Prédication sur 1 Jean 4, 14-16 et Marc 8, 27-33
Sans doute avez-vous remarqué l’affiche à l’entrée de notre temple ? Pour ceux qui entreraient ici pour la première fois, voici notre souhait, notre vocation, notre prétention : « Etre témoin de l’Evangile aujourd’hui. » Quel défi n’est-ce pas ? Il est possible que cela paraisse quelque peu prétentieux que d’affirmer que, dans notre Eglise, nous revendiquons de témoigner de l’Evangile avec les mots d’aujourd’hui, pour la société contemporaine, avec les outils d’aujourd’hui… Sans doute avons-nous quelques progrès à faire pour être à la hauteur de cette affiche mais nous ne voulons pas renoncer : être témoin de l’Evangile aujourd’hui, c’est là notre raison d’être.
Encore faut-il nous entendre sur ce que cela signifie ? Quelle sens mettons-nous derrière ces mots ? Sommes-nous vraiment d’accord sur le contenu de ce témoignage ? Et vous, qui dîtes-vous que je suis ? demande Jésus à ses disciples. Notre Eglise a décidé de prendre la parole à son tour pour dire, à sa manière, qui est ce Jésus dont nous prétendons être les disciples, donner un contenu à ce témoignage rendu à l’Evangile aujourd’hui, oser une parole publique qui dise notre compréhension de l’essence de la foi chrétienne… Des théologiens ont été nommés pour organiser et nourrir cette réflexion. Les conseils presbytéraux de toutes les paroisses ont été consultés. Les Synodes des 8 régions de notre Eglise se sont exprimés. Et au bout d’un processus qui a duré deux ans, les délégués au Synode National ont ensemble élaboré, débattu et voté ce qui est désormais, depuis l’Ascension 2017, la Déclaration de Foi de l’Eglise Protestante Unie de France.
Laissez-moi vous lire quelques mots de la lettre d’accompagnement rédigée par la toute nouvelle présidente du Conseil National de notre Eglise, la pasteure Emmanuelle SEYBOLDT :
« C’est un défi de faire parler cent personnes d’une seule voix, non parce qu’on aurait étouffé les oppositions, mais parce que chacun aurait été entendu. Ce défi a été relevé lors du Synode national de Lille.
C’est un défi de dire la foi de l’Eglise en sortant des formulations dogmatiques héritées des temps anciens, non par contestation mais pour rejoindre nos contemporains. Ce défi a été relevé lors du Synode de Lille.
C’est un défi de faire de la théologie en grande assemblée et avec bienveillance. Ce défi a été relevé également lors du Synode de Lille.
Vous comprendrez donc que j’éprouve une grande joie à vous faire parvenir cette Déclaration de foi, élaborée avec sérieux, précision et confiance par les délégués au synode.
Cette Déclaration de foi ne remplace pas le Symbole des Apôtres, ni la Déclaration de foi de 1938 (fondatrice de l’ERF), ni la Confession d’Augsbourg (fondatrice de l’EELF)… ! Chaque époque a besoin de dire avec ses mots la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, mort et ressuscité. Aujourd’hui notre jeune Eglise, héritière d’une longue tradition, porteuse d’un Evangile ancien et pourtant toujours neuf, entre à son tour dans la conversation que les croyants de tous temps ont mené avec les hommes et les femmes de leur époque. »
Mais ce sera un texte de plus qui viendra s’entasser sur la pile des textes inutiles si le peuple de l’Eglise ne se l’approprie pas, ne le reçoit pas, ne le réfléchit pas, ne s’y reconnaît pas. C’est pourquoi, à travers la Déclaration de Foi de notre Eglise, je vous invite ce matin à nous poser la question de l’essence de la foi chrétienne.
