Lecture Biblique : Marc 6, 30-34
Prédication
Le prédicateur est parfois bien perplexe quand il découvre le texte proposé à la méditation du jour par le lectionnaire. C’est le cas ce matin. La première lecture des cinq versets de Marc m’ont d’abord, je l’avoue, laissé bien embarrassé.
D’une part il ne se passe rien de spectaculaire dans ce passage, pas de guérison, pas de parabole, pas de discours … Et puis cette image des brebis et du berger n’est plus très parlante pour quelqu’un qui a toujours vécu en ville et pour qui l’idée de brebis n’évoque qu’un troupeau bêlant un peu bête.
Quel message évangélique trouver là ? Où est la bonne nouvelle de ce passage ?
Quand on est dans cette situation d’incompréhension, une seule solution : lire et relire le texte, en frotter les mots jusqu’à ce que jaillisse la lumière. Je vous invite donc à une visite du texte à la recherche de ce qui ne saute pas immédiatement aux yeux, ce qui s’y cache.
« Reposez-vous un peu »
Je vais partir de cette impression que le texte ne dit rien. On n’y parle pas beaucoup et Jésus ne dit qu’une phrase. Elle semble bien plate mais elle est moins banale qu’il ne semble. « Vous autres, venez à l’écart dans un lieu désert et reposez-vous un peu ».
Les disciples reviennent de leur première mission d’évangélisation, ils sont fatigués.
Le bon sens veut qu’ils se reposent et on pourrait croire que Jésus ne leur donne qu’un conseil d’hygiène, « reposez-vous ». Mais à y regarder de près, cela va plus loin.
Cette invitation consiste à suggérer de se retirer dans un lieu « à l’écart » et isolé (la traduction « désert » est excessive). C’est une invitation au ressourcement, ils ont beaucoup donné, ils doivent maintenant se recueillir au sens propre du verbe « recueillir » qui signifie « rassembler, regrouper pour éviter la dispersion ».
C’est à une respiration qu’invite Jésus, après le mouvement vers le dehors, la dépense d’énergie, doit venir le temps de l’inspiration, de retour sur soi. Que faisons-nous ce matin sinon justement nous réunir en un endroit à l’écart et isolé des bruits du monde pour nous reposer des soucis quotidiens ?
Le premier message que je lis dans ce court épisode est un message d’encouragement au recueillement.
Nous avons tous tant à faire, nous courons de ci de là, nos agendas sont surchargés, nous nous éparpillons en mille tâches et nous avons parfois l’impression de ne pas en faire assez. Nos esprits sont surchargés des informations que diffusent les journaux, les radios, la télévision, Internet ; ils voltigent aux quatre coins du monde, tenus en haleine par l’actualité, inquiets, tendus ; dispersés au dehors.
C’est à nous que s’adresse alors la parole « « Vous autres, venez à l’écart dans un lieu désert et reposez-vous un peu ». Elle nous invite à déposer un moment les soucis du monde pour reprendre force. C’est à la fois une consigne qui nous met en garde contre l’activisme désordonné mais aussi une parole de déculpabilisation concernant notre besoin de repos.
On n’échappe pas à la foule
Pour réaliser le projet de se mettre en repos dans un lieu écarté, Jésus et ses amis embarquent et traversent le lac. Contre toute vraisemblance, la foule atteint le point d’arrivée avant la barque ! Il y a quelque chose d’outrancier dans ce texte où il ne faut surtout pas chercher un compte rendu exact d’événements s’étant réellement passés. Si on prenait le récit à la lettre, il y aurait quelque chose de presque burlesque : on imagine la surprise de Jésus et ses amis découvrant en abordant le rivage, la foule qu’ils espéraient fuir !
Ces marcheurs qui contournent le lac et arrivent avant la barque qui le traverse, signifient la puissance du désir où sont tous ces gens d’entendre encore et encore le rabbi de Nazareth. Cette foule en attente indique surtout que, quel que soit le bien fondé du besoin de repos, il n’est pas question d’oublier le monde et ses besoins.
« En débarquant, Jésus vit une grande foule, il fut pris de pitié ». Plus exactement, « il fut ému, remué ». Jésus voit la foule, il ne s’agit pas seulement d’un phénomène optique. Voir ici, c’est entrer en empathie. On peut regarder sans voir, l’œil peut être imprégné par une image sans que le cœur ne saisisse l’image.
