Lecture biblique : Jean 15,1-17
Ce lien qui fonde l’Église
Le fait que vous soyez venus vous connecter ici ce matin pour partager ce culte interactif, signifie que, de fait, il y a un lien qui existe entre nous. Un lien qui dépasse et transcende la distance (venus d’un peu partout), qui surmonte les obstacles et qui traverse les confinements : un lien passe-muraille.
Étonnement : nous avons besoin de ce lien. Parce qu’il nous fonde, nous sentons qu’il nous manque en ce moment. Au moment où nous nous retrouvons isolés, nous ressentons la morsure du manque, de la rareté, de son importance pour que nos vies soient belles…
D’où vient ce lien qui nous unit ?
1 Corinthiens 12,1-11
- L’Esprit comme source et origine de notre foi “personne ne peut dire Jésus est le Seigneur! sinon par l’Esprit (v.3). Si nous sommes ici, c’est parce que nous sommes chrétiens (bon ou mauvais, ce n’est pas le problème). Et si nous sommes chrétiens, c’est par l’Esprit.
- L’Esprit qui nous anime : force intérieure, moteur qui nous bouge et qui nous met en route vers l’inconnu. Ruah’ en hébreu = la gorge, là où passe le souffle de la vie. C’est donc l’esprit qui nous fait vivre : notre vie n’est pas seulement ni même principalement biologique, elle est avant tout spirituelle.
- L’Esprit qui nous relie : c’est un lien qui transcendance et dépasse notre vie isolée d’individu confiné : plus grand que nous puisqu’il nous unit tous dans un Corps que nous appelons l’Église. L’esprit donne une unité, un sens dans la diversité des fonctions, des vocations, des missions, des formes et ministères dans l’Église : il nous permet de ne pas nous sentir éclatés, éparpillés, isolés même si nous ne nous voyons pas les uns les autres, nous appartenons les uns aux autres. Par lui nous faisons CORPS les uns avec les autres.
- Éphésiens 2, 19-22 … vous faites partie, vous aussi, de la construction pour devenir avec tous les autres, la demeure que Dieu habite par son Esprit (Temple du St Esprit) ; Nous sommes intégrés dans une construction qui signifie la solidité, la permanence, l’emprise au sol. Thématique de la souveraineté de Dieu ? retrouver une veine calviniste, réformée…
Reliés à qui ?
Avec qui ce lien spirituel est-il établi ? Entre nous directement ?
Non. Il se peut qu’on ne se connaisse pas, il se peut qu’on soit en conflit les uns avec les autres et qu’on ne s’aime pas vraiment. Il se peut que les Églises chrétiennes soient en concurrence…
Le lien établi par l’Esprit est un lien avec le Christ et uniquement par la foi en Christ. Si nous sommes reliés entre nous c’est uniquement parce que nous croyons (chacun à notre manière) que Jésus est le Seigneur et le Sauveur. Ce qui fonde l’Église par-delà toutes les frontières, les barrières, les distances imposées ou réelles, c’est notre lien avec le Christ. Moi je suis la vigne, vous êtes les sarments. La personne qui demeure unie à moi, et à qui je suis unie, porte beaucoup de fruits car sans moi vous ne pouvez rien faire. C’est ce lien-là qui est essentiel à notre relation. C’est ce lien-là qui nous rend responsables les uns des autres. C’est ce lien-là qui fonde la vie communautaire : notre lien est spirituel et il nous relie au Christ comme le moyeux d’une roue relie chaque rayon de la roue, comme le soleil relie chacun de ses rayons.
Sommes-nous tous frères ?
- Ne vous faites pas appeler Rabbi ; car un seul est votre maître, et vous, vous êtes tous frères (Mt 23,8 + Gal 3,26)
- Nous sommes enfants de Dieu. Or si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers : héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ. (Rm 8,17)
Alors ce lien qui nous unit, est-ce qu’il faut l’appeler “fraternité” ? En fait, c’est un concept un peu flou, un mot valise qui met tout le monde d’accord tant qu’on n’y réfléchit pas… Pas besoin d’être chrétien d’ailleurs :
- Passons sur ce que tout le monde sait : pas de plus grands conflits que dans les fratries… (Caïn et Abel, Jacob et Ésaü, Joseph et ses frères…) : l’amour fraternel n’est pas une évidence ! Dire qu’on est frère ne signifie pas forcément qu’on est en bons termes ni qu’on s’apprécie !! (d’où l’appel pressant de Jésus dans l’Évangile : le répéter si souvent dans son discours d’adieu signifie a contrario que cela n’a rien d’une évidence)
- Passons aussi sur le fait que pour être frères, il faut au moins avoir le même Père, et donc se reconnaître comme appartenant à la même famille, s’inscrivant dans une même filiation. Il faut évoquer ici toutes les nouvelles parentalités : les familles recomposées, les familles monoparentales, les familles pathologiques incestueuses, les familles homoparentales… Si la paternité a du mal à se définir, la fraternité devient du coup beaucoup plus difficile à vivre, comme par contrecoup
- “Yakafocon” nous devons être fraternels par devoir et par principe (contraire de singulier) une sorte d’universel sous forme de prescription absolue qui s’apparente à un impératif catégorique kantien “Nous sommes tous frères” : nous devons être fraternels parce que nous partageons tous de la même image : je me reconnais dans l’autre et je lui dois au moins le même respect que celui que j’ai pour moi. C’est un concept qui relève de l’économie du semblable (contraire de différent) : Charles Nicolle (1866-1936), qui fut professeur au Collège de France et directeur de l’Institut Pasteur de Tunis, écrivait dans Destin des maladies infectieuses (1933) : “Il y aura donc des maladies nouvelles. C’est un fait fatal. Un autre fait, aussi fatal, est que nous ne saurons jamais les dépister dès leur origine. (…) La connaissance des maladies infectieuses enseigne aux hommes qu’ils sont frères et solidaires. Nous sommes frères parce que le même danger nous menace, solidaires parce que la contagion nous vient le plus souvent de nos semblables. Nous sommes aussi, à ce point de vue, quels que soient nos sentiments vis-à-vis d’eux, solidaires des animaux, surtout des bêtes domestiques.” Nous voilà dans le voisinage de St François d’Assise
- Mais une autre manière de concevoir la fraternité a aujourd’hui le vent en poupe, apportant de l’eau au moulin des nationalismes et des populismes : Nous sommes frères parce que nous appartenons à la même communauté (la devise de la république) : c’est un concept politique du commun partagé : nous avons fait le choix de mettre en commun une identité, une culture, une manière de vivre, ce qui fait de nous des frères c’est la propriété commune qui exclut autant qu’elle inclut… (contraire de particulier) : on monte des barrières, on rétablit des frontières et on construit des murs pour se protéger de l’autre, de l’étranger, forcément dangereux. On se méfie des chinois (de tout ce qui a les yeux bridés)
Et la fraternité chrétienne ?
