Luc 1, 39-56 – Mon âme exalte le Seigneur

Dimanche 20 décembre 2015 (4ème dimanche de l’Avent), par Clotaire d’Engremont

« Mon âme exalte le Seigneur,
et mon esprit se réjouit en Dieu mon Sauveur,
parce qu’il a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante » v47-48

 

Chères sœurs, chers frères,

Dans les Eglises issues de la Réforme, il n’est pas facile d’éviter de polémiquer gentiment sur ce qu’il faut bien appeler la « mariologie », chère à nos sœurs et frères de l’Eglise Catholique Romaine. Car, il faut bien reconnaitre, qu’au-delà des controverses théologiques qui se sont accentuées d’ailleurs dès le concile de Trente au XVIIe siècle jusqu’aux années 50 du XXe siècle, les images, au sens figuré comme au sens propre, de la vierge Marie constituent un champ de réflexions interconfessionnelles entre nos Eglises.
Au-delà des articles de foi, il faut bien avoir à l’esprit que le thème de la vierge peuple tout un pan de l’art occidental. Et cela n’est pas à négliger. Citons seulement, les peintres Le Gréco, Raphaël, Rubens ou le sculpteur Le Bernin, sans oublier les vierges de Champagne de l’Ecole de Troyes au milieu du moyen Âge. Chefs d’œuvres saisissants de beauté qui, au-delà des joutes théologiques, sont à l’honneur de l’Humanité. Je pense en vous parlant à l’Assomption de la vierge du Gréco qui au début de la Renaissance nous offre une « mère de Dieu » en gloire, au moment de son Assomption : elle monte au ciel, dans une envolée de bleus chatoyants. C’est sublime ! C’est du grand Art. Mais on cherche en vain le Christ sur le tableau. Il est vrai qu’il y a le symbole du Saint-Esprit dans le haut de l’œuvre… Il n’empêche que ce tableau est resté dans ma mémoire ; vous pouvez l’admirer dans une chapelle à Tolède. Je me souviens encore du choc ressenti devant la beauté de cette œuvre d’art….  Ambivalence de la nature humaine qui nous autorise  à admirer certaines œuvres d’art non conforme à notre pensée profonde !

La piété dans le monde occidental s’est ainsi épanouie dans une sorte de foisonnement, jusqu’au débordement vers une piété populaire faite certes de pèlerinage marial, mais aussi d’exaltation mystique  reflétée par un art où les composantes esthétiques priment parfois sur la signification religieuse. Marie sublimée, idéalisée comme image de la femme parfaite, a succédée (si vous me permettez ce raccourci historique) à la Déesse mère des croyances antiques. Elle risquait ainsi de détourner de la foi en Christ, fils unique de Dieu et seul sauveur. C’est pourquoi, alors que les premiers réformateurs faisaient encore référence à Marie, de façon non négligeable, dans la liturgie (notamment chez Martin Luther), leurs successeurs y ont font moins référence, face à l’évolution de l’Eglise Catholique Romaine qui ira jusqu’à déclarer article de foi le dogme de l’Assomption en 1950, par la bouche de son chef de l’époque : Pie XII

Selon le dogme catholique de l’Assomption « Marie a été exemptée du pêché originel par son immaculée conception, elle a été exemptée de la corruption du tombeau par l’assomption, privilège qu’elle partage avec Jésus. La fête dite du 15 août célèbre à la fois la résurrection de la vierge Marie et son entrée au paradis » (encyclopédie Larousse).
Dans l’Eglise orthodoxe traditionnelle, on parlera de la dormition, c’est-à-dire de la mort de Marie, entourée des apôtres tandis qu’un Ange recueille son âme pour l’élever à la gloire de Dieu, le corps étant confié à un tombeau.
Pour résumer, citons un passage du groupe des Dombes sur Marie (Marie dans le dessein de Dieu et la communion des Saints, page 65) dont la lecture a inspiré en partie la présente méditation.

En ce qui concerne la Vierge Marie, l’Église évangélique croit tout ce qui est écrit à son sujet dans la Bible, c’est-à-dire que nous ne croyons :
–  ni à son immaculée conception, c’est-à-dire à sa naissance miraculeuse d’une mère légendaire, Anne,
– ni à son assomption, c’est-à-dire à sa montée corporelle au ciel (fêtée le 15 août),
– ni à sa participation à l’œuvre du salut, dont la Bible ne parle pas.

Pour autant, jamais les réformateurs n’ont renié les symboles considérés comme article de foi des premiers siècles, notamment les termes du symbole dit des Apôtres qui comme vous le savez, proclame que Jésus Christ « a été conçu du Saint Esprit et qu’il est né de la vierge Marie »… tout cela selon les Ecritures. Ce qui m’autorise à dire, sans polémique, que Marie n’a pas de talents particuliers qui pourraient être qualifiés de « divin ».

Après ce bref rappel historique qui voudrait expliquer une partie des différences qui existent entre l’Église catholique et les Églises protestantes, venons-en aux textes bibliques et tout d’abord au passage de l’Évangile de Luc qui traite de la naissance de Jésus.