Combien de mendiants voyons-nous sans les voir ? Nous passons notre chemin, vaguement embarrassés, sans modifier notre trajectoire. Jésus, lui, s’arrête. Il s’arrête car il voit. Et voyant, il doit s’arrêter, il avait un projet, il emmenait ses amis dans un lieu tranquille pour se reposer. Il renonce à son projet. Il s’incline devant les circonstances. Le repos, ce sera pour plus tard.
Le premier message du texte nous invitait au repos.
Le second message nous donne une hiérarchie de valeurs : le repos, c’est bien, c’est nécessaire mais la prise en considération des autres, c’est encore plus important.
Ce texte apparemment banal contient une tension très instructive, elle est la tension entre deux foules : il n’est pas interdit de fuir la foule mais il faut aussi la voir ; il faut à la fois savoir se reposer loin du monde mais il faut aussi savoir renoncer au repos quand l’urgence est là. Tout est affaire d’équilibre.
Des brebis et des bergers
Le récit de Marc dit encore autre chose. Il donne son explication de l’émotion qui fait s’arrêter Jésus. C’est « parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger ». Il nous faut aller voir de plus près cette image des brebis et du berger, il nous faut dépasser nos préjugés contre les moutons qui sont devenus des symboles de bêtise.
Suivre quelqu’un comme un mouton, n’est pas très élogieux. Suivre comme une brebis serait-il plus intelligent ?
Le thème du berger est classique dans l’A.T. Nous avons tous dans l’oreille, le psaume 23 : « l’Éternel est mon berger, je ne manquerai de rien …. » et le texte de Jérémie que nous avons relu file la métaphore qui compare le peuple d’Israël à un troupeau de brebis ; de mauvais bergers l’ont dispersé, Dieu – le bon berger – les rassemblera.
Cette comparaison des gouvernants à des bergers n’est pas propre au monde sémitique. Tout le monde antique l’utilise et on en trouve même chez Platon, un contemporain du prophète Jérémie, une critique bien intéressante. Mais c’est une autre histoire.
Le thème du berger est toujours associé au repos et au repas : le berger nourrit et conduit en lieu sûr. Or ici, pas de repos pour le berger et ses missionnaires, Marc a précisé, au premier verset de notre fragment, que les apôtres n’avaient pas le temps de manger. Le repos et le repas c’est pour les autres. Notre épisode se prolonge d’ailleurs par le récit de la multiplication des pains.
Marc veut visiblement présenter Jésus comme le berger annoncé par les prophètes, celui qui rassemble et nourrit. Il récupère donc un schéma classique mais il y introduit une variante : avant de nourrir cette foule avec des pains et des poissons, Jésus l’enseigne.
Le berger annoncé et incarné en Jésus de Nazareth n’est pas un meneur d’hommes ou de troupeaux, pas un guide, c’est un enseignant, un catéchète. Il traite les humains en humains et non en moutons, il délivre une parole.
Pas n’importe quelle parole, pas une parole de séduction, pas une parole racoleuse de publicitaire, pas une parole convenue qui entretient les auditeurs dans leurs préjugés et opinions. Non, le texte grec utilise un terme sans équivoque : c’est un enseignement que délivre Jésus, Jésus s’adresse à l’intelligence de ces gens. Rien à voir avec les leaders, Führer, duce et autres guru qui parlent aux émotions et qui, finalement, conduisent les foules à l’abattoir. Jésus enseigne, il instruit et ne séduit pas.
Là est le troisième message de ce texte qui semblait ne rien dire : le second message enseignait qu’il faut savoir renoncer au repos quand une urgence s’impose ; le troisième précise que cette urgence, c’est de répondre au besoin des foules qui sont « comme des brebis sans berger ». Nous comprenons qu’il s’agit de la soif de comprendre, d’apprendre. Jésus renonce au projet de se retirer au calme avec ses amis uniquement parce qu’il voit cette foule en attente d’un enseignement.
Pause
Il faut se méfier des textes apparemment légers, ils peuvent receler des trésors cachés. Nous venons d’en découvrir trois mais une foule d’autres gisent sans doute encore entre les lignes.
Je dis « trois » mais c’est une et une seule bonne nouvelle qui nous attendait derrière les mots de ces versets de Marc. On peut énoncer cette bonne nouvelle dans les codes anciens : Jésus est le berger qu’Israël attendait, le berger qui conduit ses brebis en des lieux paisibles et les nourrit en abondance.
Frères et sœurs, au milieu des discours en tous genres (discours politiques, économiques, commerciaux …) qui dispersent nos esprits, sachons recevoir, pour la recueillir, la Parole de Jésus, le Christ, parole évangélique qui apaise et instruit.
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