« Voyager léger »

Voici les Douze au tout début de leur activité missionnaire : Jésus avait certainement formé depuis quelque temps déjà le projet de les envoyer ; puisque, dès le chapitre 3, Marc nous raconte qu’il les avait choisis dans ce but :

« Il monte dans la montagne et il appelle ceux qu’il voulait. Ils vinrent à lui et il en établit douze pour être avec lui et pour les envoyer prêcher avec pouvoir de chasser les démons. Il établit les Douze : Pierre – c’est le surnom qu’il a donné à Simon -, Jacques, le fils de Zébédée et Jean, le frère de Jacques, – et il leur donna le nom de Boanerguès, c’est-à-dire fils du tonnerre -, André, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques, le fils d’Alphée, Thaddée et Simon le zélote, et Judas Iscarioth, celui-là même qui le livra. » (Mc 3, 16-19).

Depuis, ils l’ont suivi partout et ont reçu son enseignement. Ils ont été témoins de sa puissance : les premiers chapitres de Marc rapportent de nombreux miracles de toute sorte.
Avec le texte d’aujourd’hui, voici que Jésus les envoie à leur tour, munis eux aussi du pouvoir de chasser les démons : « Jésus appelle les Douze, et pour la première fois il les envoie… Il leur donnait pouvoir sur les esprits mauvais. »
Il leur donne également trois consignes : aller deux par deux, n’emporter que le strict nécessaire, ne pas se laisser impressionner par la persécution inévitable.

Premièrement, aller deux par deux :

Cela semble une pratique habituelle de Jésus ; Marc en donne quelques exemples par la suite : par exemple, pour préparer l’entrée à Jérusalem : « Lorsqu’ils approchent de Jérusalem, près de Bethphagé et de Béthanie, vers le mont des Oliviers, Jésus envoie deux de ses disciples et leur dit : Allez au village qui est devant vous… vous trouverez un ânon attaché… » (11, 1-2) ;

Même chose pour préparer la Pâque : « Il envoie deux de ses disciples et leur dit : Allez à la ville ; un homme viendra à votre rencontre, portant une cruche d’eau… » (14, 13).

Il y a là peut-être la trace de la coutume juive selon laquelle un témoignage n’était recevable que quand il était porté par deux personnes au moins : « C’est sur les déclarations de deux ou de trois témoins qu’on pourra instruire une affaire. » (Dt 19, 15). L’évangélisation, elle aussi, est affaire de témoignage, elle n’est pas une affaire individuelle.
Plus tard, les Apôtres garderont cette habitude : ainsi Pierre et Jean vont ensemble prêcher au Temple de Jérusalem (Ac, 1) ; Paul et Barnabé font équipe longtemps en Syrie et en Asie Mineure (Ac 13-15) ; après leur séparation, Paul continue la mission avec Silas (Ac 16-17).

Deuxièmement, n’emporter que le strict nécessaire :

« Il leur prescrivit de ne rien emporter pour la route, si ce n’est un bâton ; de n’avoir ni pain, ni sac, ni pièces de monnaie dans leur ceinture. Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange. » Leurs seuls instruments doivent être ceux de la marche pour la mission. En entendant cette consigne, les apôtres ont probablement évoqué la marche de leurs pères dans la foi, la nuit de la fameuse Pâque de la sortie d’Egypte,

« La ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. » (Ex 12, 11).

La longue marche de l’Eglise, peuple de Dieu, commence ici. Elle exige mobilité, disponibilité, liberté d’esprit.

Troisième consigne donnée par Jésus, ne pas se laisser impressionner par la persécution inévitable.

D’après le récit de Marc, les apôtres viennent tout juste d’assister à l’échec de Jésus à Nazareth (6, 1-6) ; et, depuis le début de l’évangile, ils ont vu naître et grandir l’opposition des scribes et des pharisiens. Il semble bien que la persécution doive être de tout temps le lot des prédicateurs et des prophètes : la première lecture nous en donne un cuisant exemple avec Amos, renvoyé dans ses foyers au bout de quelques mois seulement de prédication (« va-t-en d’ici avec tes visions » ; Am 7).
On peut se demander pourquoi la persécution est inévitable, pourquoi « nul n’est prophète en son pays » comme l’a déclaré Jésus à Nazareth (6, 4) ; si l’évangélisation consiste à annoncer partout l’amour et le pardon de Dieu, pourquoi rencontre-t-elle tant d’oppositions ? Parce que nous avons la « nuque raide », comme disait Moïse ; parce que nous avons d’autres idées sur Dieu ; enfin, parce que nous avons le cœur endurci : or, si Dieu est amour et pardon, il va nous demander d’être à son image et donc nous remettre en question.

