Lectures Bibliques : Jérémie 29,11-14 – Luc 18,1-8 – 2 Corinthiens 12, 1-10
Prédication
C’est presqu’une ordonnance médicale. Minimum 3 fois par jour chez les juifs pour dire la téfila qui proclame l’unicité de Dieu en récitant Deutéronome 6,4 : Ecoute Israël, le Seigneur notre Dieu est UN. 3 fois par jour également dans la Fraternité spirituelle des Veilleurs fondée en 1923 par Wilfred Monod pour dire notamment les Béatitudes à haute voix le midi, quel que soit l’endroit où l’on se trouve. Chez les musulmans, la salat doit se faire 5 fois par jour en prononçant Al-Fatiha, 1ère sourate du Coran, une inclination et deux prosternations en direction de la Mecque. Dans les monastères, il y a le plus souvent 7 voire 8 prières par jour. On a même appelé certains moines les acémètes (littéralement « ceux qui ne dorment pas ») parce qu’ils faisaient les 3/8 pour offrir des offices ininterrompus. Une manière d’honorer la prescription de Jésus dans l’Evangile de Luc : il faut toujours prier et ne jamais se décourager.
Et notre prière, combien de fois par jour ? par semaine ? par mois ? Ne jamais se décourager ? Il est bien question de cela. Il y a bien eu par le passé des groupes de prière dans la paroisse mais il n’y en a plus. Nous avons essayé d’en relancer un avec Eline et Kurt le vendredi midi mais nous n’étions que 3 la plupart du temps. Rappelez-vous la question que je posais lors de notre Assemblée Générale : « Que pouvons-nous proposer pour ménager une place pour la prière, la méditation et la retraite spirituelle dans notre paroisse ? Pour ne pas seulement nourrir notre intelligence mais aussi notre vie spirituelle, ce lien vivant avec le Christ ? » Est-ce une erreur d’appréciation de ma part de dire que nous avons un problème avec la prière ? Loin de moi l’idée de mettre tout le monde dans le même panier. Parce que je sais que le culte est un espace privilégié pour la prière pour beaucoup d’entre nous. Parce que je sais aussi que certains parmi nous participent très régulièrement à des retraites spirituelles chez les Diaconesses à Versailles, à Strasbourg, à Pomeyrol ou chez les frères de Taizé. Parce que je connais aussi la pudeur de notre spiritualité réformée qui fait qu’on se refuse à prier ostensiblement et bruyamment en public. Ces choses-là se font dans le secret de nos chambres comme le recommande Jésus dans l’Evangile de Matthieu (Mt 6,6). Mais il n’empêche : les prières familiales ont quasi disparu et nombreux sont ceux qui ont perdu le mode d’emploi. Comment prier ? A qui s’adresse notre prière ? Que peut-on dire ? Et si on s’adresse à Dieu alors pourquoi ce silence ? Pourquoi prier ? Pour sauver Notre Dame ou pour guérir son cancer ? Au fond, qu’attendons-nous de notre prière ?
Alors, je profite que les enfants de l’école biblique et du caté abordent cette question aujourd’hui pour essayer de revenir à la source de la prière : qu’est-ce que prier ? Ce sera aussi pour nous l’occasion d’aborder 3 problèmes très concrets :
- Ne nous trompons pas d’interlocuteur : à qui s’adresse notre prière ?
- Est-ce que Dieu nous répond et de quelle manière ?
- Et pourquoi continuer à prier quand nos prières ne sont pas exaucées ?
Vous ferez appel à moi, vous viendrez me prier, et je vous écouterai. Vous me chercherez, et vous me trouverez. Oui, je le déclare, moi, le SEIGNEUR : si vous me cherchez de tout votre cœur, je me laisserai trouver par vous. Voilà le cœur du réacteur : prier c’est chercher Dieu… et le trouver. La prière est donc un chemin qui cherche Dieu. Mais ce n’est pas un chemin facile, nous le savons tous, et c’est bien pour cela que, bien souvent, nous rebroussons chemin en cours de route. Si vous me cherchez de tout votre cœur… Quelque chose se dit de la difficulté qu’il y a à rencontrer Dieu, de l’effort à fournir, de la persévérance nécessaire. Ce n’est pas une évidence. Que d’obstacles en nous et hors de nous : sentiment d’une vie éparpillée, d’avoir tant d’autres choses à faire, d’être toujours mobilisés par une urgence qui masque mal le fait que nous perdons l’essentiel. Et puis il y a tellement de monde en nous et autour de nous, du bruit, de l’agitation, des sollicitations, des distractions qui détournent notre attention (Tiens un sms !) L’activité est incessante : où trouver un lieu, un espace et un temps à part ? Comment faire silence en nous et autour de nous, pour nous recueillir, nous recentrer, nous ressourcer ?
