Lectures Bibliques : Genèse 8, 15-23 et 9, 18-29
Prédication :
Ainsi donc, vous êtes sortis de l’Arche… vous avez osé sortir de votre abri avec conjoints, fils et belles-filles… Et vous avez ressenti le besoin de venir invoquer le nom du Seigneur. D’où vient-il ce besoin de nous tourner vers Dieu ? D’où vient-il ce désir de nous reconnecter avec notre foi, notre église, notre paroisse. Parfois après des années de silence, d’absence, d’éloignement, d’oubli – et avouons-le aussi – parfois de négligence. Et là d’un coup, enfermés dans nos arches respectives, nous avons été nombreux à envoyer nos messages vers l’extérieur, comme d’autres ont lancé des corbeaux ou des colombes, en espérant retrouver une terre ferme, un lieu à habiter sans avoir peur, une terre pour y planter notre vigne et boire notre vin (il paraît que beaucoup de parisiens quittent la ville pour acheter un lopin de terre à la campagne ?). J’imagine que nos appels vers Dieu relèvent à la fois de la nécessité de trouver cet appui extérieur quand on se sent ballotés sur la houle des événements que nul ne maîtrise, d’une nécessité de retrouver la terre ferme quand on se rend compte que rien n’est certain et que la confiance en prend un coup. (Ah ! Quand je pense aux avis péremptoires des experts et des conseils scientifiques qui continuent de prendre des décisions à notre place en cherchant à nous infantiliser !) Mais aussi une quête de lien quand on se sent un peu seul, isolés, enfermés au fond de son arche, un besoin des autres, de se sentir appartenir à une communauté, une famille (ce lien, cette présence qui nous a tant manqué et que nous retrouvons avec tellement de joie !). Je comprends également la nécessité de réfléchir pour trouver du sens à tout ça, ne pas mourir idiot et ne pas laisser ni le mal ni la peur triompher dans nos vies (ce besoin d’intelligence et de méditation qui, je l’espère, ne se démentira pas). Du fond de nos arches, le besoin de Dieu pouvait se comprendre relativement facilement. Mais ce qui est moins naturel, moins évident, c’est le choix volontaire de Noé de bâtir un autel pour le Seigneur dès sa sortie de l’arche. De manière étonnante, c’est même la première chose qu’il fait. Sans que cela ne lui soit demandé d’ailleurs. Je voudrais vous faire réagir à cette question sur le chat : Où est né ce désir et cette décision de Noé de construire un autel pour Dieu en sortant de l’arche ? Est-ce le soulagement d’avoir échappé au pire ? Un recentrage sur l’essentiel quand le superficiel a pris trop de place dans nos existences ? Est-ce le choix assumé de remettre la question de Dieu au centre quand on a expérimenté la vulnérabilité et l’impuissance ? Si c’est cela, je crains que ce ne soit qu’un feu de paille qui s’éteindra bien vite, un élan qui s’essoufflera rapidement. Je voudrais le penser autrement, et j’espère, plus profondément.
« I can’t breathe » : Je ne peux plus respirer, j’étouffe, je manque d’air… Ce cri n’a pas fait qu’embraser les États Unis. Il porte le désespoir d’un monde qui n’en peut plus. Les crises se succèdent, s’empilent et font « Système » entre elles : terrorisme islamique, gilets jaunes, désastre écologique apocalyptique, pandémie qui paralyse le monde, effondrement économique résultant de cette paralysie, guerre froide entre les deux superpuissances. Et partout la sidération et la colère. La mort de Georges Floyd n’est pas un symbole mais un symptôme de ce monde qui étouffe.
La terre s’est corrompue devant Dieu, elle était pleine de violence, dit Genèse 6.5 qui nous montre cette violence comme une conséquence d’une corruption, d’une déperdition, d’un délitement, d’une dégradation de l’humanité qui court à sa destruction dans une conduite suicidaire. La destruction du monde annoncée par Dieu n’est autre que l’accélération de cette corruption de l’humanité déjà largement entamée. Le déluge n’est ni une grande inondation ni un tsunami. Il doit être compris comme un événement cosmique de destruction de la structure même d’un monde devenu « mabbuwl » (terme hébreu pour parler du Déluge). Dans cette situation de retour au chaos, l’Éternel fait le choix de sauvegarder la vie en se servant de Noé précisément désigné comme juste et intègre au milieu des générations de son temps. A l’exact opposé de la corruption comprise comme destructrice d’humanité, l’intégrité doit pouvoir être interprétée comme préservatrice de l’humanité. Il n’est pas simplement question de rectitude morale mais d’une humanité pleine et entière, complète, intègre – autrement dit une humanité qui ne s’est pas amputée d’une partie d’elle-même – mais qui, au contraire, a fait le choix de « marcher en présence de Dieu« , de « bâtir un autel » pour y célébrer le culte. Le désir de Dieu naît de l’intégrité de l’homme. Il est le signe d’une humanité pleine. A contrario, la Genèse affirme que celui qui refuse Dieu s’ampute lui-même et, ce faisant, débute un véritable processus de corruption destructeur de l’humanité. Noé ce n’est donc pas l’histoire d’une punition divine, d’une colère de Dieu qui décide de tout détruire, mais bien en vérité une opération de sauvetage d’une humanité qui s’est perdue elle-même. Et c’est même annoncé dès la naissance de Noé comme une vocation portée par son nom : À l’âge de 182 ans, Lémek eut un fils. Il l’appela Noé. Il disait en effet : « Celui-ci nous consolera de nos travaux et de la peine de nos mains parce que le Seigneur a maudit le sol. » (Gn 5,29) Noé c’est le consolateur, celui qui apporte le repos, l’apaisement, la sérénité née de la confiance indéfectible dans un Dieu souverain qui peut redonner vie à un monde qui court à sa perte. Et l’arc-en-ciel, signe de l’engagement pris par Dieu devant toute la Création, le confirme à sa manière. Dieu dépose les armes, comme d’autres mettent leur fusil au clou, il dépose son arc dans le ciel. Dieu renonce. Désormais il choisit d’agir sans arme. Cela ne veut pas dire qu’il renonce à agir ou qu’il renonce à la puissance. Non désormais, dit la Genèse, Dieu n’est que bénédiction et rien d’autre. Le Seigneur respira l’odeur agréable de ce sacrifice et il se dit : « Désormais je renonce à maudire le sol à cause des êtres humains. C’est vrai, dès leur jeunesse ils n’ont au cœur que de mauvais penchants. Mais je renonce à détruire tout ce qui vit comme je viens de le faire. » Dieu ne promet pas qu’il n’y aura plus de catastrophe. Il ne dit pas non plus que le cœur de l’homme est changé et qu’il ne fera plus de bêtises. Il dit qu’il n’a rien à voir là-dedans et c’est la grande consolation de Noé : Dieu n’est qu’un Dieu d’amour et de compassion, de grâce et de vie. Rien d’autre. Voilà la terre ferme dont nous avons tant besoin pour bâtir le monde d’après : la foi en un Dieu d’amour. Un Dieu différent qui renonce à la force, à la violence, à la puissance qui écrase et qui domine. Voilà pourquoi il faut commencer par bâtir un autel pour célébrer ce Dieu de vie et de grâce qui seul pourra nous aider à maintenir le monde hors du chaos.
