Lectures Bibliques : Actes 1, 15-26
Prédication
Tirer au sort – Ne trouvez-vous pas que ce serait une bonne méthode pour choisir des responsables d’activités dans l’église, par exemple des conseillers presbytéraux ? Et pourquoi pas aussi dans toutes sortes d’autres enceintes, notamment politiques, pour confier des fonctions de direction, de décision, des responsabilités ! Ce serait si commode de s’en remettre au « sort », au destin ! Pas besoin de connaitre les candidats, même pas besoin de les écouter, pas de campagne électorale, économie de temps et de moyens financiers ! Et dans l’église protestante unie, pas besoin non plus d’exercer un « discernement » dont nous peinons si souvent à comprendre l’exact fonctionnement….
Si aujourd’hui le tirage au sort est considéré comme un mode de désignation insuffisamment démocratique – sauf par les tenants d’une certaine démocratie participative -, il a été pratiqué à de nombreuses reprises dans les civilisations notamment occidentales au cours des siècles. Quant à la Bible, plus exactement quant au premier testament, il en donne de très nombreux exemples. Ceux-ci ont toujours une signification religieuse : il s’agit de faire advenir la volonté de Dieu dans des décisions de partage de territoires, d’attributions de fonctions ou de biens, qui concernent les tribus d’Israël.
Le second testament relate 2 exemples de tirage au sort : celui du tirage au sort de la tunique de Jésus et celui de la désignation de Matthias, rapportée dans notre texte d’aujourd’hui de Actes 1.
Et précisément en ce qui concerne ce texte, il est intéressant de constater qu’il a servi de fondement pour illustrer différentes conceptions de la succession apostolique, lors des querelles qui opposaient théologiens catholiques et protestants aux 17 et 18èmes siècles, au sujet de la désignation des prêtres et des pasteurs. Des églises issues de la Réforme, à l’instar de la Genève de Calvin, désignaient des membres de leurs conseils par tirage au sort, et s’exposaient ainsi aux critiques des tenants de l’investiture pontificale. Ce texte est donc entre autres lié à la question du fondement et de l’exercice de l’autorité de l’église et dans l’église. Mais je ne vais pas m’aventurer sur ce terrain que je laisse à des personnes plus expérimentées.
Ce passage des Actes n’a évidemment rien à voir avec l’organisation de la société civile et politique. (Quoiqu’après tout, une petite prière pour demander un peu de sagesse lors d’élections ou de choix décisifs pour la société n’a évidemment rien de répréhensible !). Il s’agit d’un des premiers récits sur la fondation de l’Eglise chrétienne; mais il s’agit aussi d’un de ces récits de ces vocations dont la Bible est si riche, et c’est sur cet aspect que je voudrais m’arrêter!
Replaçons-nous d’abord dans l’histoire et l’ambiance : Nous sommes dans un entre-deux de 10 jours, l’Ascension vient de se produire, Luc le raconte au début des Actes, d’ailleurs dans une autre version que celle de son évangile. Jésus ressuscité est apparu plusieurs fois aux disciples, mais l’Ascension vient de se produire, et il vient de nouveau de disparaitre, enlevé au ciel devant leurs yeux, après leur avoir annoncé qu’ils allaient recevoir la puissance du St Esprit. Mais rien ne se produit, la Pentecôte n’a pas encore eu lieu. A Jérusalem, une petite communauté se réunit régulièrement qui comprend les 11 disciples restants, les femmes, la mère et les frères de Jésus, et environ 120 personnes qui se réclament aussi de Jésus. Ils attendent, sont probablement tristes, inquiets de leur avenir et d’éventuelles persécutions, mais unis dans la prière, et confiants en celui qui fut leur Seigneur, maître et ami. Mais lui n’est plus avec eux, et Judas, l’ancien compagnon des 11 est mort. Un équilibre est rompu, l’histoire s’est quasiment arrêtée, et c’est ce qui va motiver le discours de Pierre. Pierre qui n’a plus rien du trublion naïf et maladroit dépeint dans les évangiles, « se dresse » pour parler dit le texte – et c’est le même mot que ressuscité -, il est en train de devenir celui que Jésus a voulu qu’il soit, le chef de l’église naissante.