Mais il faut dire aussi que nous avons affaire à Dieu qui se cache. Un Dieu qui n’est pas accessible comme ça de manière immédiate. Je me laisserai trouver par vous. Cela ne se fait pas tout seul, comme ça, sur un claquement de doigt. Notre Dieu ne répond pas à nos convocations, accourant immédiatement pour répondre à nos moindres désirs, le petit doigt sur la couture. Si Dieu se laisse trouver, c’est qu’il a choisi de le faire, de se dévoiler, de se révéler, de faire le chemin vers nous. C’est une décision de sa part : Oui, moi, le SEIGNEUR, je connais les projets que je forme pour vous. Je le déclare : ce ne sont pas des projets de malheur mais des projets de bonheur. Je veux vous donner un avenir plein d’espérance. Notre Dieu se laisse trouver parce qu’il a le projet de nous arracher au malheur pour nous donner un avenir et une espérance. Il n’est pas venu répondre à nos multiples sollicitations, revendications ou exigences plus ou moins sérieuses, plus ou moins urgentes, plus ou moins infantiles. Il veut vaincre la mort qui crée le malheur et le désespoir dans notre vie. Voilà pourquoi il se laisse trouver par nous. Voilà pourquoi il veut nous rassembler de tous les pays de tous les lieux où nous avions été chassés dit Jérémie 29. Là où 2 ou 3 sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux, dit Jésus (Mat 18,20). Jean Climaque, un père de l’Eglise du 7ème siècle qui vivait dans le Sinaï, commente ce verset en disant que les 3 dont parle Jésus sont notre bouche, notre âme et notre esprit. Contre l’éparpillement, la dispersion intérieure, le Seigneur nous rassemble. C’est pour cette raison que les moines appellent la prière personnelle une « synaxe », c’est à dire une petite assemblée, de la même racine que la synagogue. Jésus est là au milieu de nous, au centre de notre vie. Je me laisserai trouver par vous… C’est exactement cette expérience-là que nous raconte l’apôtre Paul dans la 2de lettre aux Corinthiens : Je vais parler de ce que le Seigneur m’a fait voir et m’a fait connaître. Je connais un disciple du Christ. Il y a 14 ans, Dieu a enlevé cet homme jusqu’au plus haut des cieux. Est-ce que c’était avec son corps ? Je n’en sais rien. Est-ce que c’était sans son corps ? Je n’en sais rien, mais Dieu le sait. Je le sais, Dieu a enlevé cet homme jusqu’au paradis. Est-ce que c’était avec son corps ou sans son corps ? Je n’en sais rien, mais Dieu le sait. Là, il a entendu des paroles qu’on ne peut pas dire avec des mots. Ces paroles, personne n’a le droit de les répéter. Un face-à face avec Dieu lui-même. Voilà ce que c’est que la prière. Une halte dans le paradis, dans le bureau du patron lui-même, sans intermédiaire. Confidentiel. Secret défense : un moment d’intimité, de vérité, d’immensité, d’apaisement et d’unification intérieure avec moi-même et le Maître de l’Univers. Le Paradis ou le 7ème ciel pour reprendre les mots de l’apôtre Paul. Prier, c’est mettre un pied dans le Royaume de Dieu le temps de nous ressourcer, de prendre des forces, de nous redonner espoir, de nous convaincre que rien ni personne ne peut nous asservir et encore moins nous détruire. Prier, c’est utiliser la résurrection qui nous est promise. Un petit acompte, en quelque sorte.
Celui qui comprend cela découvre immédiatement l’importance qu’il y a à ne pas se tromper d’interlocuteur : à qui s’adresse notre prière ? Si prier c’est se retrouver en tête-à-tête avec le Grand Patron dans son bureau, il ne faudrait pas se tromper de bureau… Et pourtant, nombreux sont ceux qui se parlent à eux-mêmes dans leur prière, confondant la voix de Dieu, ces paroles qu’on ne peut pas dire avec des mots, ces paroles que personne n’a le droit de répéter, avec la voix de leur conscience, cette petite voix intérieure qui leur dit : « fais pas ci, fais pas ça ! » Ne pas se tromper d’interlocuteur : nous ne sommes pas Dieu. Ni personne d’autre d’ailleurs. Voilà pourquoi les protestants que nous sommes ne font jamais de prière aux humains : ni Marie, ni les saints, ni les morts. Voilà pourquoi les protestants que nous sommes ne font jamais de prière en utilisant des objets : ni devant une icône, ni devant une hostie consacrée, ni devant une croix. Voilà pourquoi nous nous méfions des rites ou des lieux (églises ou monastères) qui prétendent régir et organiser nos prières. Voilà pourquoi je ne signe jamais mes lettres par un cérémoniel « Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur… » Parce que rien de ce qui est mortel n’est digne de prière. Dieu seul est Dieu. Soli Deo Gloria !
