« Or, environ huit jours après ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques et monta sur la montagne pour prier. Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage changea et son vêtement devint d’une blancheur éclatante. Et voici que deux hommes s’entretenaient avec lui ; c’étaient Moïse et Elie ; apparus en gloire, ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem. Pierre et ses compagnons étaient écrasés de sommeil ; mais, s’étant réveillés, ils virent la gloire de Jésus et les deux hommes qui se tenaient avec lui. Or, comme ceux-ci se séparaient de Jésus, Pierre lui dit : « Maître, il est bon que nous soyons ici ; dressons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, une pour Elie. » Il ne savait pas ce qu’il disait. Comme il parlait ainsi, survint une nuée qui les recouvrait. La crainte les saisit au moment où ils y pénétraient. Et il y eut une voix venant de la nuée ; elle disait : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai élu, écoutez-le ! » Au moment où la voix retentit, il n’y eut plus que Jésus seul. Les disciples gardèrent le silence et ils ne racontèrent à personne, en ce temps-là, rien de ce qu’ils avaient vu. » Luc 9, 28-36.
« Ainsi donc, frères bien-aimés que je désire tant revoir, vous, ma joie et ma couronne, tenez ferme de cette façon dans le Seigneur, mes bien-aimés. » Philippiens 4,1.
Frères et sœurs, en foi chrétienne nous avons peut-être perdu de vue la notion d’effort. Oui la confiance en Dieu nous est donnée pour espérer, pour consoler. Mais parfois cela nous est tellement contre-intuitif, tellement à contre-pied des logiques de notre monde, de la logique de nos sociétés et de nos systèmes que nous n’y croyons plus et que nous devenons parfois, pour notre désespoir, indifférents à l’Evangile. Le ministère de Jésus sur cette terre fut le pardon des péchés, le retour d’une espérance, la libération de ceux que la mort opprime, la victoire en ce monde de la parole de vie contre la parole de mort et nos ténèbres ont eu du mal à le comprendre. Il en est de même aujourd’hui.
En ce carême, où le temps est consacré à faire de l’espace en nous pour nous préparer à l’évènement de pâques, de la même manière que notre évangile nous offre le récit d’une ascension vers la transfiguration, comme il y aura dans quelque semaine une ascension vers Jérusalem. Toutes ces ascensions évangéliques, qui se retrouvent d’ailleurs aussi bien dans l’ancien testament, nos deux personnages, Elie et Moïse gravissaient souvent des montagnes, elles ne sont pas faites pour nous être des exemples à suivre. Jésus ne dirait pas : « Voyez, je monte une montagne et mes disciples me suivent pour accéder à une connaissance, accéder à un bien spirituel qui nous ferait progresser sur le chemin du salut, alors vous, à mon exemple, faites de même ! » Non, non, trois fois non. La grâce ne s’acquiert pas par une œuvre quelconque ou une ascèse, même la plus totale. La grâce nous est donnée de Dieu quand nous mettons notre confiance en lui. Mais alors pourquoi ces hautes montagnes ? Pourquoi ces efforts qui nous sont racontés dans les livres saints ? Et pourquoi la thèse de ma prédication, énoncée au départ « en foi chrétienne nous avons peut-être perdu de vue la notion d’effort » ?
Frères et sœurs. Jésus, la loi, les prophètes et toute la théologie ne nous apprendrons pas ce qu’est une montagne. Ils ne nous apprendront pas ce qu’est la souffrance, ils ne nous apprendront pas ce que sont la solitude, l’angoisse, le désespoir et nos désabusements. Non, tout cela nous le vivons, l’expérimentons et le connaissons nous n’avons besoin d’aucune parole, d’aucune expertise pour savoir que cela existe, que c’est une constante malheureuse de la condition humaine et une donnée douloureuse de nos existences. Mais sur le chemin de cette montagne, dans ce colloque au sommet de la loi, des prophètes et de l’Evangile, ce sont justement nos montagnes et nos chemins de douleurs qui sont assumés, c’est-à-dire qui sont pris en charge, qui sont traversés par ces mêmes personnages que nous croyons trop souvent dans nos piétés éthérées des personnages du ciel ou des contes pour enfant. Ces personnes étaient des personnes de chair, Jésus y compris, pleinement homme, qui ont traversé les efforts que Pierre, Jean et Jacques ont traversé pour arriver enfin au sommet de cette haute montagne. Et cette ascension ne mènera pas ni à un échec ni à un effort en vain condamné à se reproduire infiniment.
Notre Evangile ce matin chers amis, est un « anti-Sisyphe ». Ou bien pour celles et ceux qui sont moins friands de mythologie grecque c’est une solution offerte à notre existence vue comme soumise au métro-boulot-dodo. Au sommet de cette haute montagne la pierre qui a été roulée n’est pas retombée et il ne faudra pas la remonter. Nos chemins dans cette grande aventure qu’est la foi chrétienne, avec ses hauts et ses bas, oui il y en un certain nombre, ne sont pas des épreuves vaines condamnées à être reproduite tant que durera notre existence. Non qu’il mène à un progrès quelconque en esprit, rappelons-nous, l’évangile nous donne en exemple la foi des petits enfants, mais qu’au grès des chemins tortueux nous nous familiarisons avec Jésus et nous goutons différemment la substance entière de l’annonce de la Bonne nouvelle.
