Lecture Biblique : Jean 15,9-17
Prédication
Vous voilà donc conseillers presbytéraux, au service de l’Éternel et de son Église… Félicitations ! Mais me pardonnerez-vous d’être, comme à mon habitude, un brin provocateur ? Êtes-vous tout à fait certains d’être à votre place et que ce soit la volonté du Père pour vous et pour son Église ? Quels sont les critères qui sont à votre disposition pour discerner ?
L’erreur serait de penser que l’on choisit son engagement dans l’Église comme au supermarché ! Jésus ne dit pas : « S’il te plait, quand tu n’auras plus rien à faire, si tu as une petite minute à toi, aurais-tu 5 mn à consacrer à mon Église ? » Au jeune homme riche, il dit : Viens, Suis-moi ! C’est ce qu’on appelle une con-vocation (“appeler avec” = c’est répondre à une invitation du type « viens avec moi ») à la différence d’une pro-vocation (s’appeler soi-même tel un candidat en campagne électorale). Je me pose la question de savoir si le sens d’une vie ne se décide pas là, finalement. Il y a d’un côté celles et ceux qui veulent se faire tout seuls sans rien devoir à personne, fabriquant leur propre destinée. Et il y a de l’autre côté, celles et ceux qui répondent à un appel, qui acceptent de recevoir le sens de leur vie de l’extérieur, de quelqu’un d’autre, du dehors. Je prétends qu’il est plus simple de chercher à se faire soi-même que de répondre à un appel parce que cela exige de quitter sa zone de confort. Parce que ce n’est jamais une évidence d’accepter que Dieu puisse intervenir dans notre réalité. Est-ce que j’accepte cet interventionnisme ou est-ce que je préfère repousser Dieu aux marges de la vie (avant la naissance et après la mort), l’expulser de notre monde (pas de politique, pas de loi morale), le reconduire à la frontière de notre vie comme le disait Bonhoeffer ? Vous, chers conseillers, vous avez accepté l’appel. C’est un acte de foi que je veux saluer.
Et si quelqu’un vous demande pourquoi, il vous suffira de répondre comme pour l’âne de l’entrée de Jésus dans Jérusalem : Le Seigneur en a besoin ! C’est un acte de foi parce que nous croyons que c’est utile pour son plan. Nous croyons qu’il suit un projet précis et déterminé dans lequel celui qui entend l’appel découvre qu’il a une place, un rôle à jouer, une fonction qui attend d’être remplie. Une vision croyante de l’histoire signifie qu’il n’y a pas de hasard mais bien un sens à notre vie.
Si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit l’esclave de tous ! Car le Fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude… (Marc 10, 44-45) Luther ouvre son traité sur la liberté chrétienne par ces mots : « Un chrétien est libre seigneur en toutes choses et il n’est soumis à personne. Un chrétien est esclave corvéable en toutes choses et il est soumis à tous. » Travailler pour le bénéfice des autres. Ne pas être son propre patron. Sans espoir de salaire. Vous œuvrerez mais vous n’encaisserez pas, vous sèmerez mais vous ne récolterez pas… Voilà le problème. Derrière le mot « serviteur » se cache un autre mot beaucoup plus précis et certainement beaucoup plus gênant… Qu’il soit l’esclave de tous ! Il y a quelque chose d’humiliant, de méprisant derrière le mot. Parce que le propre de l’esclave c’est d’obéir.
– sans réfléchir : Nul besoin de son discernement, de son intelligence, de sa créativité ou d’une quelconque prise d’initiative. L’esclave fournit juste sa force brute. C’est un objet, un outil, un instrument entre les mains d’un autre…
– sans connaître la finalité : Nul besoin de connaître le dessous des cartes, ni même de comprendre ce qu’on lui demande. Il ignore ce que fait son maître… lequel ne souhaite pas l’associer ni à l’élaboration, ni au résultat, ni à l’origine ni à la finalité…
– sans être impliqué personnellement, sans participation affective ou personnelle : ce n’est pas son projet. C’est celui du patron, pas le sien.
C’est ici que l’on découvre un véritable problème de fond. Est-il possible de travailler pour Dieu sans réflexion, sans adhésion, sans implication personnelle ? Juste par pure obéissance, par devoir, par obligation, sous la contrainte ? Demeurez dans mon amour dit Jésus. Mais est-il seulement possible d’œuvrer pour un projet d’amour pour le monde sans se sentir soi-même concerné par cet amour ? Un simple DRH vous dira que c’est antinomique et contradictoire. Il y a divorce entre la fin et les moyens…
Jésus vient renverser la perspective. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur reste dans l’ignorance de ce que fait son maître ; je vous appelle amis parce que tout ce que j’ai entendu auprès de mon Père, je vous l’ai fait connaître.
