« Aussitôt dit, aussitôt fait ! »

« Qu’est-ce que l’homme, pour que tu en fasses tant de cas, pour que tu le prennes tellement à cœur ? » (Job 7,17)

Frères et sœurs, je commence cette prédication avec la citation d’une phrase du livre de Job. Cette phrase, cette question est tirée du même chapitre dont nous avons entendu la lecture tout à l’heure, le chapitre 7 du livre de Job.
Frappé de terribles malheurs, Job répond à l’un de ses amis qui tente de le réconforter.
Dans sa réponse, il crie aussi sa douleur et son incompréhension à l’Eternel Dieu : « Qu’est-ce que l’homme, pour que tu en fasses tant de cas, pour que tu le prennes tellement à cœur ? » (Job 7,17)

C’est en effet une question qui se pose. Que suis-je, pour que Dieu s’intéresse à moi ?
Au nom de quoi Dieu devrait-il se préoccuper de l’être insignifiant que je suis, avec mes petits problèmes, mes petits soucis et mes petits projets qui la plupart du temps n’intéressent personne, et dont la plupart du temps je fais moi-même semblant de me préoccuper ?

Frères et sœurs, Est-ce qu’il n’y a pas des moments où on en a assez ? Où on n’a plus qu’une envie, c’est de tout lâcher, tout laisser tomber, tout envoyer balader de cette vie ennuyeuse où rien ne rime à rien ?

Je vous entends déjà répondre …

Oh, n’allons pas trop vite répondre à ces questions en disant : « Oui, mais quand même il faut bien vivre, il faut bien faire son travail, assumer ses responsabilités, accepter la vie telle qu’elle est même si ce n’est pas facile ni amusant tous les jours, etc., … Et puis, ne soyons pas si pessimistes, il y a l’espérance, un jour les choses s’arrangent, et puis de toute façon Dieu est avec nous et il nous aime et veille sur nous, et patati et patata… »

Stop ! Je vous arrête tout net ! Pas si vite ! …
Il y a vraiment des moments où on n’en peut plus.
Il y a vraiment des moments où on ne voit aucune issue et où on se demande « à quoi bon tout ça, à quoi ça rime ? », et des moments comme ça il y en a plus souvent qu’on ne veut bien le reconnaître.

Dans des moments comme ça, les gentilles paroles de consolation, elles ne servent à rien. Et peu importe si c’est le pasteur Bible en main qui les prononce ! Quand l’angoisse et la culpabilité sont là, ça ne sert à rien de dire « il faut déculpabiliser ».
Ecoutez Job qui se tourne et se retourne sur sa couche, toute la nuit, sans trouver le sommeil : « Lorsque le soir se prolonge, alors je suis rassasié d’agitations jusqu’au point du jour ».

Ecoutez Job qui prend toute la mesure du dérisoire de l’existence humaine : « Mes jours sont plus rapides que la navette du tisserand ; ils s’évanouissent : plus d’espérance ! » – littéralement : « plus de fil » !

Il n’y a plus de fil, la bobine arrive au bout, la vie humaine est comme un rien, et Job a raison de dire : « Souviens-toi que ma vie est un souffle … bientôt tes yeux me chercheront, et je ne serai plus ».

Job a raison, je le sais, et vous le savez aussi.
Nous avons beau nous bercer de promesses d’immortalité, nous avons beau faire semblant de ne pas voir que le temps passe et qu’il emporte tout, nous savons que Job a raison.

Alors oui : qu’est-ce que l’homme, pour que Dieu en ait souci, qu’il daigne prendre garde à lui ?
Avec toute ma misère, avec toutes mes mauvaises pensées, avec tout le poids des fautes réelles ou imaginaires qui pèsent sur mes épaules, avec mes petites prétentions mesquines à être quelqu’un d’important, avec mon désespoir de n’être qu’une ombre qui passe : que suis-je, pour que Dieu aie souci de moi ?

Comment Dieu, dans sa gloire, dans sa majesté, dans sa toute puissance, dans son éternité, dans sa perfection, bref dans sa divinité – comment Dieu peut-il avoir souci de moi qui ne suis qu’un souffle ?

