L’obsession de la foi

Lecture Biblique : 1 Corinthiens 10, 31-11, 1

 

Prédication

Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire  de Dieu. C’est plus particulièrement ce verset de l’Ecriture sainte que j’aimerais que nous méditions  ce matin. Qu’entend-on en ces quelques mots ? Une idée capitale, absolument essentielle pour qui  veut emprunter un chemin de foi : Dieu peut remplir une vie d’homme ; mieux, Dieu doit remplir  notre vie, combler notre existence. Quoi que vous fassiez, dit l’Apôtre, faites tout pour la gloire de  Dieu. Mais voilà, chers frères et soeurs, cette idée nous est étrangère. Et ce, pour deux raisons.   D’abord parce que l’injonction à tout faire, absolument tout, pour la gloire de Dieu évoque  en nous l’excès. On pense alors au fanatisme, à l’extrémisme, au « séparatisme », qui pour la gloire  de Dieu, pour que toute une vie soit à la gloire de Dieu, n’hésitent pas à condamner, excommunier,  maudire, et même tuer. Et puis l’on pense aussi à cet intégrisme, à cette foi rigoriste qui, quelle que  soit la religion qu’elle touche, dessine un Dieu qui se tient derrière chaque action, chaque parole,  chaque pensée comme un juge. Ce Dieu-là étouffe. Ensuite, l’injonction à organiser toute sa vie en  fonction de sa foi, de sa religion, de sa spiritualité, évoque en nous, en plus du dégoût que je viens  de décrire, une réaction sceptique. Nous doutons fort que l’on puisse faire pénétrer Dieu à ce point  dans une existence humaine. Nous avons en effet pris l’habitude de compartimenter nos vies : être  protestant, par exemple, est une couche de notre identité parmi d’autres (pensons à notre métier,  notre nationalité, notre sensibilité politique, nos passions, nos engagements, etc.) et une couche  n’empiète pas sur l’autre de sorte que notre vie n’est pas toujours une vie de chrétien. Il y a, en  quelque sorte, des temps de christianisme dans nos vies (le culte, l’étude biblique, telle conférence,  tel concert spirituel, tel échange avec notre enfant catéchumène ou un pasteur, la lecture d’une page  de l’Ecriture). Et ces temps nous nourrissent et nous importent. Toutefois, nous ne pensons pas  pouvoir infuser toute notre vie de notre foi, comme le suggère l’Apôtre. Rendez-vous compte : quoi  que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu ! C’est un peu trop, c’est impossible. Mais  justement, pourquoi nous arrive-t-il de réfléchir de la sorte ? Il y aurait bien des réponses possibles  mais je vous propose celle-ci, un peu radicale, mais, à mon avis, digne d’intérêt : nous vivons dans  un monde où Dieu est absent. Nous ressentons l’absence de Dieu. Notre représentation du monde et  notre vie sociale baignent dans l’agnosticisme, dans le retrait de Dieu. De sorte que même croyant,  nous sommes atteints par cette vision des choses. Et puis, bien souvent dans notre vie même de  croyant, de chrétien, nous vivons des temps plus ou moins longs pendant lesquels Dieu nous semble  absent. Si donc Dieu n’est pas là, ou plus là, on ne voit pas comment il pourrait être partout dans  nos vies.

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Comment faire alors ? Nous avons entendu l’Ecriture : soit que vous mangiez, soit que vous  buviez, quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu. Et nous sommes incapables de nous  en nourrir pris entre deux expériences religieuses, celle « extrême » d’un Dieu qui étouffe, et celle  plus « modérée » d’un Dieu absent. Il nous faut donc tenter de faire résonner cette Parole dans le  contexte qui est le nôtre.

Je vous propose une première étape. Le problème que nous rencontrons tient en partie au fait  que nous imaginons que le précepte de l’Apôtre conduirait d’une manière ou d’une autre à exclure  les autres hommes. Soit parce qu’il les classerait comme des infidèles, soit parce qu’il signerait la  fin de notre vie sociale, rendant illégitimes les autres « couches » de notre identité : comment faire  du ski pour la gloire de Dieu ? Comment voter pour la gloire de Dieu ? Comment organiser un dîner  pour la gloire de Dieu ?

