Christ est ressuscité, nous ne nous y ferons jamais…

 

Frères et sœurs imaginons nous ces fresques du quatorzième siècle Italien, le trecento, Giotto par exemple, ces beaux visages très calmes très profonds avec ces yeux si typiques des personnages saints qui percent dans les mystères se déroulant devant eux la quintessence mystique de la geste de Jésus.
Figurons-nous le calme et la gravité des saints sur les retables franco-flamands et ceux de la cour de bourgogne du quinzième siècle français. Tout le calme et la gravité de la piété, des nombreuses et profondes écoles spirituelles, autant de sources en Europe qui menèrent à la si féconde et la si spéciale piété d’un Luther et d’un Calvin, si profondes et vivantes qui nous conduisirent aux réformes que nous connaissons, visualisons mentalement ces visages, ces expressions, ces visages qui nous apparaissent fixés pour l’éternité dans une contemplation puissante.

Et bien ici, pas du tout.

Dans l’Évangile de ce dimanche, pas de paix, pas de confiance dans la foi, une surprise et une scène rocambolesque. Ce Jésus qui apparaît et qui disant « La paix soit sur vous » provoque une véritable panique. Mon frère ma sœur, à la lecture de ce texte et à sa méditation je ne peux m’empêcher de me demander : Qu’avons nous fait de l’étonnement de la foi ? Cet étonnement qui permit de précipiter chez les disciples la reconnaissance de Jésus en vérité et qui aboutit à l’intelligence de l’Écriture, passage qui semblât apparaître comme un événement nécessaire.

Il faut constater qu’aujourd’hui, parmi nous et de façon générale, l’Évangile et la prédication chrétienne passent sur nos existences, tel le ressac de la marée, et fait de nous doucement des disciples de Jésus. Et c’est bien. Nous entendons voilà bien des années déjà la bonne nouvelle et la promesse d’une grâce venue d’ailleurs et qui nous comble d’une confiance qui n’a peut être ici plus la saveur nouvelle que nous goûtions à notre confirmation, où bien cette saveur si particulière de cet Évangile qui nous fut prêché un jour si justement que nous nous dîmes : « Je reconnais ce Jésus là, cet évangile est parole pour ma vie. »
Mais nous savons qu’il n’en est pas ainsi toujours et que les émotions des jeunes fiancés estompée il nous faut travailler la foi différemment. Il nous faut entamer un travail d’étude et de prospection, il est nécessaire. Il y a des pistes dans notre texte de ce dimanche.

Comment vivons-nous alors ce lent enseignement chrétien qui n’a pas assez d’une vie pour révéler sa profondeur réelle ? Comment nous souvenons nous de nos yeux ouverts pour cette première fois : qu’avons nous fait de l’étonnement de la foi ?
Revenons à notre texte.

 

  • Une venue en dépit d’une attente quelconque.

Ce Jésus revenu, manifestement personne ne l’attendait de cette manière. Et c’est une correction de l’attente que Jésus provoque par sa venue. Il explique que tout cela devait nécessairement arriver et que tout cela était bel et bien prévu et annoncé dans chaque page de notre Ancien testament, en voilà un correctif étrange. « Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. »
Où y aurait-il eu la place à l’étonnement quand tout était décidément prévu d’avance et annoncé dans le livre saint ? Voilà une parole du Seigneur qui invite à l’humilité.
Comment pouvons nous attendre et prévoir quelque chose quand ce quelque chose nous vient d’un temps à venir ? Ne vous inquiétez pas je ne vais pas m’étendre sur cette veine métaphysique mais ici il me semble que Jésus se joue un peu de l’attente des disciples. En effet la venue de notre Seigneur, sa vie ainsi que sa passion et sa résurrection trouvent leurs racines solide dans l’écriture sainte et dans un passé attesté et solide. C’est l’annonce des voix prophétiques, c’est la grande apogée des tribus d’Israël, le berceau du Christ, ses langes, c’est bel et bien notre Ancien testament, qu’il convient d’étudier et de révérer. Le considérer comme texte passé et périmé par la venue du Christ ne fonctionnerait pas, cela reviendrait à priver Jésus d’origine ce qui est cruel et irrationnel. Je ne résiste pas à l’envie de vous citer ce qu’écrivit le docteur Martin Luther en préface à son édition de l’Ancien testament : « Ce faisant, tu trouveras la sagesse divine, que Dieu présente ici d’une manière si simple et modeste qu’il en étouffe tout orgueil. Ici tu trouveras les langes et la crèche dans lesquels couche le Christ et vers lesquels l’Ange guide les bergers ; ce sont là des langes modestes et sans valeur, mais précieux en est le trésor, le Christ qui couche dedans. »

Les disciples pour cette partie là ont bien vu et bien attendu, ils ont sondé les écritures, tout lu, les connaissent par cœur, les entendent et les commentent toute la semaine durant. Il n’y avait pas de problème à ce sujet.
Mais les disciples n’ont pas pris en compte un deuxième facteur, qui est l’un des sujets centraux de la prédication de Jésus, c’était l’approche du royaume. Et bien ce royaume s’approchant, notre Seigneur devait être attendu du vieux livre d’antan et de ce royaume qui est de demain. Christ l’a prêché ce royaume, et bien ce matin il l’illustre. Ce Jésus est revenu des morts, oui. Ce Jésus revient aussi de son père qui lui est aussi passé, que présent et futur.
Comment pouvions nous nous préparer à accueillir ce matin le royaume à venir. Là ça commence à faire des nœuds dans la tête, je suis d’accord, à moi le premier en préparant cette prédication. Alors bien sûr comprenons Jésus présent parmi nous par rapport à notre culture, ce qui nous a été enseigné, ce que nous sommes, en propre, d’où nous venons. Mais ça c’est la moitié du travail. L’autre moitié c’est l’attente de la potentialité, l’attente de l’avenir, c’est là bel et bien l’espace d’un nécessaire étonnement. Et ici c’est la prière et la prédication qui nous aideront. Intéressons nous à présent à ce Jésus revenu.