C’est pour toutes ces mauvaises raisons que Jésus a été crucifié, et tant d’autres martyrisés à leur tour.
Face à ces refus, Jésus ne préconise pas la violence, ni le mépris évidemment ; mais la persévérance et la sérénité : « Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez en secouant la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage. »Soit dit en passant, c’est exactement ce qu’ont fait Paul et Barnabas à Antioche de Pisidie quand les choses se sont gâtées. (Ac 13, 51). Comment comprendre ce geste qui doit être pour les gens un « témoignage » ? C’est peut-être une manière de dire : nous respectons votre liberté, nous ne sommes pas venus chez vous pour prendre quoi que ce soit contre votre gré, fût-ce de la poussière.
L’évangéliste Luc a cette formule : « Même la poussière de votre ville qui s’est collée à nos pieds, nous l’essuyons pour vous la rendre. Pourtant, sachez-le, le Règne de Dieu est arrivé. » (Lc 10, 11).

Mais les apôtres, heureusement, ne rencontreront pas que de l’hostilité et des cœurs endurcis. La croissance irrésistible des communautés chrétiennes dès après la Résurrection du Christ en est la preuve. Et les Actes des Apôtres rapportent les noms de nombreuses personnes qui ont ouvert leurs maisons aux prédicateurs de l’évangile.
Dans ce cas-là, la recommandation de Jésus est simple : « Quand vous avez trouvé l’hospitalité dans une maison, restez-y jusqu’à votre départ. »

Accepter l’hospitalité d’autrui, c’est l’honorer.

Alors, « voyage léger » pour la mission du Christ ? Un souci permanent lorsqu’on est en voyage, ce sont les bagages : les faire, les défaire, les refaire, les porter, ne pas se les faire voler, hiérarchiser : mettre à portée les choses dont on aura besoin pendant les transports, et au fond ce dont on aura besoin une fois installée…

Aïe ! Il se met à pleuvoir et l’imperméable est au fond !

Et puis, il ne faut rien oublier.

Même pour une courte excursion, un week end, à peine avons-nous parcourus quelques kilomètres, combien de fois nous est-il arrivé de crier : « Ah zut ! J’étais sûr que je l’oublierai ! » A ce moment là, un choix s’impose, l’interrogation insiste : « est-ce que j’en ai vraiment besoin ? Est-ce vraiment utile ? Est-ce vital ? Est-ce que je fais demi-tour ? »

J’ai lu quelque part que les caravanes dans le temps ne faisaient qu’une petite étape le premier jour, entre 6 et 10 km, pour permettre justement à l’étourdi de faire un aller-retour rapide…

La prochaine fois que je prépare un sac, j’étale tout ce qui me semble vraiment nécessaire et j’en élimine 80%. Parce qu’en fait, des choses en voyage on en n’a pas tant besoin que ça. Quand on prépare son bagage, je vais vous dire, on se prépare un rempart. Un rempart contre le besoin. Mais ce rempart contre le besoin s’avère être en fait un rempart contre les autres. Parce que si vous n’avez pas sur vous ce dont vous avez besoin, vous serez obligés – à moins d’être totalement renfermés sur vous-mêmes, au risque de mettre votre vie en danger – vous serez obligés donc de vous adresser à quelqu’un. Plus vous porterez ce dont vous êtes sûrs d’avoir besoin et moins vous aurez l’occasion de faire des rencontres. C’est dans cet ordre d’idée qu’il nous faut entendre les recommandations de Jésus à ses disciples au moment où il les envoie : je vous envoie vers les autres, ce n’est pas pour que vous viviez en autarcie entre vous. Il ne s’agit pas là d’un idéal de pauvreté, sorte de perfection à atteindre pour voir son nom glorifié parmi les myriades de Saints !

A moins d’entendre que la pauvreté n’est pas un état dégradant mais bien notre profonde condition humaine qui porte en elle l’ouverture nécessaire pour ne pas rester enfermés en nous-mêmes – c’est à dire mort à la vie humaine – et aller à la rencontre de l’autre et des autres – ce qui est la vie à laquelle nous sommes appelés – parce que fondamentalement, tout seul, nous ne sommes pas grand chose ; seul un autre peut donner ce qui fait notre humanité, la reconnaissance de notre dignité.

Mais alors qu’est-ce qui est nécessaire pour partir en voyage, et a fortiori en voyage missionnaire ? Avant tout, dit Jésus, c’est être dans de bonnes dispositions pour être accueilli, et pour cela rien de plus simple, il ne faut avoir rien, il nous faut avoir un manque de tout, même du plus vital, du pain ! Finies, les longues préparations de bagages. Même pas un change… peut-être pour éviter la duplicité … Partir en mission, pour Jésus, c’est être vite prêt, parce qu’on n’y va pas pour apporter quelque chose ou donner quoique ce soit, on y va pour être accueilli et recevoir.

Accepter l’hospitalité d’autrui, c’est l’honorer.

Jésus frappe à la porte de nos vies. Il est celui que nous accueillons en lui ouvrant notre porte.
C’est en acceptant d’entrer chez nous, c’est en acceptant notre hospitalité qu’il nous honore, qu’il nous transforme radicalement. Oui, convertissons nos cœurs au bonheur de la rencontre : Jésus-Christ ressuscité vient faire sa demeure en nous. Accueillons-le dans la foi et avec joie !

Amen

 

 

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