Marcher selon la tradition des anciens ?

Lecture Biblique : Deutéronome 4, 1-8, Jacques 1, 17-27, Marc 7, 1-23

 

Prédication

Ce récit peut paraître quelque peu dépassé, puisqu’il touche à des rituels qui n’ont plus cours dans notre vie chrétienne. Il se pourrait donc que nous considérions ce passage comme de peu d’intérêt par les questions qui y sont abordées.

 

Mais il ne faut cependant pas se précipiter, car alors nous tomberions dans le travers des pharisiens et des scribes, incapables de discerner l’esprit sous la lettre.

 

Sûrs de leur bon droit, les détracteurs de Jésus sont offusqués, non par l’attitude de Jésus lui-même, mais par celle de certains de ses disciples, dont il est en partie responsable puisqu’il en est le maître. Et cela à propos du non-respect des prescriptions de la Tradition concernant les rites de purification avant les repas : « Pourquoi tes disciples ne se conduisent-ils pas (ne marchent-ils pas) conformément à la tradition des anciens ? » (v. 5).

 

Il y a donc, comme point de départ de cette situation, la non-observance d’une règle, devenue Tradition véridique et inaliénable, établie par rapport à la Torah.

 

Pour bien comprendre les raisons de ce développement, les exégètes ont tenté de retrouver le logion (la parole) que prononça Jésus. Ils le discernent au v. 15 de notre récit lorsque celui-ci dit :

« Il n’y a rien d’extérieur à l’homme qui puisse le rendre impur en pénétrant en lui, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur », suite à l’exposé des faits aux versets 1 et 2.

Si cette phrase est bel et bien au centre de la querelle, il peut être également assuré que l’évangéliste Marc réinterprète ce passage en fonction de la communauté chrétienne dans laquelle il est inséré.

 

Certains indices peuvent nous servir, comme la mention de « certains disciples », ce qui sous-entend « pas tous » ; de « la tradition des anciens » qui fait référence à une transmission reçue ; ou encore de l’enseignement en privé que Jésus donne à ses disciples.

 

Qu’est-ce à dire, si ce n’est qu’au sein de cette communauté naissante se trouvent des chrétiens d’origines diverses : issus de la diaspora juive ou du paganisme ?

 

Les uns ont conservé les rituels du judaïsme et sont scandalisés parce que les autres ne les suivent pas.

 

Par le rappel d’une parole de Jésus, l’évangéliste désire mettre fin à des querelles intestines à propos de règles qui, même si leurs fondements viennent des Écritures, ne sont, en fait, que des traditions humaines, en opposition à la Parole de Dieu manifestée en Jésus-Christ. Parole qui accueille chacun, quelle que soit son histoire, son cheminement ou ses errances.

 

Aux prises avec les mêmes questions et incompréhensions, c’est pour cela que Jésus, ici, répond aux accusations des pharisiens en dévoilant ce que signifie fondamentalement la question. Pour cela, il oppose la Tradition à l’Ecriture, et déplace la compréhension classique des notions de pur et d’impur.

 

Scandale pour les pharisiens par la pratique non conforme de certains de ses disciples, puis par sa parole qui ose s’opposer à la Loi, Jésus est lui-même scandalisé par l’indifférence des religieux à la véritable impureté, celle qui sort de l’homme.

 

Et c’est d’abord à l’hypocrisie de ses adversaires que s’attaque Jésus en dénonçant une mainmise odieuse à ses yeux de la part du corps religieux, désireux de garder la haute main sur les mœurs des gens et conserver un pouvoir et des privilèges sous couvert de sainteté et d’humilité.

 

Ce n’est pas tant la tradition juive qui est en cause, mais bien la tradition humaine. Car ce n’est plus seulement le commandement de Dieu mais la Parole de Dieu qui est annulée par les agissements des pharisiens (lire le verset 13 « vous annulez ainsi -dit Jésus dans sa réponse aux Pharisiens-, la parole de Dieu par votre tradition que vous vous êtes donnée »). En s’attaquant ainsi au pouvoir de ces puissants, Jésus manifeste son autorité et s’inscrit dans la lignée des prophètes tel Osée, dénonçant les abus du pouvoir religieux (Osée 5/1-5).

 

Et l’exemple pris par Jésus est révélateur. C’est celui du qorban, autrement dit des vœux pris envers Dieu dont une des multiples attitudes était le don au Temple.

 

La sainteté de Dieu étant plus importante que le bien des hommes, le commandement d’Exode 20/12 (« Honore ton père et ta mère ») doit céder le pas devant celui de Nombres 30/1-3 (« Lorsqu’un homme aura fait un vœu au Seigneur ou aura pris sous serment un engagement pour lui-même, il ne violera pas sa parole »).

Jésus dénonce cette conception du service divin mis en opposition au service des humains. Servir Dieu contre l’homme est absurde. Car si je peux être amené à choisir entre Dieu et moi, ce n’est plus le cas entre Dieu et mon prochain. Car l’amour de Dieu est intimement lié à celui que je dois porter à l’autre.