Il faut bien le dire et le redire : comment Dieu dans sa bonté peut-il en avoir quelque chose à faire de moi qui suis mauvais ?

Comment Dieu dans sa pureté, peut-il en avoir quelque chose à faire de moi qui suis impur ?

Comment Dieu, qui est tout, peut-il en avoir quelque chose à faire de moi qui ne suis rien ?
Pour éclairer cette question, je vous propose un détour par le passage lu dans l’Evangile de Marc.

Voyons un peu ce qui s’y passe …,
Relisons les trois premiers versets  (Marc 1, 29 à 31). Ce récit de la guérison de la belle-mère de Pierre nous frappe par sa sobriété. « Aussitôt dit, aussitôt fait »
Point de cris, point de larmes, pas une seule parole ne nous est racontée à la première personne. Les phrases : courtes, sobres, sans artifices. On peut avoir l’impression que l’évangéliste Marc reste à distance, qu’il ne veut pas trop s’impliquer dans cette histoire. Or, cette impression de distance est trompeuse, bien sûr que Marc est embarqué dans cette histoire. Il est témoin de la foi en Christ, et il invite le lecteur, la lectrice à le rejoindre dans la foi au Christ crucifié et ressuscité !

Car si nous lisons ce récit avec plus d’attention, nous nous rendons compte que ce qui peut nous paraître au premier abord comme un compte rendu objectif, sobre, presque banal d’une guérison, est pourtant plein de sens et de signification profonde aussi pour notre vie de chrétien  d’aujourd’hui. Chaque mot a sa valeur, pas seulement matérielle, extérieure, mais quasiment chaque mot a aussi sa valeur spirituelle, théologique, qui exprime quelque chose de notre relation à Dieu ou de Dieu avec nous.

Je relèverai trois points :

On est un jour de shabbat. La belle-mère de Simon est couchée, elle a de la fièvre. Il y a donc au moins trois bonnes raisons, trois raisons indiscutables, pour que Jésus ne s’intéresse pas à elle.
Premièrement, c’est shabbat. Ce jour est saint, il est mis à part pour Dieu et il est strictement réservé à l’étude de la Bible et à la prière. Il ne faut rien faire, c’est un jour sacré. Donc, même si Jésus voulait faire quelque chose pour la belle-mère de Simon, en tant que juif respectueux des commandements et désireux de plaire à Dieu, il ne le peut pas, il n’en n’a pas le droit. Il lui faut préserver la pureté de ce jour.

Deuxièmement, la belle-mère de Simon est… une femme ! En tant que femme, elle n’a rien à attendre d’un homme, surtout d’un rabbin respectueux de la religion. D’ailleurs Jésus et ses disciples reviennent de la synagogue – où il n’y a que des hommes… Vous remarquerez d’ailleurs qu’elle n’est même pas nommée, elle est juste mentionnée en tant que belle-mère, comme si Marc voulait insister sur le fait qu’en tant que telle, elle compte pour rien, ou presque rien.

Troisièmement, elle a la fièvre. Autrement dit, elle est malade, et comme telle, elle est considérée comme impure par la Loi juive. Je vous rappelle un passage de cette Loi dans le livre des Nombres (5,3), au sujet des personnes considérées comme impures : « Homme ou femme, vous les renverrez hors du camp, afin qu’ils ne rendent pas impur le camp au milieu duquel je demeure. » Exclure dans le but de préserver la santé de la communauté.

Donc, la belle-mère de Simon a au moins trois raisons d’être laissée à l’écart de Jésus : c’est shabbat, elle est une femme, et elle est malade. Elle réunit tous les critères de la personne insignifiante et impure, qui doit être laissée de côté, dont il faut s’écarter. En somme elle est intouchable. Or, par quel geste Jésus la guérit-elle ? Justement, il la touche. « Il s’approche, et la fait lever en lui saisissant la main. » littéralement, la ressuscite.

