Lutter contre le diable

 

Cet épisode biblique est assez étonnant. A peine baptisé, touché par l’Esprit Saint et inscrit dans une généalogie humaine, Jésus est conduit au désert pour y être tenté par le diable. Les trois Evangiles de Matthieu, Marc et Luc nous rapportent ce récit. L’évangéliste Marc nous a laissé quelques paroles sobres, Jésus après son baptême se retire au désert et jeûne ; il est entouré des bêtes sauvages qui évoquent l’insécurité et la précarité de nos vies terrestres. Mais Matthieu et Luc en font plus. Il n’est pas inutile de remarquer que Jésus devient ici le sujet actif de l’histoire. Que ce soit chez  Matthieu ou chez Luc, mais c’est encore plus évident chez Luc, Jésus nous est révélé. Il devient acteur de l’Évangile dont il est porteur. Et le voilà tenté.

« Jésus, rempli d’Esprit Saint, revint du Jourdain et fut conduit par l’Esprit dans le désert, où il fut tenté par le diable pendant 40 jours ». Luc 4, 1

Jésus baptisé, touché par l’Esprit, adopté par une parole venue du ciel, « Tu es mon Fils bien-aimé, objet de toute mon affection. », inscrit dans la généalogie humaine, fils de Joseph … jusqu’à fils d’Adam, Jésus est tenté. Immédiatement nos mentalités marquées et conditionnées par le langage religieux entendent « tentation » alors attention la chute n’est pas loin. La faute morale ou existentielle grave nous guette ; peut être avons-nous tendance à trahir ce récit. Jésus est « tenté », en grec, cela revient aussi à dire au-delà de la connotation religieuse ou morale que Jésus est « testé » « éprouvé », qu’on essaye de savoir de quelle étoffe il est fait. Le tentateur qui intervient ici ne vise pas à s’opposer ouvertement à Dieu mais à contester que Jésus soit l’envoyé de Dieu ; il vient pour diviser et accuser. Tout au long de son ministère terrestre Jésus sera accusé d’être un blasphémateur, un transgresseur du sabbat et la liste n’est pas close. Lorsque Luc s’adresse à la communauté qui écoute son évangile, il ne fait pas de doute que l’on s’interroge sur le sens des paroles de Jésus. Pas uniquement celles de ce récit. Chacun est tenté à sa manière de se défausser devant la Parole de s’accommoder d’une interprétation facile ou non exigeante.

Mais le récit nous ramène à la raison ; manipuler la parole, en tordre le sens, comme le fait assez adroitement le tentateur dans notre récit c’est s’écarter de la voie de Dieu. C’est passer à coté de la profondeur et de l’authenticité des paroles du Christ. Sans nous laisser impressionner par la narration et la mise en scène de ce personnage qui s’oppose au maître, ouvrons nos yeux (et nos oreilles) sur nos propres facilités à passer à coté de l’exigence de l’Évangile.

Jésus est testé : « alors tu dis être le Fils de Dieu ? Tiens donc… » « Es-tu  puissant comme lui ? » « N’hésite pas, montre-nous, depuis le temps que nous attendons un Dieu fracassant ! »

Le tentateur teste Jésus et il fera de même à d’autres moments de son ministère ; mais nous-mêmes sommes-nous aussi conscients d’être exposés aux mêmes réalités ? Dans notre vie matérielle, dans notre volonté de réussir, dans notre désir d’être des êtres spirituels et dans notre vie politique et sociale, échappons-nous véritablement aux tentations banales et quotidiennes ? Au travers de ses réactions Jésus nous invite à être en alerte vis à vis du monde ou nous vivons. Luc désire que les auditeurs de son message comprennent rapidement que l’Évangile ne fonctionne pas comme par magie, transformant d’un claquement de doigt toutes les réalités. L’Évangile est parfois compris comme un évangile de croissance. Croire au Christ serait être promis à l’abondance. Le récit des béatitudes selon Luc (Luc 6) vient contredire ceci. Ce sont les plus pauvres qui sont proches du royaume car ils sont ouverts à la nouveauté de Dieu.