Parce que, de fait, le cœur de l’homme, lui, n’a pas changé ! Pas plus celui de Noé que celui des hommes après le confinement. Comme beaucoup, j’ai bien peur que le monde d’après soit comme le monde d’avant, mais en pire : au niveau économique, politique, écologique, industriel, comme au niveau de la vie de la communauté humaine. Pour moi l’image la plus parlante du monde d’après se dévoile dans cette infirmière de 50 ans qui a été applaudie tous les jours à 20h et qui déverse sa haine en insultant et en caillassant les policiers tout en essayant de se faire passer pour une victime… Et je ne peux m’empêcher d’y retrouver Noé qui, après s’être comporté en homme intègre, sauvant l’humanité d’une disparition promise, célébrant la victoire de Dieu sur la puissance du chaos dès sa sortie de l’arche, va profiter de la liberté retrouvée pour se laisser aller à un grand n’importe quoi. Il ouvre grand les vannes, comme un digue qui cède sous la pression trop longtemps contenue : Noé fut le premier cultivateur, il planta de la vigne. Il but du vin, s’enivra et se mit complètement nu à l’intérieur de sa tente. Comme quoi son intégrité n’avait rien de bien morale… La fête des retrouvailles de la liberté se termine par une malédiction. Cham paie le prix fort et se retrouve maudit… à cause du dérapage de son père. Dans l’Évangile de Matthieu on peut retrouver une lamentation de Jésus à ce sujet : Celui qui détourne de Dieu un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on lui attache au cou une très grosse pierre et qu’on le noie au fond de la mer. Dans le monde il y a tant d’occasions de se détourner de Dieu : quel malheur ! Bien sûr ces occasions existeront toujours. Mais quel malheur pour celui qui en est la cause ! (Mt 18,6-7) Noé, lui, a trop bu et il a perdu le contrôle sur sa vie et c’est Cham qui paie les pots cassés. Les parents ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en ont été agacées dit le prophète Jérémie (Jr 31,29). Par-delà l’aspect incestueux qui se dit à mot couvert derrière l’évocation de la nudité de Noé, c’est la nudité qui provoque la honte de Adam et Ève qui est évoquée ici. Comme le manteau jeté sur Noé par Sem et Japhet pour ne pas voir la nudité de leur père, Dieu a cousu lui-même les vêtements pour habiller Adam et Ève et jeter un voile pudique sur leur transgression, leur péché, leur faiblesse, leur honte. Est-il possible d’évoquer ce geste de pudeur et de respect en voyant la hargne avec laquelle les responsables politiques sont poursuivis comme des criminels ? Plus de 68 procédures pénales, sans parler des commissions d’enquêtes parlementaires et des procès médiatiques instruits à charge pour alimenter la vindicte populaire… Certes, nous savons tous qu’aucun n’a brillé par sa clairvoyance pendant cette période que nous venons de traverser mais ne serait-il pas utile et judicieux de couvrir leur nudité du manteau de notre bienveillance et de notre respect à l’image de ce que Sem et Japhet ont fait pour leur père ? Ne serait-il pas utile et judicieux d’arrêter de scruter la nudité des autres pour éviter de voir la nôtre ? Ne voyons-nous pas combien nous sommes nous-mêmes contaminés par ce regard impudique et vindicatif ? Comme le dit le Ps 8 : C’est la voix des petits enfants, des tout petits enfants, que tu opposes à tes adversaires. Elle est comme un rempart que tu dresses pour réduire au silence les vindicatifs. Le Seigneur s’interpose par la parole des enfants (ils nous apporteront la branche d’olivier en fin de culte) et c’est exactement ce qu’il fait quand il reconstruit l’humanité par les 3 enfants de Noé : Sem (en hébreu : celui qui porte le nom de Dieu), Cham (en hébreu : l’ardeur, la chaleur du désir, de l’envie de l’autre) et Japhet (en hébreu : la beauté, ce qui est plaisant et séduisant, le plaisir, la joie offerte par la beauté). N’y a-t-il pas là un magnifique chemin pour un avenir qui se construit sur le nom de Dieu, le désir de l’autre et la joie de la beauté ? Sem, Cham et Japhet portent l’avenir de l’humanité. Amen.
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