Méditons bien la portée de geste. Jésus fait exactement le contraire de ce qu’un juif pieux devrait faire, spécialement ce jour-là et avec cette personne-là. Il transgresse le shabbat, il ne respecte pas la pureté de ce jour saint. Il s’approche d’une femme malade qui devrait être tenue à l’écart comme impure, et il prend sa main. Il touche l’intouchable.
S’il y a un miracle dans ce tout petit récit, c’est bien celui-là. Jésus touche l’intouchable. Il s’approche de celle dont il ne devrait pas s’approcher. Il se fait son prochain !
Mais il nous faut faire un pas de plus.
Qui est Jésus, en effet ?

Marc nous l’a bien précisé au tout début de son évangile : « Évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu » (Marc1,1). Autrement dit, celui qui s’approche de l’être insignifiant et impur, celui qui transgresse les commandements, c’est précisément celui qui ne devrait pas le faire : le Christ, le Fils de Dieu ! Ce qui veut dire qu’en Jésus, c’est Dieu lui-même qui se retourne contre Dieu ! Dieu fait ce que Dieu ne devrait pas faire. Dieu fait ce que Dieu ne peut pas faire. Dieu est ce que Dieu ne peut pas être. Voilà la révolution de l’Évangile !

L’Évangile nous annonce un nouveau visage de Dieu, un Dieu qui ne reste pas éloigné de l’insignifiant pour préserver sa majesté, un Dieu qui ne se détourne pas de l’impur pour préserver sa pureté. Et voilà pourquoi l’Évangile est une révolution : parce que, contrairement à ce que nous croyons, il nous annonce un Dieu qui n’est pas intouchable !

Je disais tout à l’heure : comment Dieu dans sa pureté, peut-il en avoir quelque chose à faire de moi qui suis impur ? Comment Dieu, qui est tout, peut-il en avoir quelque chose à faire de moi qui ne suis rien ? Eh bien la voilà, la réponse de l’Évangile. Peu importe ce que je suis, il n’empêche que Dieu a souci de moi.

Jésus me révèle un Dieu qui s’approche de moi, même si je n’en suis pas digne.

Jésus me montre un Dieu qui me touche, même si je suis intouchable.

Jésus me dévoile un Dieu qui se fait mon prochain, même si je suis éloigné de moi-même.

En somme, Jésus me révèle que la divinité dont j’accable Dieu, Dieu n’en veut pas. Dieu ne veut pas préserver son image de pureté, de perfection, de grandeur. Il ne veut pas qu’on défende son honneur, il ne veut pas qu’on le rende intouchable. Ce n’est quand même pas pour rien qu’il a choisi de se révéler sur une croix, c’est-à-dire là même où l’honneur de Dieu est bafoué !

Non frères et sœurs, l’Évangile ne nous enseigne pas à préserver la pureté de Dieu. L’Évangile ne fait pas de nous des chiens de garde prêts à toutes les violences pour protéger l’image d’un Dieu intouchable autant qu’inaccessible. Et pas plus que cela l’Évangile ne nous exhorte à convoiter d’être plus purs, moins insignifiants, irréprochables moralement et religieusement.
L’Évangile nous enseigne au contraire à laisser Dieu s’approcher de nous, là où nous sommes, et à le laisser toucher nos vies dans ce qu’elles ont de moins reluisant et de moins glorieux, pour que nous soyons relevés et guéris de nous-mêmes.

A l’image de la belle mère de Simon, c’est ainsi que nous serons des serviteurs fidèles.
« la fièvre la quitta et elle se mit à les servir »

Si l’évangéliste Marc met l’accent ici sur le service que cette femme a rendu suite à sa guérison, c’est pour rappeler que tous les chrétiens, hommes et femmes, sont appelés à être ainsi au service de leur prochain. C’est pour cela que Dieu, par le Christ, nous guérit, qu’il nous rend la santé, la foi, l’espérance et l’amour.

Au nom du Christ, être au service du prochain ; dans la foi, l’espérance et l’amour dont Dieu (en Jésus-Christ) est la source.

Que Dieu nous soit en aide !

Amen.

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