Ami. La seule personne dans la Bible qui est appelée explicitement ami de Dieu, c’est Abraham. Pourquoi ? Parce que Dieu lui a fait connaître son plan pour le monde. Il a été associé au projet de Dieu pour l’humanité. Il n’était pas dans l’ignorance de ce que fait son maître : Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai. Je rendrai grand ton nom. Sois en bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront et je maudirai qui te maudira. En toi seront bénies toutes les familles de la terre. (Genèse 12, 2-4)
Jésus ne veut pas des esclaves sous la contrainte de la loi, il veut des amis sous la puissance de la grâce. Je ne vous appelle plus serviteurs… je vous appelle mes amis… L’objectif est toujours le même : que nous puissions travailler pour l’œuvre de Dieu. Ce qui glorifie le Père, c’est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples. (…) Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour. Au fond, de la même manière que Jésus a utilisé un âne pour entrer dans Jérusalem, il veut nous utiliser comme véhicule pour entrer dans ce monde et que sa volonté s’accomplisse sur la terre comme au ciel.
Et pour nous transformer d’esclaves en amis, pour changer notre moteur intérieur, pour établir notre vocation et l’ancrer au plus profond de nous-mêmes, il va vous faire 4 cadeaux qui doivent devenir les 4 piliers de notre engagement de chrétien, les 4 moteurs de notre responsabilité et de notre action, les 4 dimensions du pacte entre amis. Calvin appelle cela les 4 piliers de la vocation. Si vous voulez apprendre à discerner si vous êtes ou non à votre place, alors voici 4 critères inséparables :
- Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. L’envie, la joie et le plaisir constituent le moteur intérieur de notre motivation : nous ne prenons pas une responsabilité par obéissance ou par devoir ou par crainte ou par défaut parce qu’il n’y a personne d’autre mais bien parce que cela nous fait plaisir et que nous en avons envie et que cela nous procure de la joie, une joie qui vient du Christ, une joie parfaite. Et l’apôtre Paul complète : Vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions Abba, Père ! (Romains 8, 14-17). Si certains sont ici par devoir ou seulement par obéissance, sans joie, sans envie, sans plaisir… je vous en supplie, arrêtez tout de suite. Vous vous ferez du bien. Vous ferez du bien à l’Église…
- Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur reste dans l’ignorance de ce que fait son maître ; je vous appelle amis parce que tout ce que j’ai entendu auprès de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Connaître… Cela signifie que la bonne volonté ne suffit pas. Un ministère, quel qu’il soit, nécessite une formation, une compétence acquise, ou au moins une volonté d’apprendre. L’envie ne suffit pas. Il ne suffit pas non plus d’imiter ce qui se font les autres sans comprendre (et s’ils se trompaient ?). Il serait catastrophique de vouloir toujours reproduire ce qui s’est toujours fait d’une manière immuable. Il y a donc une part d’apprentissage indispensable : le Fils nous fait connaître et ne nous laisse pas dans l’ignorance. Et cela nous permet de nous sentir à notre place : nous savons faire parce que nous avons appris à le faire. L’apôtre Paul vient confirmer les paroles de Jésus : Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bien, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait. (Rom 12, 2) Je suis toujours surpris de ces chrétiens qui acquièrent des compétences dans le monde et qui ne pensent pas qu’ils pourraient les mettre au service du Christ (finances, management, marketing) : ces connaissances sont-elles immorales et indignes ? ou alors est-ce une forme de schizophrénie, que ta main droite ignore ce que fait ta main gauche ?
- 3ème pilier : C’est moi qui vous ai choisis et institués pour que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure. Il s’agit donc de porter du fruit, d’être utiles et que les fruits durent dans le temps. Nul n’a d’amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime. Par cette simple phrase, je comprends une chose essentielle : le vrai fruit qui est attendu par Dieu n’est jamais tourné pour notre bénéfice propre. Qui veut sauver sa vie la perdra, dit Jésus. Ou pour le dire comme le dit l’apôtre Paul : Je vous exhorte donc mes frères, au nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : ce sera là votre culte spirituel. (Rom 12,1) Voilà le 3ème pilier de votre vocation : est-ce utile pour les autres ? Dieu ne nous confie pas une mission pour notre propre gloire ou pour notre propre jouissance. Vous êtes (et j’insiste sur les possessifs) les serviteurs pour son Église.
- Dernière dimension, 4ème pilier : Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et institués… Dieu que je me méfie des candidats et des campagnes électorales. La responsabilité dans l’Église ne se mérite pas. Ce n’est ni une victoire ni une récompense. L’Église discerne et appelle. Elle regarde avec les yeux de Dieu pour confirmer ce qui n’est jusqu’ici qu’une envie… Pour savoir si vous êtes à votre place, vous avez besoin de la reconnaissance par l’Église qui dit : « Oui, nous te reconnaissons ce rôle et cette fonction. Tu ne t’autoproclames pas. Nous reconnaissons et nous confirmons que Dieu te confie cette responsabilité. » C’est une grande sécurité parce que cela devrait éviter les dictateurs et les autocrates.
Ces 4 piliers sont indispensables et indissociables. Ils vont ensemble sinon il manque un pied au fauteuil de votre vocation et elle sera boiteuse… Le désir personnel, la compétence acquise, l’esprit de service et la reconnaissance par l’Église. Ce sont les 4 cadeaux que Jésus vient nous faire pour nous faire passer du statut d’esclave ignorant de ce que fait son maître à celui d’ami associé au projet d’amour de Dieu pour le monde. Bon vent les amis ! Amen.
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