« Sommes-nous fondamentalistes ? »

« Permis ou défendu, sommes-nous fondamentalistes ? »

A partir de Genèse 2, 18-24 et Marc 10, 1-16

 

« Est-il permis ? », « Est-il licite ? », « Est-ce qu’on peut ? », « A-t-on le droit ? ».

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’une grosse part de l’angoisse humaine se concentre, se condense, s’exprime dans ce genre de questions. Questions potentiellement explosives, potentiellement source de conflit, de division.

Ce n’est évidement pas un hasard si c’est par cet aiguillon brûlant que les adversaires de Jésus cherchent à le piéger, cherchent à briser l’aura qu’il a vis à vis des foules.

« Les Pharisiens abordèrent Jésus et, pour l’éprouver, lui demandèrent s’il est permis à un homme de répudier sa femme »

Si on veut bien comprendre le piège et ainsi entrer dans la compréhension de ce texte, il est nécessaire de commencer par remarquer que la réponse attendue par les adversaires était « oui ».

Car c’est bien à partir d’un « oui », d’un « oui il est licite de répudier sa femme » que les pharisiens avaient l’intention de faire fonctionner leur piège. Ils n’attendaient certainement pas un « non ».

Pour le dire autrement, la question était un piège non pas fondé sur l’alternative « ou bien ou bien », « oui ou non », sur l’opposition entre oui et non mais sur le « oui » qui était attendu, attendu parce que le « non » était inenvisageable, impensable.

Il était évident que Jésus allait dire « oui » et qu’ainsi il serait rentré dans le piège comme la souris dans la souricière.

Frères et sœurs, à la question : « Est-il permis à un homme de répudier sa femme ? », pourquoi le « oui » était-il normalement inévitable ?

Pour au moins trois raisons :

  • D’abord parce que justement le législateur le permet, Moïse a en effet permis d’écrire des actes de divorce.

 

  • Ensuite parce que l’expérience humaine, l’expérience concrète, de terrain, remarque très vite qu’un certain nombre de situations de couple se révèlent absolument invivables, voire destructrices.

 

Les pharisiens qui ont à charge des fidèles dans le concret et le quotidien de la vie le savent très bien. Et ils ont bien repéré que ce Jésus qui déambule dans le pays, qui prend le temps de la rencontre, de l’enseignement et des soins n’a pas pu manquer de l’éprouver.

 

Jésus n’est pas un essénien, cloîtré dans un monastère, ceinturé dans des règlements intransigeants et s’exerçant à une discipline hors de portée du commun des mortels, il n’a rien d’un ascète.

  • Enfin troisième raison non négligeable : un homme devait pouvoir répudier sa femme pour cause de stérilité de façon à avoir une descendance. Notez qu’à l’époque on ne pouvait pas imaginer que la stérilité pouvait être masculine.

Alors du coup si les pharisiens tablaient sur un consensus sur cette question en s’attendant à ce que Jésus réponde « oui », en quoi y avait-il piège ?

Tout simplement parce qu’une fois qu’on a dit « oui », qu’on reconnaît que c’est licite de répudier sa femme, et bien il va falloir expliciter sous quelles conditions et sous quelles modalités !

C’est bien là que vont apparaître les différences de sensibilité de morales, et donc des clans, des écoles de conduites et de pratiques, et toutes les disputes et les divisions qui vont avec.

Or évidement si Jésus choisit un camp, en expliquant comment il voit les choses, les autres vont le quitter et s’en sera fini de son enseignement adressé aux foules, il ne s’adressera plus qu’à des adeptes.

Le piège, c’est de diviser à partir des opinions et nous savons très bien combien le piège de diviser sur une opinion est efficace : « permis pas permis », « pour ou contre » ça ne reste jamais longtemps une question intellectuelle, abstraite, ça devient très vite passionnel, charnel, violent.

Rapidement il y aura le clan de ceux qui vont plutôt se dire, se revendiquer, libéraux, souples, opposé à celui de ceux qui au contraire vont se revendiquer plus rigoristes, exigeants, fondamentalistes.

Rappelons-nous ici frères et sœurs que justement, le terme « fondamentaliste », s’il est plutôt péjoratif pour nous, est initialement le mot d’ordre de gens qui le revendiquent et qui l’assument.

On est fondamentaliste, entendez on est construit sur les fondements, on prend au sérieux ce qui est fondamental.

Il y a donc bien, là aussi, un consensus qui provoque pourtant des divisions : est-ce qu’il y en a parmi nous qui diraient « non, nous on est des gens légers, futiles, inconstants, sans fondements ».

Non ; on revendique donc bel et bien tous d’être des fondamentalistes, même si par ailleurs on peut s’estimer plus libéral que d’autres !

Or, être tous des fondamentalistes ne va évidement pas empêcher de se taper dessus ou du moins rapidement de se diviser, voire de se mépriser entre fondamentalistes qui n’ont pas les mêmes opinions, représentations, visions de ce qui est fondamental.

 

La Bible nous indique que cette revendication du fondamental, cette aspiration au Bien qui au lieu de faire consensus fait au contraire division, nous renvoie à Babel, à la volonté de se faire un nom, de se faire comme des dieux.

Et en définitive, la multiplication des langues issue de Babel qui fait écho à la multiplication des opinions, des pratique, des conceptions, renvoie à un même projet mortifère, nommé Le péché (au singulier).

Et c’est cela que Jésus dit lorsqu’il répond : « c’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse a écrit pour vous ce commandement ».