Cela implique de notre part, disait dans les années 70 le grand théologien allemand Gerhardt Ebeling, un certain type de participation, c’est à dire avoir un « intérêt » au sens étymologique du terme inter-esse (se trouver parmi, être concerné par, prendre part à). Au fond, je vois 4 manières différentes pour nous de nous « inter-esser » à cette question : 1- par pure curiosité intellectuelle (tiens voilà une occasion qui nous est offerte de nous coucher moins bête) 2- pour nous informer du catéchisme orthodoxe (quelles sont les cases à cocher dans le catalogue de ce qu’il vous faut croire pour pouvoir prétendre être un bon protestant) 3- par passion de la connaissance (pour ceux qui veulent tout savoir de toutes les religions avant de prendre position et d’adhérer au contrat d’assurance-vie éternelle de leur choix) 4- parce que nous percevons qu’il y a dans cette question un enjeu existentiel fort parce qu’il est question ici de choses essentielles, au plus intime, qui concernent le sens de notre vie, notre mort, l’amour… Moi je prétends qu’il y a des questions qu’on ne comprend pas vraiment tant qu’on leur reste extérieur et qu’on refuse ainsi tout engagement personnel, tant qu’on ne prend pas conscience qu’on appartient soi-même au domaine sur lequel portent ces questions. Y réfléchir et en parler c’est au fond réfléchir sur soi, parler de soi, une sorte de « diction de soi-même ». : il est impossible de ne pas prendre parti. C’est la parole qui est attendue des catéchumènes au moment de leur confirmation, qu’ils prennent la parole en public pour répondre à leur tour et en leur nom propre à la question de Jésus : Et vous, qui dîtes-vous que je suis ? En conscience pouvoir prononcer à son tour ces mots de Martin Luther à la Diète de Worms : « Hier stehe ich und kann nicht anders ! »
Tout de suite, il faut préciser qu’il n’y a jamais de réponse définitive parce que ces questions existentielles ne sont jamais résolues définitivement. Tant que je vivrai, tant que je serai impliqué, tant que je continuerai à évoluer alors la réponse ne sera pas définitive, le dernier mot ne sera pas dit. De la même manière, cette Déclaration de Foi n’a pas de prétention à la catholicité, au sens de parole ultime et universelle. Elle se sait partielle et partiale, situé dans le temps et dans l’espace. Ici en France, pour l’Eglise Protestante Unie de France, qui souhaite être témoin de l’Evangile aujourd’hui en 2018. Il y a une certaine humilité à oser prendre la parole en sachant que nous n’avons pas la prétention de parler pour l’ensemble du christianisme. Mais en même temps, dire : « voilà ce que nous croyons », c’est au fond remettre en cause un statuquo, rouvrir une question qui semblait résolue pour tout le monde, remettre en chantier ce qui semblait acquis. Et si on se reposait la question avec d’autres mots, d’autres idées ? Voilà qui est tout sauf facile ou évident : cela demande d’accepter un déplacement, un voyage spirituel qui bouscule. On prend le risque de se dire : « Ah bon ? Je croyais que… » Etes-vous prêts au voyage chers amis ? Il s’agit d’accepter, d’oser abandonner des forteresses inexpugnables, oser partir vers de l’inattendu et de l’inespéré tant il est vrai que Dieu est souverain et qu’il est impossible de l’enclore, comme le disait Jean Calvin.
Il faut également préciser qu’il n’y a pas de réponse simple en 140 caractères qui pourraient tenir dans un tweet ou un sms. Certains trouveront sans doute cette Déclaration trop longue, trop complexe, trop élaborée mais c’est là la contrepartie inévitable d’une pensée complexe assumée parce qu’elle n’a pas d’autre choix que de prendre le temps du détour par la complexité narrative qui donne à penser tout en connaissant l’approximation des mots qu’il faut choisir autant que l’épaisseur de l’âme humaine, de l’inconscient et de l’inavoué. Et pourtant si on a fait le choix de parler aujourd’hui, il fallait faire l’effort de traduire et donc de trahir. Chasser autant que possible ce qu’on a appelé « le patois de Canaan » pour parler de ce langage codé, interne, accessible aux seuls initiés, aux membres du club : péché, salut, conversion, eschatologie, parousie, etc. tous ces gros mots affectionnés par les prétendus spécialistes, de la même manière que mon garagiste adore employer des mots techniques pour me faire avaler la lourdeur de sa facture. Il est vrai que dire l’essence de la foi chrétienne pour nous peut aussi prendre la force d’une phrase choc, d’un verset qui nous a marqué par sa précision et son effet percutant : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant, répond Pierre à la question de Jésus. Dieu a tellement aimé le monde (Jean 3,16) Maintenant 3 choses demeurent, la foi, l’espérance et l’amour (1 Corinthiens 13,13) Ma grâce te suffit car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse (2 Corinthiens 12,19) L’Eternel est mon berger (Psaume 23). Chacun trouvera le sien et le gardera sans doute toute sa vie. Mais nous n’avons là qu’un témoignage personnel et non une confession de foi et encore moins une déclaration de foi qui engage toute l’Eglise