Pierre rappelle simplement, factuellement, la mort de Judas, mort par accident et pas par suicide comme dans l’évangile de Mathieu, en termes assez crus d’ailleurs : «tombé en avant, brisé par le milieu, toutes ses entrailles répandues ». Il ne fait qu’une allusion à la trahison de Judas, sans émettre aucun jugement, et rappelle que Judas faisait partie de leur cercle et avait la même mission qu’eux-mêmes. Mais il est impératif qu’il soit remplacé, car ce remplacement, dit-il, est déjà annoncé dans les psaumes de David – Il faut d’ailleurs de la bonne volonté pour comprendre que les passages des psaumes 69 et 109 cités par Pierre annoncent l’histoire de Judas, mais ils ont toujours été interprétés ainsi.
Pourquoi cette nécessité de reconstituer le groupe des 12 ?
Pierre veut s’ancrer dans la tradition hébraïque ; il fait bien sûr référence aux 12 fils de Jacob et aux 12 tribus d’Israël, qui préfigurent le peuple élu ; et il se réfère ainsi implicitement à l’alliance conclue par Dieu avec son peuple. Les Douze sont le symbole de ce peuple, et dans une vision eschatologique, Matthieu au chapitre 19 de son évangile les voit assis chacun sur un trône. Pierre rappelle donc l’enracinement de l’Evangile dans le 1er Testament et dans la parole des prophètes, ainsi que la continuité de l’alliance divine avec l’humanité jusqu’à la fin des temps. Enfin, la mission que Jésus a confiée au groupe des douze disciples, « d’annoncer l’évangile jusqu’aux extrémités de la terre », risque de ne pas pouvoir s’accomplir pleinement s’ils ne sont pas, tous et chacun d’eux, justement en mission. Il faut donc que le groupe soit reconstitué ; et alors la Pentecôte pourra arriver, et la mission commencer….
Mais choisis par Jésus en personne, les 11 qui restent ne peuvent pas choisir eux-mêmes un nouveau 12ème ! Pierre invente alors une procédure de désignation qui rappelle celles que décrit l’ancien testament. Elle se déroule en 3 temps, le recrutement, l’appel à la médiation divine, et la désignation elle-même.
Sur le recrutement, nous n’avons pas de détails : l’assemblée désigne deux personnes, parmi les 120 ; comment, qui les a désignés, est-ce que les deux s’étaient proposés ? Nous n’en savons rien, sinon que ces deux-là correspondent au critère principal, énoncé par Pierre: ils ont accompagné Jésus et ont été témoins de sa résurrection. Ils ont d’ailleurs probablement fait partie des 70 envoyés en mission par Jésus. Il s’agit de Matthias et de Joseph appelé Barsabbas, surnommé Justus.
Que signifie ce critère de témoin ? Les 11 ont tous accompagné Jésus tout au long de son ministère; il faut que le remplaçant de Judas ait, lui aussi, suivi Jésus de son baptême à sa résurrection. Il faut qu’il ait partagé la vie de Jésus, mais aussi qu’il ait été témoin de sa mort et surtout témoin de sa résurrection. La seule condition pour désigner un remplaçant, le gage d’authenticité, est d’avoir été témoin visuel et auditif. Pour Luc, l’auteur des Actes, cette qualité de témoin est essentielle, d’autant que c’est Jésus lui-même qui fait de ses disciples des témoins, comme il le leur dit par exemple, quelques versets avant notre passage, juste avant son ascension, « vous serez mes témoins à Jérusalem et jusqu’aux extrémités de la terre ». Ainsi le témoin est celui qui a vu, entendu Jésus, partagé sa vie, qui était en lien avec lui, et qui reste en lien avec lui après sa résurrection et son ascension, parce que désormais il croit en lui.