Il n’y a pas d’automatisme entre la lecture et la méditation de l’Évangile et notre vie courante. Nous serons toujours testés, évalués, analysés plus que d’autres car nous voulons être disciples du maître de Nazareth. Pas de recette magique, mais pas non plus de solution miracle aux problèmes fondamentaux de notre planète. Dieu ne nous a pas donné les clefs des trésors politiques infaillibles. En réalité il n’existe pas de solution valable pour tous les temps et le refuge dans une loi religieuse divine qui serait au-dessus des lois humaines n’est encore qu’une illusion de toute puissance. De plus et cela peut parfois nous peiner, l’évangile que nous avons reçu ne fait pas non plus de nous des surdoués de la foi et nous aurions tort de penser que nous sommes de meilleurs croyants. Dans cette histoire, dans cette confrontation Jésus nous renvoie une question très simple à laquelle chacun doit répondre pour lui-même face aux autres et face à Dieu. Elle se résume en ces mots : Et toi, qui es-tu ? L’évangile t’a t-il conduit à renoncer à la toute puissance ? À ne pas confondre nos désirs avec le projet de Dieu ?

Nous aurions tort de croire que l’Évangile est sans puissance. Il est effectivement dynamique de vie nouvelle, de transformation ; mais il n’est pas semblable à nos désirs ; il peut nous transformer, faire de nous des témoins mais il ne nous dispense pas du chemin à suivre pour être authentiquement disciples du maître. Pour Luc il y a bien un idéal de la vie ; nous sommes engagés dans les conditions habituelles de l’existence, nous ne sommes pas dispensés miraculeusement des vertiges « du pouvoir et de l’avoir ». Mais il nous faut rester libre face aux soucis matériels. Rester vigilant pour ne pas nous endormir. Nous devons certes combattre la réalité de la maladie, du mal, de la souffrance, vaincre le doute, mais refuser la toute puissance. L’amour de Dieu ne s’est accompli que dans la faiblesse et le dénuement.
De tous temps les chrétiens dans leur recherche de la dynamique de la foi ont combattu les fausses paix ; Selon les époques et les civilisations, les chrétiens ont été confrontés à des conditions difficiles. Bien que se voulant levain dans la pâte ou communauté ouverte, ils sont inévitablement « sel » qui contraste avec les pesanteurs de leur milieu… Dans ce récit biblique, Jésus, en prenant le contre-pied du tentateur, nous invite à comprendre que le cœur de l’Évangile n’est pas de nous transformer en surhommes surdoués, mais de nous aider à devenir authentiquement des hommes et femmes qui manifestent l’œuvre de la grâce de Dieu.

L’écoute de la Parole doit rester prioritaire afin que nous ne tombions pas dans la recherche de l’illusion, que l’Esprit puisse nous conduire. Cet Esprit est donné en abondance à qui le reçoit comme un « souffle » afin de traduire, non un discours tout préparé, mais une réponse perceptible par tous ceux auprès desquels se vit notre témoignage. Jésus nous invite à résister à la tentation et pour cela il nous livre la clef. L’écoute de la Parole. Dans les réponses qu’il adresse au tentateur Jésus, emploie cette expression : « il est écrit « , c’est là qu’il nous faut chercher, nous aussi, le sens de nos engagements et avec ce qui est écrit qu’il nous faut résister au mal.

D’une écriture à une parole.
Changement de verbe au verset 12, non pas « il est écrit » mais « il est dit ».

Frères et sœurs, je conclurai par là, sur ce passage de l’écriture à la parole, du texte biblique à la Parole de vie qui s’en dégage. En toute circonstance sa parole nous permettra de résister au malheur, à la souffrance, à la mort et à renoncer à nos désirs de puissance. Jésus s’est donc  référé aux  textes bibliques (au livre du Dt) pour discerner la volonté de Dieu. L’emploi du mot « tentation » ne  veut pas dire  que Jésus a eu envie de faire le mal. Mais il a choisi résolument de ne pas prendre le chemin de la facilité. Dans notre récit, Jésus s’est engagé à détruire le mal en choisissant la voie qui fait appel au meilleur de l’homme. Il va à contre-courant de l’attitude, à la source de bien des malheurs : le laisser-aller, la corruption ou la fuite devant les responsabilités. Il affronte le mal dans sa racine, le désir perverti de l’homme soumis au pouvoir du mal.

Si Les évangélistes rapporteront des récits de guérisons, de possédés ou de démoniaques, ce sera  pour nous dire que la guérison donnée par Jésus touche l’intime de chacun et le libère de toute complicité avec les forces qui détruisent l’humanité. Frères et sœurs, encore aujourd’hui, par son Esprit Saint, il touche au plus profond des cœurs, là où se nouent les forces qui détruisent l’homme. Il appelle à la vie.

Amen

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