Venez et vous verrez !

Lectures Bibliques : Jean 1, 35-42 & 1 Samuel 3, 1-21

 

Prédication

Imaginez : quelqu’un vous appelle dans la nuit (tard dans la nuit), sans que vous puissiez le voir. Ce pourrait être au téléphone. Une voix que vous n’avez jamais entendue. C’est étrange, et même un peu inquiétant ! Mais le plus surprenant, c’est que cette voix vous appelle par votre prénom. Ce qui signifie que cette personne vous connaît déjà : vous êtes donc supposé la connaître ! Ce genre de situation est très gênant, vous l’avez peut-être déjà vécu, dans un autre contexte : quelqu’un vous appelle par votre prénom, mais vous ne le connaissez pas, ou bien vous êtes supposés déjà le connaître, mais vous n’avez en fait aucun souvenir de lui.  Mais c’est encore plus troublant si celui qui vous appelle par votre prénom est un « vrai inconnu », quelqu’un dont vous êtes certain de ne l’avoir jamais rencontré. Telle est donc la situation dans laquelle se retrouve le jeune Samuel dans le Temple de Silo : une voix inconnue l’appelle par son prénom. Cette situation déroutante suggère la relation dissymétrique entre Dieu et l’homme. Dieu connaît l’homme, il connaît chacun de nous, il nous appelle par notre prénom. Mais nous ne le connaissons pas, nous ne pouvons le connaître, car il est au-delà de toute connaissance humaine. Nous ne pouvons l’appeler par son prénom, car aucun mot humain ne peut le contenir.

Le chemin qui mène vers Lui, le chemin qui mène vers la foi nécessite donc des intermédiaires, des témoins qui permettent de reconnaître Dieu, qui permettent de reconnaître Jésus Christ. Précisément, les deux textes que nous avons entendus ce matin semblent mettre particulièrement en valeur le rôle du témoignage, le rôle du médiateur (que ce soit le prêtre Héli, pour Samuel, ou Jean Baptiste pour les premiers disciples de Jésus). Mais comme nous le verrons, ces textes nous invitent aussi à interroger cette catégorie du témoin, et à prendre conscience de ses limites. En effet, le texte de l’Évangile nous apprendra que la vie de disciple, la vie à la suite de Jésus suppose aussi une rencontre personnelle, et une expérience de vie qui engage le chrétien dans toute son existence.

 

  • L’indispensable témoin

Le jeune Samuel donc, ne connaissait pas Dieu. Il n’avait jamais entendu cette voix divine dont le narrateur nous apprend qu’elle se faisait rare en ce temps-là : nous sommes au début du Premier Livre de Samuel, dans cette époque lointaine, une période charnière entre l’époque des Juges et l’avènement de la monarchie en Israël.

Comment donc Samuel pouvait-il reconnaître cette voix qui s’adressait à lui dans l’obscurité ? Comment donc aurait-il pu deviner que c’était Dieu lui-même qui s’adressait à lui ?

Quand il entend son prénom, aussitôt, Samuel se dirige vers le prêtre Héli : apparemment, il n’y a personne d’autre dans le Temple de Silo où ils se trouvent. Le prêtre n’apprécie visiblement pas d’être réveillé en sursaut par son jeune apprenti : il le renvoie aussi sec se recoucher. 

Mais le Seigneur persiste : il recommence à appeler Samuel. À trois reprises il cherche à établir le contact avec le jeune Samuel.

Finalement, c’est le prêtre Héli qui rend possible la reconnaissance : Samuel ne pouvait pas reconnaître la voix de Dieu car il ne la connaissait pas, mais Héli a compris qu’il s’agissait de la voix du Seigneur. Le prêtre assume ainsi son rôle d’intermédiaire : c’est lui qui exerce cette fonction de médiation entre l’homme et divin. 

Dès lors, cette histoire de Samuel nous montre que l’homme – fût-il aussi recommandable qu’un futur prophète (et non des moindres !), l’homme ne peut pas connaître directement Dieu. L’idée sous-jacente est donc que toute relation à Dieu se construit à travers des médiations. Arrêtons-nous un instant sur cette idée : nous aussi, pour construire et nourrir notre relation à Dieu, nous avons besoin de médiations. En premier lieu, c’est la médiation de l’Écriture : les écrits bibliques nous permettent de connaître Dieu à travers le témoignage de ceux qui les ont écrits. Les auteurs bibliques sont des témoins : comme le fait le prêtre Héli avec le jeune Samuel, les auteurs bibliques nous montrent Dieu, ils nous conduisent devant Dieu, et ils nous encouragent à tendre l’oreille pour nous mettre à l’écoute de sa Parole. C’est le rôle des auteurs bibliques, mais c’est aussi la fonction des personnages bibliques : Moïse, Abraham, Jacob, les prophètes, les disciples de Jésus, … C’est cette « nuée de témoins » qui nous accompagne devant Dieu par la lecture. 