La seconde étape, celle du choix commence par une prière de toute l’assemblée pour demander au Seigneur de désigner celui qu’il a choisi ; est-ce qu’elle s’adresse à Dieu, à Jésus, ou même à l’Esprit saint ? Les commentateurs ne sont pas d’accord là-dessus. Le texte est clairement « trinitaire » et permet les 3 interprétations. Ce qui est important, c’est que les 120 ne prennent pas eux-mêmes la décision. Comme dans l’Ancien Testament ils s’en remettent à la volonté divine : « désigne lequel tu as choisi ». Et ils recourent au vieux procédé du tirage au sort de l’Ancien Testament.
Vient finalement la partie matérielle du tirage au sort, sans que l’on sache d’ailleurs très bien comment cela se passait, à l’issue duquel Matthias est désigné. – et on ne parlera plus jamais de lui dans le nouveau Testament, ni de Justus, sauf dans l’historiographie chrétienne antique et médiévale.
Que penser de ce récit du choix de Matthias pour nous aujourd’hui ? Ce serait un épisode purement factuel, éventuellement historique, un peu merveilleux, s’il ne s’y ajoutait pas d’autres dimensions, intemporelles, qui le rendent actuel pour nous. Pour moi, c’est la mission de Matthias qui le relie directement à nous, à notre époque.
Matthias doit prendre la place de Judas dans ce qui était son « ministère et son apostolat », soit deux mots qui signifient service et mission ; il n’est pas question d’une fonction ou d’une responsabilité particulière, et encore moins d’un pouvoir ou d’une autorité à exercer. Il est choisi parce qu’il est témoin, mais aussi pour être témoin et se manifester comme tel. Et c’est là que nous comprenons qu’être témoin est aussi une vocation, un appel. C’est d’ailleurs ce qui ressort de la façon dont il a été désigné.
Lorsqu’il faut choisir entre Matthias et Justus l’assemblée prie : «Toi, Seigneur, qui connais le cœur de tous les hommes, montre-nous lequel de ces deux tu as choisi. »
Ce n’est pas – ou pas seulement – en fonction de leurs qualités et de leurs talents qu’ils sont départagés, mais c’est selon leurs cœurs ! Car le Seigneur est « connaisseur des cœurs » – le terme utilisé par Luc n’est pas une périphrase comme en français, c’est un seul mot en grec, magnifique, cardio-gnoste, qui n’apparait que très rarement dans la Bible. Pour moi, cette connaissance n’est pas seulement celle du cœur des deux candidats, ni de celui des disciples ou des 120 ; c’est celle du cœur de « tous », de toutes les femmes et tous les hommes, de la vérité intime de chacun, à quelque époque que ce soit. C’est donc aussi le cœur de tous les autres, de tous ceux que rencontrera le témoin, et qui l’accueilleront – ou non, qui l’écouteront, ou non…. ! Le choix en fonction « des cœurs de tous » n’est pas une garantie absolue de « bon choix » ! Pour cela, il faudrait aussi que chacun de nous soit connaisseur des cœurs des autres…. ! Et d’ailleurs connaissons-nous si bien notre propre cœur ?
Le Seigneur inspire ensuite le choix de celui dont il a besoin. Ce verbe « choisir » de notre passage, est le même que dans le récit que fait Luc du choix des 12 apôtres, et le même que celui de l’évangile de Jean lorsque Jésus dit aux disciples « ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis », et qui leur fait ce cadeau merveilleux de les appeler « ses amis ». Pour Matthias, désigné en l’absence de Jésus, il me semble qu’il y a ainsi encore autre chose dans sa désignation : Le texte se réfère à un choix qui a déjà été opéré auparavant, car la phrase, dans toutes les traductions, est très clairement au passé : « désigne lequel tu as choisi »; en cela elle rappelle les récits de vocation de l’AT.