 

Ainsi, c’est donc toute la question de la Tradition, ou plutôt celle de l’interprétation des Écritures qui est posée ici. Jésus reproche aux pharisiens de vouloir conserver coûte que coûte le monopole de l’interprétation, afin de poursuivre leur domination spirituelle.

 

Dénonciation toujours actuelle lorsque des hommes ou des groupes, au nom de la sainteté de Dieu, édictent des principes qui outrepassent le fondement de l’alliance, distordent l’essence du message évangélique (l’amour fraternel) pour des raisons inavouables : les intérêts personnels, et finalement l’amour de soi.

 

Nous devons aussi nous en remettre à l’Esprit de Dieu, afin de ne pas nous enfermer dans une compréhension qui nous éloignerait de Dieu. Nous avons à être re-questionnés, dans nos traditions bien protestantes, sur la place de la loi et de la grâce.

 

Sommes-nous témoins d’une parole ou maîtres de celle-ci ?

 

C’est ainsi que la phrase centrale de Jésus sur le pur et l’impur prend tout son sens : « Il n’y a rien d’extérieur à l’homme qui puisse le rendre impur en pénétrant en lui, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur ».

La comprendre, c’est accepter d’être déplacé dans ses relations et ses jugements des autres.

 

Jésus s’est justement mis en communion avec les exclus, les « impurs » de son temps, afin de témoigner d’une parole qui ne condamne pas, mais gracie. En osant ré-habiter la notion de pureté, il dénonce, là encore, l’hypocrisie de ses adversaires qui élèvent au rang de loi, une notion ambiguë.

 

Car la notion de pureté est une notion typiquement humaine, établie arbitrairement afin de séparer, de rejeter et d’exclure. Le Christ est venu abolir cette frontière-là en insistant sur l’importance de ce qui est en l’homme au plus profond de lui-même et qui est péché, séparation d’avec Dieu.

 

Si souillure il y a, elle ne peut venir que de l’intérieur de l’être humain. Elle est fondamentalement résistance à la parole de Dieu, à son Esprit, à son action en chacun de nous.

 

Ceux qui se croient purs ou mettent en avant cette notion jugent autrui et se trompent sur eux-mêmes. Afin d’éviter la souillure, donc le péché qui sépare de Dieu, ils se révèlent comme pécheurs par excellence en se gardant de l’homme.

 

Ils se trompent sur eux-mêmes, car ils sont, de l’intérieur même, en opposition avec la Parole de Dieu. Ainsi, Marc renvoie ici l’individu à l’impossibilité de se sauver par lui-même, car ce qui sort de lui, c’est cela qui le souille.

 

Loin d’être dépassé, ce texte nous renvoie à notre propre vie spirituelle :

 

Quelles traditions, dressées tel un drapeau, utilisons-nous dans nos comportements de jugements ?

 

Sont-elles présentes, comme transmissions reçues nous permettant de découvrir, de façon toujours nouvelle, la Bonne nouvelle libératrice ?

 

Ou bien sont-elles des barrières érigées, des carapaces fabriquées, nous permettant de vivre loin des remises en cause et des questionnements existentiels ?

 

Pourquoi sommes-nous aussi toujours tentés d’opposer nos traditions humaines avec la Parole de Dieu ?

 

Laissons-nous plutôt guider par l’Esprit Saint dans notre lecture, afin qu’elle ne s’enferme pas dans une tradition qui remplacerait la lecture elle-même et provoquerait une distorsion du message évangélique.

 

Sommes-nous véritablement conscients de l’actualité de ces paroles sur l’impureté interne de l’homme ?

 

Depuis quelques temps, on a l’impression que la notion de pureté (et donc d’impureté) revient en force dans les discours, après quelques décennies plus discrètes sur le sujet. Elle sert de base au jugement d’autrui, à la dénonciation du « dangereux », ou pire à la haine et l’ostracisme.

 

Frères et sœurs, j’achèverais ce matin ce parcours en affirmant qu’il est de notre responsabilité :

 

– de redire le danger qu’il y aurait à considérer que les choses extérieures puissent rendre l’homme impur, c’est-à-dire non saint aux yeux de Dieu, et de l’édifier en dogme ;

 

– de confesser humblement que notre volonté propre nous éloigne continuellement de Dieu (c’est cela le péché, cette puissance qui agit en nous) et que nous sommes dans l’impossibilité de nous sauver par nous-mêmes ;

 

– Enfin, de réaffirmer un salut qui ne dépend ni de notre désir de sainteté ni de notre obéissance à une pratique qui risque de nous éloigner et de Dieu et d’autrui, mais qu’il est une promesse, en Christ, offerte gracieusement.

 

Nous nous associons alors à la prière du psalmiste : « O Dieu, crée en moi un cœur pur … » et il poursuit : « crée en moi un cœur pur, Renouvelle en moi un esprit bien disposé » (Ps 51, 12)

 

Amen.

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