L’institution de la Cène

Lectures Bibliques : Marc 14, 12-28

Prédication

Une fois n’est pas coutume, les trois textes du jour, celui de l’Exode, celui de l’Epitre aux Hébreux et l’évangile de Marc se répondent parfaitement et forment un tout cohérent pour expliquer le remplacement de l’Ancienne Alliance par la Nouvelle Alliance et l’institution de la Cène qui se substitue à la Pâque juive.

Tout commence par la préparation de la Pâque juive traditionnelle, appelée ici comme dans le livre de l’Exode le premier jour des pains sans levain : le jour où on sacrifiait la Pâque, c’est-à-dire le jour où l’on sacrifiait l’agneau pascal, qui avec le temps avait remplacé les taureaux du livre de l’Exode, sans doute car le taureau était plus répandu et adapté à la riche et verdoyante vallée du Nil qu’à la Palestine. La Pâque était une fête joyeuse où l’on mangeait l’agneau immolé dans l’enceinte du temple par les sacrificateurs le jour même. Il ne devait rien en rester, c’est pourquoi la coutume était d’être en compagnie de dix à vingt personnes. S’y associaient le pain sans levain ou azyme, que l’on rompait, bénissait et partageait, et les herbes amères. On se préparait donc à fêter la Pâque juive traditionnelle.

Puis Jésus utilise un subterfuge, digne des romans d’espionnage : au lieu de communiquer le lieu du rendez-vous, il confie à deux de ses disciples (qui nous restent inconnus) de suivre un inconnu qui porte une cruche d’eau : l’eau a ici valeur de symbole : si c’est le premier élément de la création, c’est aussi un symbole de pureté, de salut, de nouvelle naissance et comme le baptême un rite de mort et de résurrection : l’apôtre Paul l’affirme dans l’épitre aux Romains (6,2) : « Ignorez-vous que nous tous qui avons reçu le baptême de Jésus-Christ, c’est le baptême de sa mort que nous avons reçu ? »

Ayant suivi le porteur d’eau, chargé de symboles, ils entrent dans une maison et le maître de maison leur montre la chambre à l’étage, aménagée pour la Pâque, c’est-à-dire littéralement jonchée, qu’il faut compléter par des tapis et des coussins, où une table est dressée. On montre toujours de nos jours à Jérusalem une chambre du cénacle qui répond à cette description. Et les deux disciples préparent la Pâque.

La suite du texte nous éclaire sur le subterfuge et le secret qu’entretenait Jésus : Il ne voulait pas que les disciples connaissent à l’avance le lieu de la réunion car lui seul connaissait la trahison de Judas. Jésus voulait se prémunir d’une arrestation, plus facile dans un lieu clos, car il voulait passer cette soirée avec ses disciples sans être troublé pour laisser un dernier message aux Douze avant la Passion. Il annonce la trahison de l’un d’entre eux alors qu’ils étaient à table et mangeaient. Il est vraisemblable et même certain que Judas était présent puisque l’évangéliste Marc parle des Douze qui accompagnaient Jésus, et car Jésus précise : « L’un de vous, qui mange avec moi, me livrera ». Il faut quand même noter une imprécision curieuse : Jésus vient avec les Douze, alors que deux d’entre eux étaient déjà là pour préparer le repas !

Jésus ne désigne pas celui qui l’a livré, ce qui attriste les disciples, qui posent chacun la même question : « Est-ce moi ? ». Jésus dit simplement qu’il faut que « Le fils d’homme s’en va, selon ce qui est écrit de lui ». Il veut dire par là que Judas n’est qu’un instrument entre les mains de Dieu, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il ne soit pas coupable. En effet, suit un anathème : « Quel malheur pour cet homme par qui le fils de l’homme est livré ? », qui répond à celui de Matthieu « Il est nécessaire qu’il y ait des causes de chute, mais quel malheur par qui cela arrive (Mt 18,7).

Puis vient l’Institution de la Cène, dont vous connaissez tous les termes. Bien que l’évangéliste Marc place la Cène le jour de la Pâque, le sens en est profondément modifié. Rompre le pain après avoir prononcé la bénédiction et prendre la coupe de vin après avoir rendu grâce n’était pas une nouveauté du temps de Jésus, puisque ces pratiques étaient déjà citées dans la Règle de la Communauté des Esséniens de Qumrân, découverte sur les bords de la Mer morte. Chez les juifs, on célébrait la Pâque « en mangeant le pain misérable que nos pères ont mangé en Egypte ». Ce qui est nouveau dans les paroles du Christ, c’est l’inversion complète de l’Alliance conclue avec le Seigneur rapportée dans le livre de l’Exode. Celle-ci est pleinement exprimée par l’apôtre Paul dans l’Epitre aux Hébreux : « Il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire, non pas avec du sang de boucs ou de taurillons, mais avec son propre sang ».

Ce dernier repas du Christ, l’Ultima Cena, est la dernière annonce faite par le Christ de sa passion : rompre le pain est assimilé à la mort de Jésus, ce que le Christ affirme d’emblée : « ceci est mon corps » : le pain rompu est le corps supplicié du Christ. Il affirme ensuite que « le vin est son sang, le sang de l’alliance, qui est répandu pour une multitude ». La différence majeure avec la célébration de la Pâque juive est que celle-ci est un repas mémoriel célébrant la sortie de l’Egypte avec le pain azyme et l’agneau sacrifié dans les Temple. Alors que la Nouvelle Alliance, célébrée par cette première Cène, assimile le pain et le vin au corps et au sang du Christ. L’objet du sacrifice est le Christ lui-même qui s’est offert à la Passion pour sauver la multitude. Pour ajouter encore un lien à la puissance de l’évocation, les disciples mangent le pain et boivent le vin, participent donc à la Passion, à la mort et à la résurrection du Christ. Dans la théologie réformée, cette communion est spirituelle et symbolique, ce qui l’oppose totalement au dogme de la présence réelle ou transsubstantiation de l’Eglise Catholique. Il faut cependant noter que les trois évangiles synoptiques dont celui de Marc n’évoque pas le thème, cher à l’Evangéliste Jean, de « l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde ».

L’apôtre Paul, dans l’Epitre aux Hébreux (9,15), nous livre le sens de cette Nouvelle Alliance : « Voilà pourquoi il est le médiateur d’une nouvelle alliance : une mort ayant eu lieu pour la rédemption des transgressions commises sous la première alliance ». Mais le sens de cette Nouvelle Alliance est peut-être exprimé de meilleure façon dans la même scène de l’Evangile de Luc (Lc 22,20) : « Cette coupe est l’alliance nouvelle en mon sang qui est répandu pour vous ». Cette Nouvelle Alliance a un caractère d’universalité que ne possédait pas l’Ancienne Alliance : « Le sang de l’Alliance répandu pour une multitude »

Puis le texte s’achève sur une attente eschatologique : « Amen, ainsi je vous le dis, je ne boirai plus du produit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai  nouveau dans le royaume de Dieu ». C’est l’annonce du Royaume où toutes choses seront renouvelées à l’instar du vin nouveau.

Amen !

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