Mais ce n’est pas tout, il y aussi la médiation de l’Autre, ou plutôt des autres qui nous entourent : la médiation de la communauté, de l’entourage familial, de l’Église. Aucun parmi nous n’est arrivé ici par hasard, ou par le fruit de sa seule décision personnelle. Avant de décider, il a fallu qu’un autre (ou d’autres) nous mette(nt) sur la voie, et rende(nt) possible notre décision.

Il est nécessaire de souligner l’importance de ces médiations : sans elles, la foi relèverait d’un pur caprice personnel. Mais surtout, ces médiations sont un garde-fou contre l’écueil de l’égocentrisme., contre la prétention d’être « en ligne directe » avec Dieu. 

Mais finalement, à bien y réfléchir, ce qui est vrai pour Dieu l’est aussi pour soi, pour la compréhension de soi, laquelle suppose aussi ce détour par la médiation du témoin ; ce témoin qui est l’Autre, et qui est aussi le texte. On retrouve alors une idée chère à Paul Ricoeur : « se comprendre devant le texte » disait-il ; c’est l’identité narrative, l’identité que j’acquière à travers le détour par cet autre moi-même qui est le récit.

Ces médiations nous montrent aussi que la décision de la foi est plus un consentement qu’une pure initiative personnelle. Par la foi, nous acceptons une Parole qui nous est adressée, une Parole qui est un geste de Grâce : une Grâce souveraine qui nous précède, nous attend, et nous cherche inlassablement.

Puisque l’on parle de médiations et d’intermédiaires, venons-en maintenant au texte de l’Évangile que nous avons lu : celui-ci nous apporte un éclairage complémentaire. 

Il confirme d’abord l’importance de la médiation.

« Fixant son regard sur Jésus qui marchait », lit-on, « Jean Baptiste dit : 

« Voici l’agneau de Dieu ». 

Les deux disciples de Jean entendirent ces paroles 

et ils suivirent Jésus. »

C’est donc la parole de Jean Baptiste au sujet de Jésus qui amène deux de ses disciples à le suivre. Comme ces deux disciples, chacun de nous a d’abord entendu parler de Jésus (par d’autres) avant de se mettre en marche à sa suite. Personne ne peut se prévaloir d’avoir trouvé Jésus par lui-même, ou par ses propres forces. Ici encore, c’est donc la médiation du témoin qui suscite la foi.

On retrouve exactement le même schéma dans la deuxième partie de ce passage, lorsqu’André revient chez lui et annonce à son frère Simon : « Nous avons trouvé le Messie ! ». André conduit alors son frère auprès de Jésus, qui l’accueille et lui donne un nouveau nom. De toute évidence, l’évangéliste semble insister sur cette médiation. Les deux premiers disciples ont été orientés vers Jésus par Jean Baptiste, et Pierre lui-même, le premier des disciples, n’a pas trouvé Jésus par lui-même, mais c’est son frère qui l’a conduit vers le Messie.

  • La rencontre

Mais pour autant, à travers ce texte on doit observer que le médiateur, le témoin s’efface, pour que la rencontre s’accomplisse, une rencontre personnelle entre le croyant et le Dieu souverain 

Lorsque les deux disciples de Jean Baptiste ont commencé à le suivre, Jésus se retourne et leur demande : « que cherchez-vous ? »

Jésus ne semble pas comprendre pourquoi ces disciples ont décidé de le suivre.

Mais cette question peut aussi revêtir une portée existentielle : la question « que cherchez-vous ? », c’est la question qui peut être adressée à chacun de nous : que cherchons-nous ? au sens de la recherche du sens de notre vie. Cette question témoigne d’une situation – la recherche, la quête – qui est un des marqueurs de l’humanité : l’homme est cet être qui est en quête ; la quête de vérité, la quête de sens, la quête de sécurité. Nous sommes tous des « chercheurs », nous sommes tous en quête de l’essentiel.

En ce sens, cette question de Jésus, et le geste qui la précède, geste par lequel Jésus se retourne pour voir ceux qui le suivent, cette parole et ce geste témoignent d’une volonté de s’approcher de l’homme, une volonté de se rendre proche et disponible pour ces hommes qui cherchent, et à travers eux proche de tout homme. Ce n’est pas un test, une énigme (ou une épreuve) : c’est une question par laquelle Jésus montre qu’il s’intéresse à cet homme qui prend la décision de le suivre.

