« Un autre regard »

 

Nous voici face à un Jésus qui traverse le territoire païen de long en large et en travers.

Lui qui cherchait sans doute à prendre un peu de recul par rapport à son ministère controversé de part et d’autre et même incompris de ses proches, lui qui cherchait sans doute à s’écarter et prendre le temps de la solitude, une rencontre inattendue le transforme.

Quelques versets avant l’extrait de ce dimanche, dans un dialogue qu’il noue avec une femme païenne, Jésus prend conscience que son Evangile ne fait pas vivre seulement un peuple particulier, mais que son Evangile s’adresse au monde ; qu’il peut être reçu et entendu au-delà de toute frontière, de toute culture…

On imagine pour lui le choc !!

Dans le territoire de Tyr, une femme païenne, syro-phénicienne, vient en effet de lui témoigner que son Evangile fait vivre ! Une femme vient le confirmer dans son ministère et lui certifie par sa foi que son évangile est reçu, qu’il porte des hommes et des femmes dans l’espérance. Après une découverte de cette ampleur, il est aisé de comprendre que Jésus sillonne le territoire païen. C’est alors que s’offre à lui cette nouvelle rencontre. Des personnes portées par l’espérance lui emmènent un sourd « qui avait de la difficulté à parler ».

Nouvelle rencontre, nouveau challenge !

Car admettez qu’il est difficile de dire à un sourd : « Va, ta foi t’a sauvé ! »
Surtout quand ce sourd a de grandes difficultés d’élocution et que ce n’est pas de lui-même qu’il est venu auprès de Jésus ! (Ce sont quelques personnes anonymes qui l’amène auprès de lui).
Difficile donc de dire à un sourd : « va, ta foi t’a sauvé » quand il est avant tout passif et non acteur.
Visiblement Jésus de Nazareth, ça ne lui dit pas grand-chose. Sans doute est-ce à cause de son ouïe déficiente, de son impossibilité d’entendre les « ouïes dire » des uns et des autres, ou tout simplement de son imperméabilité volontaire ou non à ce genre de discours. « Jésus », ça ne lui dit pas grand-chose mais docile, il est prêt à essayer. Si ça marche tant mieux, au pire ça fera au moins plaisir à ceux qui l’ont emmené.

Et là dans ce sourd qui a de la difficulté à parler, c’est avec tendresse que l’on reconnaît nos enfants, petits-enfants, amis ou autre proche, quand ce n’est pas nous-même… Car l’histoire de ce sourd peut vraiment nous rencontrer de deux manières fondamentales.

La première justement parce que nous pouvons facilement nous reconnaître dans ce sourd ou y reconnaître les personnes que l’on rencontre autour de soi, que ce soit dans l’Eglise ou dans la société.
Et la seconde parce qu’il nous affirme toute l’importance d’un témoignage à l’écoute de l’autre.
Ce passage nous rencontre car nous pouvons nous reconnaître dans cet homme sourd.
Même en étant baptisés depuis des générations et des générations ou d’hier, même en ayant confirmé ce baptême publiquement ou non, même en ayant une espérance fabuleuse, il y a des choses qui parfois dans l’Evangile nous gênent et que nous préférons ne pas entendre.

« Tu aimeras tes ennemis » par exemple !

Franchement il y a bien des fois où nous aimerions que Jésus n’ait jamais prononcé une parole pareille !  Quelle contrainte ! Et c’est bien là le paradoxe de l’Evangile c’est qu’en nous offrant la liberté en Dieu –la seule qui soit ! il nous offre la responsabilité, la conscience de ce que l’on devrait faire par rapport à l’autre puisque pour soi-même il n’y a plus rien à chercher. Or être chrétien, assumer cette liberté ce n’est pas toujours facile.

Ainsi l’histoire de ce sourd qui avait des difficultés à parler nous rencontre dans ce que nous sommes, car parfois il semble plus simple dans son existence de ne pas entendre et de perdre pied dans l’Evangile. Il faut alors un signe, un geste, une parole de Jésus pour que nous mesurions que l’esclavage est bien plus difficile à vivre que la liberté ! Que rien ne vaut la grâce.

