jésus-Christ raconte la même histoire de ce roi qui refuse le pouvoir pour se mettre au service de la vie, au service de la résurrection de la vie, de la chair, de la personne humaine, de mon existence, de ton existence arrachée au pouvoir de la mort. Pour lui, il ne s’agit pas d’essayer de nous convaincre qu’il est important de croire en la résurrection de la chair – l’Evangile de Luc nous avait déjà prévenu : Même si quelqu’un se lève de la mort, ils ne seront pas convaincus (Luc 16,31) – mais bien de mener la bataille contre la mort. Comme Jon Snow, le héros de GOT, Jésus n’est pas revenu de la mort pour tenter de nous convaincre de l’urgence de sauver la planète mais pour mener le combat avec nous, nous enrôler dans son armée de vivants pour combattre par la foi, ce combat de la vie en son nom. Un combat pour la vie. Voilà ce que nous croyons. C’est le combat que nous menons. Un combat pour les vivants. Amen.
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