Mais l’autre raison pour laquelle Jésus se retourne, c’est aussi pour manifester sa souveraineté : c’est Lui qui décide qui le suit. Il doit donc s’assurer qu’il n’y a pas erreur sur sa personne. Le « qui cherchez-vous ? », c’est donc une simple question de vérification : « est-vous sûrs de savoir pourquoi vous êtes-là ? » Et c’est justement un des points essentiels de l’enseignement de Jésus dans l’évangile selon Jean : Jésus questionne ses disciples, il engage des discussions avec d’autres interlocuteurs (Nicodème, la Samaritaine). À chaque fois, il s’agit d’entretiens, de dialogues (parfois surprenants) qui ont pour effet d’aider ces personnes à approfondir leur foi, à clarifier les motifs et le sens de leur démarche, à bien comprendre le sens des signes qu’accomplit Jésus…. Il y a donc une pédagogie de Jésus qui opère un dévoilement progressif, pour passer du malentendu (de la mécompréhension), à la révélation de la Vérité (à la compréhension). Et précisément, la question de Jésus (« que cherchez-vous ? ») est là pour montrer que le malentendu est toujours possible, le piège du malentendu guette chacun de nous, même si nous sommes déjà en chemin, dans la foi.

Autrement dit, Jésus en appelle à notre lucidité. Car Jésus adresse cette question à chacun de nous : « Que cherchez-vous ? », et à travers cette question, nous devons comprendre que Jésus ne veut pas des suiveurs aveugles, des suiveurs qui se laissent embarquer, simplement parce qu’on leur a conseillé de suivre cette voie, ou bien par tradition familiale, ou par convenance sociale. Si Jésus nous demande ce que nous cherchons, c’est pour s’assurer que nous sommes bel et bien conscients de ce que nous faisons là, il veut nous mettre en position d’être vraiment conscients, acteurs et responsables personnellement de notre engagement, de notre démarche.

Nous avons besoin d’intermédiaire pour être mis sur la voie – des témoins, mais la médiation du témoin s’arrête là. Une fois que nous sommes en chemin, nous devons assumer nous-mêmes notre décision, et Jésus se tourne vers chacun de nous pour nous permettre de devenir ses disciples, des disciples éveillés et lucides, et pas seulement des suiveurs aveugles.

 

  • L’expérience

Mais ce n’est pas tout. Quand les disciples demandent à Jésus : « Où demeures-tu, Rabbi ? », il ne leur répond rien d’autre que : « Venez et vous verrez ».

À travers cette formule, on peut entendre deux choses.

  • C’est d’abord la confiance. Suivre Jésus, avoir foi en lui, c’est lui faire confiance. On ne peut pas savoir à l’avance où nous conduit le chemin : c’est ce que les disciples auraient voulu savoir, quand ils lui ont demandé : « Où demeures-tu ? ». En réponse à cette question, Jésus nous appelle à la confiance, il nous appelle à dépasser notre peur de l’inconnu. Mais comme nous venons de le voir, cette confiance n’est pas une confiance aveugle, c’est au contraire une confiance qui progresse vers la lucidité, une confiance qui est un chemin vers le dévoilement de la Vérité.

Au fond c’est peut-être la notion de chemin qui est ici la plus importante : la rencontre avec Jésus se fait en chemin, dans un cheminement. Ce qui rend d’autant plus nécessaire la confiance : accepter de se laisser guider. Ceux qui ont fait de la montagne avec un guide ont peut-être déjà vécu ce que cela signifie de se laisser guider : cela suppose un dessaisissement de soi ; on se dessaisit de notre besoin tyrannique d’être seul maître à bord. Car nous avons tous cette fâcheuse tendance à vouloir vivre comme des petits roitelets, maître et possesseur exclusif de notre petite vie, de notre petit royaume. C’est d’ailleurs pour cette raison que le titre de « Seigneur » que l’on attribue à Jésus me paraît tout à fait opportun.

 

  • La deuxième chose que Jésus exprime, c’est aussi une invitation à vivre une expérience, une expérience qui engage l’entièreté de notre vie. 

Quand André revient chez lui pour trouver son frère Simon, il lui dit : « Nous avons trouvé le Messie ! » : les disciples croyaient donc suivre un maître (un Rabbi), mais c’est le Messie qu’ils ont trouvé. Mais ils ne pouvaient pas le savoir à l’avance, car ce Messie est Fils de Dieu, il est Dieu, donc inconnaissable. On ne peut pas connaître Jésus en restant extérieur à lui, dans une relation de connaissance, comme un sujet connaissant face à son objet, ou comme un lecteur lit son journal, en le tenant à distance de ses yeux. Le seul moyen de le reconnaître comme Messie, c’est donc de se lever, et de se mettre en marche à sa suite. C’est donc une relation qui est une expérience, une expérience de vie. Devenir disciple, devenir chrétien, ce n’est pas adhérer à une doctrine, à des idées, c’est s’engager dans cette expérience de vie, à la suite de Jésus. Et c’est seulement à travers cette expérience de vie que nous pouvons le découvrir, le reconnaître comme Messie, comme Sauveur, comme Seigneur.

 

Venez et vous verrez !

Venez et vous vivrez !

 

Amen

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