Mais l’histoire de cet homme nous rencontre aussi dans les personnes qui vivent autour de nous. Qui ne sont certes pas hostiles à l’évangile ou à la vie d’Eglise, mais qui en sont pour le moment indifférentes soit parce qu’elles n’ont pas le temps pour ces choses, soit parce qu’elles ne voient pas trop ce que cela peut leur apporter, soit pour des raisons que nul ne peut imaginer…
Comme notre homme elles semblent sourdes à toute parole et tout témoignage. Les uns et les autres ont beau tenter de démontrer par “a plus b” la pensée de l’Eglise, la pertinence de l’Evangile, l’intelligence de la grâce, rien n’y fait. Ces personnes restent sourdes.
Qui plus est elles ont du mal à parler ! Où en tout cas elles ont du mal à bien parler de l’Evangile, de l’Eglise, ou de la religion à cause d’une méconnaissance bien souvent provoquée par la conviction de trop connaître ! Dans notre société laïque et sécularisée, l’Eglise, l’Evangile arrive à coup de bride médiatique, de film ou suppositions soi-disant discriminant le discours de l’église… Bref, la confusion devient grande et les uns et les autres pensent savoir ce que c’est l’église à travers ces bribes reçues ici ou là, ou les traditions encore visibles dans certaine famille…

… ainsi nous entendons parfois de la bouche de nos proches ou de nos prochains des exclamations du type « de toute façon Jésus il n’a jamais existé… »

Ce récit évangélique nous rappelle alors ces personnes qui ne sont pas hostiles à l’Eglise, à l’Evangile mais qui n’en saisissent pour le moment pas le sens pour elles… pourtant le miracle d’une rencontre n’est jamais loin. Jésus nous le montre, il suffit parfois juste d’un témoignage de foi, d’un témoignage d’amour, d’un temps pris pour rencontrer l’autre dans ses attentes et ses questions. En effet Jésus devant cet homme sourd et à l’élocution difficile ne peut pas simplement dire : « Va, ta foi t’a sauvé ». C’est impossible l’homme est sourd, il n’est pas prêt à entendre une telle parole et qui plus est sa présence devant Jésus n’est pas fruit de sa propre volonté mais fruit de l’espérance des autres, de ses proches. Face à une telle situation, on imagine donc bien que Jésus ne puisse pas agir comme il en a l’habitude de le faire. Il ne peut pas nouer un dialogue et simplement renvoyer devant la personne son espérance et sa foi. Il doit trouver un autre moyen que la parole, il doit trouver le moyen de venir le rencontrer dans ce qu’il est, dans son mal et sa souffrance, dans son enfermement volontaire ou subi. En d’autres mots, pour entrer en communication avec cet homme qui n’a pas forcément désiré être là, Jésus doit le comprendre, et c’est ce qu’il fait !

Car comprendre ça signifie d’abord « prendre avec soi ».

Jésus le prend avec lui. Il le prend à l’écart, loin de la foule sans doute avide de miracle. Et c’est là, dans un tête-à-tête, un face à face que les choses peuvent alors éclore. C’est là dans l’intimité d’un échange qu’une rencontre existentielle peut surgir et redonner à l’autre tant l’ouïe que la parole. Et ce tout simplement parce que la vérité d’un homme ne s’annonce pas comme une information, elle ne s’apprend pas comme un théorème, mais elle s’expérimente à travers une rencontre, un échange, un partage. L’Evangile doit toucher les hommes et les femmes de notre temps au creux de leurs existences.
Et pour ce faire il doit être dit avec les mots de l’autre, c’est-à-dire les mots qui rencontrent l’autre. Témoigner, c’est prendre le temps de se mettre à l’écoute de l’autre, entendre ses attentes et non pas vouloir calquer les siennes…

Sans doute cela reste difficile, mais ne restons pas sourds à l’Evangile, le monde attend !

Amen.

 

 

 

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