Disant cela, il ne s’adresse évidement pas qu’aux seuls Pharisiens, et a fortiori à l’autre camp que le sien, non, il s’adresse bel et bien à tous, à nous tous.

Du coup, nous comprenons que Jésus, à la question : « Est-il permis à un homme de répudier sa femme ? », s’il ne répond pas « oui » (ce qui surprend ses adversaires) ne répond pas vraiment « non » non plus, puisqu’il déplace complémentent le problème ailleurs.

Il le déplace en soulignant la rupture radicale entre un commencement bon et la corruption humaine, la dureté du cœur humain.

Au fond, il pointe l’infidélité humaine à l’œuvre dans la création. Du coup, qu’est-ce que ça veut dire « est-ce que c’est licite ou pas ? » « est-ce que c’est permis ou pas ? » si de toute façon il y a cette corruption originelle, cette infidélité première.

Frères et sœurs, on peut se conformer à la loi tant qu’on veut : si de toute façon il y a cette corruption, les fruits seront corrompus, les œuvres viciées.

On peut faire le bien tant qu’on veut, on peut pratiquer ce qu’on croit être le bien tant qu’on veut, les œuvres seront toujours corrompues par le cœur et sa dureté.

Pour le dire avec le langage de la Réforme, les œuvres, les œuvres de la loi, les œuvres de la loi du bien, ne justifient pas, ne rendent pas juste devant Dieu parce que l’infidélité demeure, la non-foi règne.

Or, c’est justement la fidélité que Jésus remet au centre dans sa réponse.

Examinons-la un peu dans le détail.

Jésus reprend deux citations de la Genèse qu’il modifie et leur donne une conclusion personnelle.

La première citation est tronquée volontairement : « au commencement de la création Dieu les fit mâle et femelle » est une citation de Gn 1, 27 qui dit « Dieu créa l’homme à son image : il le créa à l’image de Dieu, homme et femme (mâle et femelle) il les créa. Dieu les bénit et Dieu leur dit : soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-là. Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui rampe sur la terre ».

On entend donc que Jésus tronque volontairement la dimension de la procréation et de la fécondité. Attention, il n’a rien contre les enfants, la fin de notre passage de l’Evangile de Marc ou Jésus embrasse et bénit des enfants nous l’indique clairement !

En coupant cette dimension pourtant fondamentale pour le premier testament de procréation et de fécondité, Jésus effectue un geste révolutionnaire : il restitue le couple à lui-même, il le rend à son alliance.

Le couple n’est pas une machine à se reproduire, ce n’est pas un moyen pour une autre fin que lui, mais c’est d’abord le lieu d’une alliance et d’une fiance. On ne répétera jamais assez que foi, fiance, fiançailles sont de la même racine étymologique.

La vérité d’un couple n’est pas dans ses œuvres : se reproduire, être fécond, productif mais dans sa fiance, dans la parole donnée, reçue, dans la promesse ainsi ouverte et l’existence qu’elle met en route.

Dans un sens on quitte Moïse pour Abraham.

 

La seconde citation que Jésus corrige est celle de Gn 2,23.

En effet dans la Gn c’est l’homme, entendez le mâle, le masculin qui quitte père et mère pour s’attacher à sa femme.

Femme qui, elle, comme la fleur, n’attendait de toute éternité que ça, n’avait pas d’autre destinée que d’être choisie.

Jésus parle non du masculin mais de l’humain générique (anthropos en grec) et se faisant il rappelle que pour les deux il y a une démarche qui implique un départ – il faut quitter père mère – et d’assumer la rencontre.

La femme n’est donc pas un moyen pour l’homme d’avoir une descendance, une partenaire réduite à compléter l’homme, mais elle est posée dans la réciprocité avec l’homme. Ce qui évidemment est une condition pour qu’il y ait réellement alliance et fiance.

Car pour former une même chair, il faut préalablement que l’autre soit reconnu comme de la même chair que soi. Donc que l’autre ait la même dignité.

La question là encore n’est pas de savoir ce qui est permis ou non, ce qu’on peut faire ou pas, c’est celle de la parole d’alliance et de la vie qu’elle partage et promet.

Le cœur du propos de Jésus est donc la participation du mâle et de la femelle au genre humain

 

Pour conclure,

Nous devons bien reconnaître que cette parole de Jésus nous trouble toujours : la réalité du divorce est là dans nos vies ou autour d’elle.

Le piège mortel c’est de penser que la question se tranche dans l’alternative « permis pas permis » et se vit dans les opinions conflictuelles « pour ou contre » qu’elle engendre.

 

 

 

Ce que nous enseigne Jésus c’est qu’il n’y a pas d’alternative « bien ou pas bien », que la question n’est pas « permis / non permis », que notre justification ne doit pas se chercher là : dans la loi, dans les œuvres de la loi, dans l’auto-justification ou la justification de la dureté de notre cœur c’est à dire de notre non-foi.

Non la question c’est celle de la foi, de la fiance, de la fidélité. Nous n’entrons pas dans le Royaume de Dieu grâce à ce que nous faisons, nous n’en sommes pas exclus à cause de ce que nous n’avons pas fait.

Nous n’entrons dans le Royaume de Dieu que comme des petits enfants c’est à dire comme des êtres qui sont appelés par leur nom, accueillis par Christ, aimés par lui, bénis par lui.

Christ seul est notre justice,

sa bénédiction est notre justification.

Amen.

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