Mais il y a là un malentendu. Agir pour la gloire de Dieu ne revient pas à tirer un trait sur les  hommes. Bien au contraire. Pour le comprendre, il faut prêter attention au contexte de l’épître. Que  signifie « la gloire de Dieu » sous la plume de Paul ? D’abord, l’intérêt d’autrui. En effet, Paul  répond à une question très précise des Corinthiens. Ces derniers voulaient savoir s’ils pouvaient  consommer des viandes provenant du marché de Corinthe, alors même qu’abattre un animal dans  l’Antiquité revient presque toujours à le sacrifier à une divinité païenne. La question est donc de  savoir si l’on peut consommer une viande qui a été préalablement « consacrée », pour le dire vite, à  un autre dieu que Celui de Jésus-Christ. La communauté est divisée sur cette question. Certains se  jugent suffisamment forts pour manger de cette viande. Ils peuvent en effet mettre en avant une  connaissance théologique : il n’y a qu’un seul Dieu dans l’Univers, les divinités païennes ne sont  donc pas des dieux mais des inventions, les viandes ne sont donc qu’en apparence sacrifiées à des  dieux alors qu’en réalité, il ne se passe rien. On ne peut sacrifier un animal à rien, l’animal est donc  tout aussi « neutre » spirituellement qu’avant le rituel. On peut donc manger de cette viande, vendue  sur le marché. Mais, contrairement à ce groupe, certains sont considérés comme plus « faibles ». En  effet, ils reconnaissent que le Dieu de Jésus-Christ est le seul vrai Dieu mais continuent tout de  même, malgré les incohérences, à accorder aux dieux païens une certaine réalité. Par conséquent,  pour eux, manger de la viande sacrifiée à Zeus ou Athéna reviendrait à rendre un culte à des  divinités païennes. C’est à ce sujet que Paul déclare soit que vous mangiez, soit que vous buviez,  

faites tout pour la gloire de Dieu. En d’autres termes, Paul dit aux « forts » de ne pas manger de  2 sur 5

viandes sacrifiées aux idoles, en dépit de leur bonne théologie, dans le cas où cela pourrait choquer  et déstabiliser la foi des « faibles ». Agir pour la gloire de Dieu c’est donc ne pas se prévaloir de son  droit pour prendre en compte l’intérêt d’autrui. Paul le dit d’ailleurs dans cette même lettre très  clairement : Que personne ne cherche son propre intérêt, mais celui d’autrui (1 Co 10). Si donc  nous généralisons encore, agir pour la gloire de Dieu c’est, tout simplement, aimer son prochain.  On est donc bien loin d’un fanatisme qui rejette certains hors de l’humanité ou d’un intégrisme qui  refuse la vie sociale. Tout faire pour la gloire de Dieu nécessite d’être constamment aux prises avec  les hommes. L’épître de Jean le dit d’une autre manière encore en affirmant qu’on ne peut aimer  Dieu d’un côté et haïr son frère de l’autre (1 Jn).

Nous disposons à présent d’une première lecture de l’Ecriture : notre vie peut être comblée  par Dieu si nous nous mettons au service de nos frères et soeurs en l’humanité. Et cela ne s’oppose  pas à l’agnosticisme ambiant, à l’expérience de l’absence de Dieu. Dieu est peut-être absent mais  cela ne signifie pas qu’Il ne peut unifier et remplir notre vie dans la mesure où une vie au service de  Dieu est une vie vécue dans l’amour du prochain et que les hommes, eux, sont bien présents.  Chercher le visage de Dieu parmi nos frères et soeurs, voilà ce que pourrait vouloir dire quoi que  vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu.

Nous avons donc atteint une sorte d’humanisme. Agir pour la gloire de Dieu c’est « adoucir  les maux des hommes et alléger leur peine » (Thomas More, L’Utopie). Mais la Parole que nous  méditons, même si elle implique nécessairement cela, ne peut y être réduite. On ne peut substituer  complètement la relation de l’homme à Dieu par les relations des hommes entre eux. Pour Paul,  comme pour les Pères de l’Eglise, comme pour nos Réformateurs, et comme d’ailleurs pour tant de  Philosophes antiques, Dieu peut combler l’homme dans un sens plus fort encore : Dieu est le  souverain bien de l’homme. Pour employer un langage plus simple, Dieu est le but de l’existence  c’est-à-dire le seul à même de lui conférer un sens véritable. Il est celui qui puisse réellement nous  combler, nous rendre heureux. Comment ? En étant non plus lointain mais proche, à nos côtés, en  Jésus-Christ. Pensons à l’Evangile de Jean qui nous invite à demeurer en Dieu par le Christ. Etre  uni à Dieu est beaucoup plus que servir les hommes. C’est cela mais plus encore. La foi ne consiste  pas seulement à réparer, aider, relever, soigner. Une fois debout, une fois relevé, une fois pardonné  et encouragé, le chemin se poursuit : Dieu nous comble, il ne nous répare pas seulement. Dieu veut  s’unir à nous. Les mots me manquent, l’expérience me manque, mais je suis convaincu que Dieu ne

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se contente pas de nous aider à vivre. Je pense qu’il peut transformer notre vie au-delà de ce que  nous pouvons imaginer. Je pense qu’il veut que nous débordions de lui.