Ce qui me parait d’emblée devoir être noté, c’est l’extrême densité du récit de la rencontre d’Élisabeth, femme âgée qui attend depuis six mois l’enfant Jean-Baptiste, alors qu’à vue humaine il y avait peu d’espoir qu’elle puisse enfanter, et Marie qui vient d’apprendre par l’ange Gabriel qu’elle est enceinte. Cette rencontre entre les deux femmes est faite de joie spontanée. Leurs échanges leur permettent d’essayer de comprendre leur incroyable situation. Leurs grossesses sont acceptées par elles, femmes ordinaires, comme des événements extraordinaires certes, mais placés dans la perspective du Dieu qui vient. Quoi de plus beau que le tressaillement d’un futur nouveau-né dans le ventre d’une mère ! Le tressaillement du futur enfant dans le ventre d’Élisabeth à l’arrivée de Marie est là pour conforter, si besoin était, les deux femmes dans la certitude qu’elles sont dans le dessein de Dieu, la première pour porter le futur Jean-Baptiste, la seconde pour attendre l’arrivée du Sauveur, fils de Dieu.  Mais laissons Élisabeth !

Marie dit oui à l’Ange Gabriel. Et pourtant, Marie vierge mais déjà fiancée à Joseph, n’a jamais eu de relation avec un homme. Devant l’extraordinaire révélation de l’Ange, Marie pose une seule question : comment ? Vous noterez qu’elle ne pose pas la question : pourquoi ? Ce qui signifie qu’elle fait fi des quolibets. Sans doute, comme toute femme d’Israël, elle savait qu’elle pourrait éventuellement porter un jour l’envoyé de Dieu ! Peut-être ! Mais ici elle se contente, si j’ose dire, de retenir que l’Esprit-Saint viendra sur elle d’autant plus que la puissance de Dieu même a fait que sa cousine Élisabeth soit enceinte à un âge très avancé. La spontanéité de la réponse de Marie à l’Ange jaillit comme une immense confiance pour la vie. Rien n’étant impossible à Dieu, Marie dit  à l’Ange (verset 38) : « Je suis la servante du Seigneur que tout se fasse comme tu l’as dit » (version T.O.B.) « Je suis l’esclave du Seigneur qu’il advienne selon ta parole » (version Segond).
Les mots « servante » ou « esclave », relèvent avec pertinence me semble-t-il, certains exégètes (je pense en particulier aux théologiens du groupe des Dombes) ne doivent pas uniquement et nécessairement faire allusion à la seule situation sociale très modeste de la mère du Christ. Marie est servante ou esclave peu importe « du Seigneur ». C’est-à-dire qu’elle nous précède dans la foi au Verbe incarné. Elle est libérée des contraintes liées à sa culture, à son milieu social car elle obéit, uniquement parce que la passion, la grâce, la foi en un mot, se sont emparées d’elle. Elle a cru… un point c’est tout, pourrai-je rajouter. Elle n’appartient qu’au Seigneur. Elle est désormais une femme responsable et libre, déliée des contraintes des personnes qui l’entourent. Marie, mère de Jésus, le voit, le pressent ; c’est déjà la préfiguration de la Bonne Nouvelle que représente la naissance de Jésus dans une humble étable, entourée selon la légende quelque peu métaphorique, par les bergers et les animaux domestiques de la ferme. Oui, elle a le droit d’être bien heureuse lorsqu’elle chante son allégresse. Elle exulte ! Elle chante un chant d’allégresse, ce magnificat souvent entonné grâce à elle, par tous les chrétiens ! Ce chant, composé pourtant, selon les exégètes, de paroles issues des anciens prophètes, est radicalement nouveau car il annonce toutes les promesses d’un Dieu qui nous aime.

Cet hymne de Marie, ce magnificat, exulte de joie, certes, mais plus encore annonce une bonne nouvelle qui sera celle du fils de Dieu. Ecoutons là Luc 1, 51-53 : « Il a dispersé ceux qui avaient dans le cœur des pensées orgueilleuses, Il a renversé les puissants de leurs trônes, Et il a élevé les humbles, Il a rassasié de biens les affamés, Et il a renvoyé les riches à vide. Il a secouru Israël, son serviteur, et il s’est souvenu de sa miséricorde…»
Cet hymne est en soi une prédication qui porte un regard confiant et joyeux sur ce qui va venir. En cela, Marie, mère du Christ, est la messagère d’une justice, c’est-à-dire de l’espérance d’un salut. Cet hymne de Marie magnifie la confiance que Dieu accorde sans condition ou par grâce, à ceux qui le cherchent comme d’ailleurs à ceux et à celles qui s’estiment éloignés de Lui.

C’est pourquoi, chers frères, chères sœurs, cet hymne à la vie, dit « Magnificat », nous touche autant depuis 2000 ans. Il inscrit Marie dans l’immense nuée des témoins. Il fait d’elle, au pied de la croix lors de la crucifixion, notre sœur en Christ.

Amen

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