Au grès de ces chemins tortueux c’est Jésus qu’il nous est donné à connaître, petit à petit, de plus en plus. Et celui-ci se transforme, il change de visage, passant du visage un peu palot sans trop de substance avec une peau et des cheveux parfaits, tel que nous le voyons sur certaines représentations désuètes, à un homme comme nous, les traits parfois creusés par les doutes, la peau halée par les travaux parfois pénibles, les mains calleuses et le regard parfois fatigué par des nuits de veille. Alors qu’en est il de cette notion d’effort en foi chrétienne ? Cette notion d’effort chrétien réside peut-être ici : le fait de reconnaitre à Jésus sa pleine humanité et de croire ainsi que dans mon humanité c’est Dieu lui-même qui viens à mon aide et de vivre de cette fraternité divine en humanité. Ne pas perdre de vue ce cœur de la proclamation de l’évangile demande un certain effort et nécessite que nous nous le rappelions. Et que cette humanité reconnue à l’homme de Nazareth transfigure notre propre humanité en une humanité assumée, c’est-à-dire soutenue, par Dieu. Voilà ce qui demande de l’effort mais voilà aussi ce qui soutien une existence et pour citer les derniers mots de l’épitre que nous avons entendu tout à l’heure, avec en vue la transfiguration à venir de nos êtres : « tenez ferme de cette façon dans le Seigneur. »
Nous y sommes à ce carême 2025. A ce carême 2025 où le monde, plus que jamais a besoin d’entendre Sa voix et où le monde plus que jamais a besoin de ce compagnon de route, où ce monde plus que jamais attends cette transfiguration qui n’arrive pas. Et pourtant cela nous est dit, la manière nous est donnée, notre monde a besoin de prendre au sérieux l’incarnation de Dieu sur terre car tant que cela n’aura pas été fait nous serons encore, nous de même, aux premiers balbutiements de nos connaissances. De la même manière que Pierre, Jean et Jacques au sommet de la montagne ont voulu construire trois tentes différentes pour adorer les trois hommes saints, de la même manière qu’ils ont voulu venir pour prier et qu’en retour de leur prière ils recevaient un sommeil écrasant mais il n’y eut pas que cela, fort heureusement. Voici le salaire qu’ils ont évités, voici la grâce qui nous est offerte.
L’Evangile ne prêche pas un effort qui nous conduirait à un sommeil écrasant, effort oblige, ça c’est le monde qui le prêche. Et de la même manière la prière n’est pas l’élément qui permet de légitimer ce système, ça c’est Marx qui le prêche, la religion comme ingrédient nécessaire d’un système d’asservissement des masses prolétaires, comme les disciples étaient prêts à subir et à poursuivre ce système, comme ils en étaient très probablement habitués. Non l’Evangile est cette variante de l’existence, celle qui dit que l’ascension, la prière et nos vies nous poussent vers une expérience autre et qu’elle nous donne à croire légitimement à un horizon autre où nos chemins, quels qu’ils soient, sont vécus, assumés et compris par Dieu et qu’ils sont conduits vers et pour la connaissance du Sauveur. Alors oui cela se passe de façon un peu spectaculaire j’en conviens : « Comme il parlait ainsi, survint une nuée qui les recouvraient. La crainte les saisit au moment où ils y pénétraient. Et il y eut une voix venant de la nuée ; elle disait « celui-ci est mon Fils, celui que j’ai élu, écoutez-le ! »
La nuée cela ne nous parle plus beaucoup, mais la crainte si. Nous passons parfois par des moments de tourmente insaisissable et la panique nous envahit au moment où nous pensons où nous pénétrons dans des pensées et des considérations qui nous font perdre pied, où nous avons parfois l’impression que le sol se dérobe sous nos pieds. Et c’est à ce moment-là que nous Le comprenons, que nous Le connaissons par la voix de Dieu, cette même voix au moment du baptême du Christ qui réaffirme la légitimité de son fils.
Quelle histoire n’est-ce pas ? A vrai dire en le lisant ainsi je ne peux pas m’empêcher d’admirer le talent des évangélistes et l’intelligence de Jésus qui dans son agir sur terre a tout fait pour que cela nous rende service et nous soit profitable. Pour que dans sa transfiguration la bonne nouvelle nous parvienne et nous touche dans notre être, pour que cette nuée qui descendit sur cette montagne prenne et efface la torpeur des compagnons de Jésus qui étaient venus sans trop d’espoir, accomplir une ascèse coutumière. Dans ce carême où nous cheminons ce n’est qu’une exhortation à la persévérance que je vous adresse, à la persévérance à l’écoute et à la prière, quelle que soit sa manière ou sa forme, maigre ou substantielle, profonde ou superficielle mais qu’elle soit faite en connaissance de cause, c’est-à-dire que sur ce chemin vers pâques c’est Jésus qui nous rejoint, ne cessant de nous précéder et jalonne notre route des signes de sa Parole afin que nous puissions considérer nos vies et nos chemins comme le sien, Sa transfiguration comme l’espérance saisie de nouveau.
Amen.
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