 

  • Un esprit bien tangible.

Et voilà aussi un correctif bien étrange, les disciples de Jésus sont terrorisés, croyant apercevoir un fantôme. Mais à la vérité de quoi ont ils peur ? Est ce qu’ils ont peur des fantômes en tant que tel ? Ce qui de ce simple sens n’aurait pas beaucoup de place dans un récit évangélique, ou bien leur peur ne serait elle pas plus théologique que ça ? Ne cherchons pas trop loin et ne prenons pas peur quand on parle d’un sens théologique.
Prenons juste conscience que jusqu’ici les disciples étaient en réalité convaincus de la mort de leur maître Jésus, ça nous pouvons l’entendre, et qu’ils étaient partiellement d’accord pour croire éventuellement sa présence en esprit, ce que nous pouvons aussi facilement concéder tant nous nous rappelons les versets de Jean : « Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité. » Voilà une foi qui n’est pas révolutionnaire dans notre contexte protestant, voilà une foi rangée qui n’étonnera pas. Voilà à quoi on pourrait s’en tenir et même, disons le, se satisfaire.

Mais il n’en sera pas comme ça, Jésus apparaît au milieu d’eux en chair et en os. Et ici il n’y a pas de place pour un adoucissement métaphorique de la réalité, chaque intervention de Jésus pare les mouvements de l’esprit qui cherchent une réalité autre qu’elle n’apparaît devant les yeux, Jésus le sait bien : « Quel est ce trouble, et pourquoi ces objections s’élèvent elles dans vos cœurs ? » Et voici notre Seigneur qui montre ses mains et ses pieds. Voici notre Seigneur qui demande à manger et qui consomme un poisson devant leurs yeux.
Quand on dit parfois que Jésus est au milieu de nous ce n’est pas simplement que nous pensons fort à lui et que son esprit nous accompagne, il nous est aussi dit là que par le principe d’incarnation et sa présence réelle est bien concrète et totale. Nous prêchons un Jésus incarné qui a vécu, qui a marché, qui a eu mal, qui a douté, qui a aimé, qui a eu faim et qui a mangé.

Cela change de nos images d’Épinal avec un Christ sans tâche, coupe de cheveux parfaite et toujours en train de lever un doigt et de dire une Parole, et bien ici imaginons le assis à même la terre à manger un poisson rôti de ses doigts et à trier les arêtes. « Ils lui offrirent un morceau de poisson grillé. Il le prit et le mangea sous leurs yeux. » Oui cela à de quoi surprendre, cela à de quoi surprendre particulièrement quand nous avons niché notre Dieu sur une étagère très haute en dehors de toute réalité terrestre et aussi admirable qu’il est éloigné. Et bien ici notre Dieu mange du poisson avec ses disciples et c’est étonnant. Ce n’est pas étonnant à moitié, c’est étonnant complètement. Il y a des langues où les objets ou sentiments les plus communs ont une grande diversité de synonymes, Comme par exemple la langue traditionnelle écossaise aurait 421 mots pour dire la neige, et bien ici dans 14 versets de notre évangile ces 4 mots différents qui sont utilisés pour dire l’étonnement, la surprise, la terreur et l’émerveillement.

Alors en ce deuxième dimanche de Pâques revenons un peu de la sidération de la résurrection, de la sidération que ce Dieu que nous concevions très haut, très étranger, très puissant, ce super héros des âges de l’enfance était en réalité bien autre, que ce matin il ne cesse de nous surprendre avec ces phrases forçant la remise en cause de nos croyances : « regardez mes mains et mes pieds », « donnez moi de quoi manger ». Quelles paroles plus humbles que ces paroles d’un ami, celles d’un prochain qui ne demande qu’une simple reconnaissance de sa présence. Et cela fut bien difficile pour les disciples qui n’attendaient pas cela.

Ces disciples pour qui tout était joué d’avance, que Jésus resterait dans la tombe et que Dieu resterait au ciel. Il n’en fut pas ainsi. Et à cette reconnaissance les disciples comprirent et leur compréhension des écritures fut ouverte. Voilà ce qui se joue ici, ce sont les dimensions les plus simples et les plus fondamentales de notre rapport à Dieu et à notre existence, une reconnaissance : celle de la simple existence de ce Jésus qui au milieu de nous nous dit humblement : « La paix soit avec vous. »

C’est ce simple mouvement de notre regard qui verra sans trop de cogitation les simples mains et les simples pieds de Jésus. C’est cette humble reconnaissance qui sait entendre quand il nous demande humblement un peu de ce qui cuit sur le feu.
C’est cette simple écoute qui entendra ce qu’il aura à nous dire. Et c’est ainsi que sont données les bases les plus sûres et les plus fondamentales de l’intelligence des Écritures, ce sont ici les bases de la foi qui viennent d’être jouées dans cette rencontre improbable, ce dernier rendez vous qui clôt notre Évangile entre notre Seigneur ressuscité et ses disciples.
Elle se fit dans un étonnement bien nécessaire.

 

  • En somme : l’étonnement est une démarche spirituelle nécessaire.

Pourvu qu’il y ait toujours assez de place dans nos cœurs pour accueillir la surprise de Dieu, pourvu qu’il y ait assez de place dans notre cœur pour nous laisser parfois détourner par une Parole. Pourvu qu’il y ait assez de place dans nos cœurs pour nous laisser transformer par cette nouvelle, Christ ressuscité,

Amen.

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