Parce qu’il faut aussi garder à l’esprit que, même si nous sommes appelés à prendre la parole et nous impliquer personnellement, il n’y a pas non plus que des réponses isolées et solitaires à cette question. Dire l’essence de la foi chrétienne, c’est toujours quelque part une parole qui dit « nous », une parole qui tisse plusieurs histoires, plusieurs générations, plusieurs fidélités, une parole collective qui vient faire corps, qui fonde une communauté avec une certaine fierté d’y prendre part (nous sommes protestants et fiers de l’être), une parole qui fonde une famille à la fois dans la filiation et la transmission par la verticalité du témoignage reçu par ceux qui nous ont précédés mais aussi dans la fratrie et la confrontation par l’horizontalité de la parole partagée et de la construction commune dans le débat et la discussion par forcément consensuelle. Notre Déclaration de Foi se trouve donc être un texte de compromis entre les mots reçus de nos anciens et les mots nouveaux attendus par nos contemporains qui pourra nous décevoir parce qu’on ne s’y reconnaît pas pleinement tout en comprenant qu’il tente de parler de nous. C’est un texte de compromis qui retrace des débats parfois vifs mais où chacun a choisi de faire un pas vers l’autre : entre ceux qui se reconnaissent dans le courant libéral et rationnel cherchant des mots intelligibles pour dire leur foi, ceux qui attestent faire partie du courant confessant de notre Eglise insistant sur la relation personnelle du croyant avec son Seigneur et Sauveur et ceux qui se sentent convoqués par le monde à mettre en œuvre leur foi chrétienne dans un engagement social, diaconal et politique. Alors, en rédigeant cette Déclaration de Foi qui nous permet de témoigner de notre foi à plusieurs voix, notre Eglise a fait le choix de se situer à contre-courant de l’idéologie humaniste dominante qui, elle, idéalise et sacralise l’individu et son ressenti en posant comme norme ultime le désir du client-roi, le beau dans l’œil du spectateur et la vérité ultime cachée en chacun. En faisant nôtre cette Déclaration de Foi, nous osons affirmer que l’individu ne décide pas de tout et n’a pas en lui-même le critère ultime de la vérité.
Certains d’entre nous regretteront certainement qu’une parole qui pose les fondements de la maison commune puisse paraître aussi fragile, aussi vulnérable qu’un « nous croyons » balbutié à plusieurs. Ne faudrait-il pas oser affirmer un peu plus franchement et laisser un peu moins de place aux points d’interrogation ? Ne faudra-t-il pas poser le pied sur la terre ferme, construire ailleurs que sur le sable ? Ainsi, dit l’apôtre Paul dans l’Epître aux Ephésiens, nous ne serons plus des enfants, ballottés, menés à la dérive à tout vent de doctrine, joués par les hommes et leur astuce à fourvoyer dans l’erreur. Mais, confessant la vérité dans l’amour, nous grandirons à tous égards vers celui qui est la tête, le Christ. (Ephésiens 4,14s). N’y a-t-il pas là un enjeu essentiel pour la transmission et la catéchèse de nos enfants ? Il semble bien que nous soyons appelés à sortir d’un relativisme paresseux et lâche (tout le monde a raison, tout le monde a gagné). Il y a une forme de courage nécessaire à poser une parole qui dit certes humblement mais non moins sereinement et clairement : voilà ce que nous croyons.
Je vais donc vous inviter tout à l’heure à recevoir cette Déclaration de Foi de notre Eglise comme confession de foi. Je la lirai sans commentaire, vous invitant à la recevoir simplement à la lumière de tout ce que nous venons de partager : une parole de foi qui nous implique parce qu’elle parle de questions existentielles essentielles pour notre vie, une parole de foi qui nous invite à un voyage spirituel sans nous fixer sur ce qui nous semblerait aller de soi, une parole de foi qui nous donne à croire et à penser pour aujourd’hui en évitant le langage ésotérique réservé aux seuls initiés, une parole de foi à plusieurs voix qui tisse nos différences au sein du protestantisme luthéro-réformé qui est notre famille spirituelle, une parole de foi qui assume d’affirmer clairement à la face du monde ce que nous croyons dans notre Eglise.
Pour le moment, je tiens à terminer mon message à rendant grâce ; dire ma reconnaissance à celui qui est amour au-delà de tout ce que nous pouvons exprimer et imaginer. Comme le dit le Psaume 118 qui termine notre nouvelle Déclaration de Foi, « Célébrez Dieu, car il est bon et sa fidélité dure pour toujours. » Amen !