Mais cela, voyez-vous, se heurte de plein fouet à notre expérience concrète : Dieu est, bien  souvent, absent. Et comment s’unir à Dieu qui n’est pas là ? L’absence de Dieu signifierait-elle  l’impossibilité d’une relation à Dieu ? Tout dépend de notre manière de vivre cette absence. En  effet, l’absence de quelqu’un peut laisser indifférent voire même soulager. Pensez à l’absence de  contrôleurs dans les transports en commun : si vous avez payé votre voyage, que le contrôleur soit  là ou pas, cela vous laisse indifférent ; Si au contraire, vous aviez, grâce à une agilité prodigieuse,  sauté par-dessus la barrière sans payer de ticket, l’absence des contrôleurs vous procurerait un  immense soulagement. Mais l’absence peut aussi être ressentie comme un manque. Par exemple, si  le couvre-feu empêche deux jeunes gens de se retrouver. Qu’en est-il de l’absence de Dieu pour  nous ? Nous laisse-t-elle indifférent ? Nous soulage-t-elle ? Ou bien nous procure-t-elle une sorte de  douleur et de souffrance parce que ce Dieu-là nous manque, parce que nous voudrions qu’il soit  présent ?

Je crois, chers frères et soeurs, qu’il nous faut apprendre à regarder en face la terrible  absence de Dieu, pendant les périodes où nous la ressentons. L’accepter, et nous examiner par  rapport à cela. Puis, la porter dans notre prière. De ces prières, la Bible est pleine : O Dieu ! tu es  mon Dieu, je te cherche, Mon âme a soif de toi, mon corps soupire après toi, Dans une terre aride,  desséchée, sans eau. (Psaume 63) ; Reviens, Éternel ! Jusques à quand… ? Aie pitié de tes  serviteurs ! (Psaume 90) Le Christ lui-même sur la croix a prié dans l’absence de Dieu : Mon Dieu,  mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Toutes ses prières creusent dans son absence le désir de  Dieu. Peut-être pouvons alors proposer une seconde lecture de notre verset : quoi que vous fassiez,  faites tout pour la gloire de Dieu autrement dit, apprenons à espérer Dieu dans chaque instant de  notre existence. Non pas l’espérer comme un juge ou un vengeur mais comme Celui qui peut  changer le mal en bien, apporter la plénitude au milieu du désert. Ce serait en fait prier : Que ton  règne vienne, que ta volonté soit faite, sur la terre comme au ciel.

Je crois, chers frères et soeurs, qu’il nous faut creuser en nous le désir de Dieu. Laissons  tomber le Dieu qui étouffe, et prenons au sérieux l’absence de Dieu : apprenons à le désirer.  Demandons-nous ce que sa présence pourrait changer, interrogeons les Ecritures et en elles les

expériences de nos Pères dans la foi pour y voir, comme par esquisses, ce que notre Dieu peut faire  4 sur 5

dans une vie d’homme. Et sachons espérer. Car le Dieu que nous voulons, le Dieu que nous  désirons, parfois au milieu d’un désert existentiel, est un Dieu qui nous rejoint, qui nous rejoindra.  Il nous a laissé une promesse dans L’Ecriture : Je ferai jaillir des fleuves sur les dunes, Et des  sources au milieu des vallées ; Je changerai le désert en étang, Et la terre aride en courants d’eau.  (Esaïe 41, 18)

Voici chers frères et soeurs, le chemin que l’Apôtre dessine pour nous aujourd’hui : soit que  vous mangiez, soit que vous buviez, quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu.   Exister pour Dieu, voilà la brèche que l’Ecriture ouvre pour nos vies. Engageons-nous dans  cette brèche en servant nos frères et soeurs, sachant prendre en compte non pas uniquement notre  intérêt mais aussi le leur, aventurons-nous sur cette piste en creusant au fond de notre coeur le désir  de Dieu, le désir de sa rencontre ; et enfin, sachons, peut-être, quand le temps viendra, bondir de  joie en voyant en nous, parmi nous, le royaume de Dieu s’établir.

Amen !

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