Alors, bien entendu, se pose la question du silence de Dieu, de ce sentiment d’absence, de parler dans le vide sans jamais entendre de réponse… Un doute s’immisce, presque insidieusement : et si tout cela n’était qu’une immense illusion. Tous les grands mystiques ont vécu et décrit ce phénomène qu’ils appellent la nuit mystique ou nuit spirituelle, quand le croyant perd tout sentiment de présence de Dieu et donc toute utilité à la prière. Nuit de l’intelligence également quand on en vient à renoncer à tout ce qu’on croyait connaître de Dieu. Il faut lire « La nuit obscure de l’âme » écrit au XVIe siècle par Saint Jean de la Croix pour raconter son expérience de désolation spirituelle quand Dieu se cache. Ou le récit de la vie de Thérèse de Lisieux prise de vertige en se demandant si la foi n’est pas un rêve, un conte de fées pour petits enfants, si les athées n’ont pas raison. Dans ces moments de traversée du désert, il faut pouvoir revenir aux réponses simples et solides. Si la prière est le canal que nous utilisons pour parler à Dieu, la Bible est le canal, le véhicule que Dieu utilise pour nous répondre, pour nous parler, pour nous consoler, pour nous relever. Vous attendez une réponse de Dieu ? Lisez votre Bible. Vous espérez une parole de Dieu ? Lisez votre Bible. Votre lecture de la Bible ne doit pas d’abord être savante et intellectuelle. Elle doit avant tout être spirituelle et priante, avec une question en tête : Parle, Seigneur, ton Serviteur écoute ! (1 Sam 3,1-10) Alors, peut-être, qui sait si vous ne serez pas amenés à lire cette parabole racontée par Jésus dans l’évangile de Luc. Pour nous inviter à toujours prier sans nous décourager, Jésus prend en exemple cette pauvre veuve venue casser la tête du juge inique pour réclamer son droit. Insistez, insistez encore ! Le Seigneur a promis. Ce sont même ses dernières paroles rapportées par l’Evangile de Matthieu : Voici, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde (Matt 28,20) ? A tous ceux qui vivent dans la nuit, vous pouvez exigr que le Seigneur tienne sa promesse.
Et s’il vous arrive d’entretenir quelqu’aigreur contre le Seigneur parce que votre prière n’a pas été exaucée, sans doute serez-vous amenés à comprendre ce que Jésus a pu vivre au jardin de Gethsémané : Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe de souffrance ! Pourtant ne fait pas ce que je veux, mais ce que tu veux (Luc 22,43). Même expérience de prière non exaucée pour l’apôtre Paul : J’ai reçu dans mon corps comme une blessure : un envoyé de Satan est chargé de me frapper pour m’empêcher de me vanter. Trois fois, j’ai prié le Seigneur de me délivrer de cette souffrance. Mais le Seigneur m’a dit : « Ma grâce te suffit. Ma puissance se montre pleinement dans la faiblesse. » Sans doute devons-nous faire le deuil d’exiger de Dieu qu’il obéisse à nos instructions, à nos commandements et qu’il satisfasse notre fantasme de puissance, de gloire et de réussite ? Si nous lui posons une question, souffrons qu’il soit libre de répondre comme il l’entend : Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux, Seigneur ! Ma grâce te suffit… Toi qui as eu le privilège d’un tête-à-tête avec le Dieu de la Vie, tu crains encore pour ta mort ? Ma grâce te suffit… Toi qui as vécu l’incroyable face-à-face avec le Dieu de la Grâce, tu restes inquiet pour ton entourage, pour ta réussite, pour ton bonheur ? Ma grâce te suffit. Notre Dieu n’a pas d’autre projet que notre bonheur. Alors vraiment, sa Grâce nous suffit. Quand nous sommes faibles, c’est à ce moment-là que nous sommes forts ! Amen.
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