L’ancien testament fourmille de ces récits où l’Eternel choisit les prophètes : Je t’ai choisi, depuis toujours, dit l’Eternel à Jérémie, à Moïse, à Samuel, à Jonas….. Certains d’entre nous peuvent penser que cette connaissance que Dieu a, de chacun de nous, conduit à une espèce de fatalisme, de sentiment de « tout est écrit » qui décourage et dés-intéresse. Cela peut aussi inquiéter. Les récits des vocations de prophètes dans le 1er Testament en disent long sur ce souhait de se cacher et l’impossibilité d’y arriver, Jonas par exemple en savait quelque chose. Le psaume 139 dit ce désarroi « Où irai-je loin de ton esprit, où fuirai-je loin de ta face ? Si je monte aux cieux tu y es, si je descends au séjour des morts t’y voilà ; si je vais au-delà des mers, ta main me conduira et ta droite me saisira ».
Vous entendez sûrement dans ces versets la réponse donnée face à la crainte, au découragement: « ta main me conduira et ta droite me saisira ». Dieu accompagne toujours dans sa mission celui qu’il a désigné, il ne l’abandonne pas.
Tous les prophètes de l’AT, dont la vocation est d’annoncer la repentance et parfois la destruction, sont ainsi assurés du soutien de Dieu. Pour Matthias et les 11 autres, qui annoncent la résurrection, ils sont, seront « gardés, préservés », comme il est dit dans la prière sacerdotale. A partir de la Pentecôte, l’aide divine leur sera accordée par le don du Saint Esprit qui les emplira et les accompagnera. Ils ne seront alors plus seulement des disciples, ils deviendront des « envoyés », des apôtres. Ils parleront, guériront, convertiront et partageront leur foi avec ceux qui n’ont pas été témoins directs, et qui eux deviendront ainsi témoins par la foi – et qui témoigneront à leur tour pour contribuer à former la grande nuée des témoins de l’Evangile.
C’est là que nous trouvons notre place, nous qui sommes à notre tour devenus témoins par la foi. Partageant la même foi, en tant que Chrétiens, nous nous situons à notre tour dans cette chaine des témoins.
Ce récit nous concerne donc directement, au XXIme siècle, pas seulement parce que nous pouvons être appelés à jouer un rôle dans l’église, dans son gouvernement, dans ses diverses activités. – ce que d’ailleurs nous faisons tous déjà, aussi bien que nous le pouvons. Il ne nous est pas demandé d’avoir une fonction précise dans une instance précise ! Le gouvernement de l’église est une chose, mais encore faut-il qu’il existe une église, encore faut-il qu’elle ait un corps ! C’est donc d’abord cela notre rôle, former ce corps, former (la) communauté, et comme autrefois les 12 et les 120, louer Dieu et prier ensemble, connectés ou en présence, mais en communion d’esprit entre nous. N’est-ce pas déjà un témoignage ?
Témoins modernes, redevables à tous ceux qui nous ont précédés, nous sommes donc à notre tour devenus témoins et appelés nous aussi, à notre tour, à témoigner, à passer le flambeau de la parole, de la lumière. « Appelés » ? Oui appelés, car être témoin est une vocation…Appelés nous aussi, comme Matthias, comme tous les autres auparavant, et c’est une fabuleuse nouvelle, pour une magnifique mission. Ayant entendu ce récit de l’appel fait à Matthias, nous allons peut-être nous interroger : Sommes-nous/suis-je aussi choisi par Dieu ? Ou bien avons-nous, ai-je été choisi par celui qui connait les cœurs – et notamment le mien ? Quel genre de témoins sommes-nous ? Comment sommes-nous assurés de bien répondre à cette vocation ? Bien sûr je n’ai pas les réponses ; peut-être en avez-vous dans le secret de vos cœurs. Mais en perpétuant la chaine des témoins, nous sommes au bénéfice de et sous la grâce. Et cela est sans doute déjà une réponse. Amen
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