- la fraternité pose un lien de parenté indéfectible / il y a entre nous un lien de famille parce que nous reconnaissons avoir le même Père (Notre Père) / En même temps, c’est un lien dissymétrique qui respecte la différence : parents-enfants ; aînés-cadets ; filles-garçons / des droits : héritage – droit d’aînesse / devoirs : responsabilité entre les générations – solidarité obligatoire – jeu de transmission – éducation
- Si l’Église est une communauté fraternelle c’est qu’elle vit de la présence du Christ qui s’approche de chacun personnellement en tant que frère. A cause de lui, celui-ci qui prend la Sainte Cène avec moi est mon frère même si je n’ai rien en commun avec lui, même si je n’ai aucune atome crochu qui me rapproche de lui, même si je n’ai aucune histoire commune avec lui, même si je m’oppose à lui. Il est mon frère parce que le Christ s’est approché de lui comme il s’est approché de moi.
Sommes-nous tous frères et sœurs ?
L’Évangile de Jean va beaucoup plus loin. Si le lien fraternel est une manière essentielle de parler de ce qui nous relie les uns aux autres, il n’est de loin pas le seul lien…
- Amour : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13,34) C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que tous sauront que vous êtes mes disciples : éros (un amour désir qui dévore) et agapè (un amour spirituel au service de l’autre) / sacrement en tant que don de Dieu – grâce / fécondité (porter du fruit) / sentiment de communion – registre de l’émotion et de la joie (que votre joie soit parfaite) / pardon et promesse / engagement et parole donnée – fidélité /
- Amitié : « Je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai entendu de mon Père » (Jn 15,15) : égalité et symétrie / élection et choix / partage et soutien (Je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père) / réciprocité et écoute /
- Prochain : « Qui est mon prochain ? » (Luc 10,29) : s’approcher du différent / sollicitude et soutien / diaconie et entraide / écouter les besoins pour prendre soin de l’autre / attention à l’autre pour porter notre prochain par l’action autant que par la prière
- Con-citoyenneté : « Vous n’êtes plus des étrangers ni des exilés; mais vous êtes concitoyens des saints, membres de la maison de Dieu » (Eph 2,19-22) citoyens d’un Royaume qui n’est pas de ce monde / droits et devoirs / Église universelle / catholicité / engagement / institution / constitution / projet politique
Prendre soin du lien qui nous unit
- Comment prendre soin de ce lien qui nous unit ? Comment et jusqu’où ?
- Comme je vous ai aimés… imiter de Christ ? donner sa vie ? un amour radical, total, complet (1 Co 13 : il pardonne tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout…)
- Pour que votre joie soit complète, se mettre au service du plus petit d’entre mes frères : Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères c’est à moi que vous l’avez fait (Mt 25,40)
- L’amour des ennemis et du pouvoir de pardonner
En forme de conclusion (cf. « De la vie communautaire » de Bonhoeffer)
“Du fait que Jésus-Christ est son unique fondement, la communauté chrétienne n’est pas une réalité d’ordre psychique mais d’ordre spirituel. Elle se distingue par là de toutes les autres formes de communauté. Par « spirituel » la Bible entend : ce qui vient du Saint Esprit, lequel nous fait reconnaître Jésus-Christ comme Seigneur et Sauveur. Par « psychique » la Bible entend au contraire tout ce qui, dans nos âmes, est l’expression de nos désirs, de nos vertus et de nos possibilités naturelles. (…)
C’est que l’amour d’ordre psychique aime l’homme pour lui-même, tandis que l’amour d’ordre spirituel l’aime à cause du Christ. De ce fait, le premier est amené à chercher un contact direct avec l’être aimé sans respecter sa liberté ; il faut au contraire toujours qu’il le considère comme son bien, comme une proie à gagner par tous les moyens. Il se veut irrésistible, en un mot, il veut dominer. (…)
L’amour psychique est une convoitise et non pas un service. Il est convoitise là-même où il se donne toutes les apparences d’un service. (…)
Entre moi et mon prochain il y a le Christ. C’est la raison pour laquelle il ne m’est pas permis de désirer une forme de communauté directe avec mon prochain. (…)
Ce n’est pas l’expérience de la fraternité chrétienne qui nous maintient ensemble mais bien le fait que nous croyons fermement et vraiment à cette fraternité. (…)”
Laisser un commentaire