Ce texte relate le recrutement des premiers disciples de Jésus. Comme la plupart des actes du ministère de Jésus, cette scène se déroule aux bords du lac de Génésareth ou mer de Tibériade. Mais qu’est-ce qu’un disciple : un disciple est celui qui apprend : le disciple marche à la suite de son maître ; et pour le disciple, la personne du maître tient une place aussi grande que son enseignement. L’apôtre Luc en donne une définition absolue plus loin dans son Evangile :
« Si quelqu’un vient à moi et ne déteste pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. Et quiconque ne porte pas sa croix pour venir à ma suite ne peut être mon disciple » (Lc 14, 26-27).
Dans notre langue moderne, le disciple est un croyant qui croit et qui transmet. Le premier verset nous place d’emblée dans un contexte théologique : Jésus transmettait la Parole de Dieu et la foule entendait la Parole de Dieu.
Les disciples sont aussi appelés dans les Evangiles les Douze, chiffre symbolique indiquant la plénitude, tout comme les douze tribus d’Israël. C’est le groupe apostolique par excellence. Ces disciples sont classés en trois groupes de quatre : les quatre premiers sont Simon-Pierre, André, Jacques et Jean. Luc, curieusement ne cite dans ce texte que trois d’entre eux : Simon-Pierre, Jacques et Jean, fils de Zébédée. André, le quatrième des premiers disciples et frère de Simon-Pierre, est cité dans les trois autres Evangiles, Marc, Matthieu et Jean.
La mise en scène du recrutement des quatre premiers disciples varie selon les quatre évangélistes : pour Marc et Matthieu, Jésus recrute quatre pécheurs qui jetaient leurs filets sur les bords de la mer de Tibériade en leur disant :
« Venez à ma suite et je vous ferais devenir pêcheurs d’humains » (Mc 1,17 & Mt 4,19).
Chez Jean il n’est fait mention que de l’appel de Jésus, sans mention des pêcheurs sur le lac. Seul Luc compose une scène dramatique et miraculeuse pour le recrutement des quatre premiers disciples : Jésus s’assoit dans la barque et instruit à distance la foule sur la rive, puis il s’adresse à Simon-Pierre et lui dit de jeter ses filets en eau profonde ; Simon-Pierre, en pêcheur expérimenté, lui répond qu’il a pêché toute la nuit et n’a rien pris suivant les techniques de pêche ancestrales ; mais il obéit, « sur ta parole, je vais jeter les filets » et ils prirent tant de poissons que les filets se déchiraient et que le bateau manqua de chavirer.
Il s’agit donc d’une véritable pêche miraculeuse, la première mentionnée dans les Evangiles : la pêche miraculeuse et son corollaire la multiplication des pains et des poissons se retrouvent à plusieurs reprises dans les Evangiles. Une autre pêche miraculeuse, très semblable à celle de Luc, se retrouve dans le dernier chapitre de l’Evangile de Jean (Je 21, 1-14) où Jésus apparait à sept disciples après sa résurrection, fait jeter le filet à droite du bateau : il y avait tant de poisson que les disciples ne purent retirer le filet. Là encore, Simon-Pierre est le principal interlocuteur de Jésus.
Après avoir douté, Simon-Pierre, devant le caractère miraculeux de cette pêche, se prosterne aux pieds du Christ et reconnait sa nature divine ; et, dans le même temps il confesse sa nature « d’homme pêcheur ». L’effroi l’avait saisi, car il avait reconnu la divinité du Christ en le qualifiant de Seigneur, et, en juif pieux, il pensait que l’on ne pouvait voir la divinité sans mourir. Simon-Pierre confesse donc sa condition humaine de pêcheur et implore la clémence de Jésus.
Jésus lui dit alors : « N’aie pas peur ; désormais ce sont les êtres humains que tu prendras ». La métaphore de la pêche miraculeuse apparait alors en toute lumière : le pêcheur est le disciple, qui agit au nom du Seigneur, le filet, la grâce de Dieu et les poissons les fidèles. Le miracle de la pêche miraculeuse sert de parabole et met en exergue la puissance de la parole de Dieu. Ce texte donne aux apôtres leur vocation missionnaire, comme en témoigne le dernier verset du texte :
« Alors, ils ramenèrent les bateaux à terre, laissèrent tout et le suivirent. »
Ils devinrent donc des disciples, qui ont tout quitté pour suivre Jésus.
L’apôtre Luc a sans doute eu l’intuition géniale de mélanger deux traditions pour réaliser ce texte saisissant, l’appel aux quatre premiers disciples et la pêche miraculeuse. Le texte de Luc donne le sens d’une révélation au choix des quatre premiers apôtres après la pêche miraculeuse, ce qui donne plus de sens à ces deux traditions. En effet, le recrutement des premiers apôtres chez Marc et Jean est purement factuel, et la pêche miraculeuse de Jean 21 a moins de sens en tant qu’apparition du ressuscité. Enfin, il faut noter que dans son Evangile, Luc a volontairement omis le nom d’André, frère de Simon-Pierre, pour mieux mettre en exergue la primauté de Simon-Pierre, considéré comme le fondateur de l’église Chrétienne :
« Moi, je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre, je construirai mon église » (Mt 16, 18).
Ce texte est toujours d’actualité : quand Jésus dit à Simon-Pierre « Avance en eau profonde », il s’adresse à nous, et nous conseille de ne pas rester sur les berges. Au-delà de la parabole, il nous encourage à approfondir notre foi en entendant la parole de Dieu, et de ne pas rester superficiellement dans nos habitudes. Avançons donc en eau profonde sans craindre le changement et avec courage. La métaphore de la pêche c’est la mission d’annoncer la Bonne Nouvelle, comme nous l’a rappelé Paul dans l’épître aux Corinthiens : soyons donc comme Jésus et ses apôtres des pêcheurs d’hommes.
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