Les bergers à Bethléem

 

Noël ! C’est Noël !

Dans la joie ou dans l’angoisse, dans la paix ou dans la guerre, beaucoup de monde fête Noël et pour tous c’est une fête, une grande fête. Païens et athées aussi bien que les chrétiens (même si le chrétiens de confession orthodoxe et ceux d’Orient ont une autre date – le 6 janvier ou plus tard, pour cause de calendriers différents ! ), tous fêtent Noël, l’anniversaire, ou plutôt la naissance (c’est plus juste) de Jésus de Nazareth, dont nous, protestants, avec les autres chrétiens, confessons qu’il est le Christ, le Fils de Dieu.

C’est aussi une fête familiale, (quand on peut se réunir!), on s’échange des cadeaux, on se retrouve à table. Païens et athées, aussi bien que chrétiens, fêtent Noël. Et du coup, on se dit que l’Evangile est facile à communiquer car il est de l’ordre de l’évidence.

Mais c’est faux ! L’Evangile est loin d’être une évidence.

Il l’est (évident) pour les chrétiens … paraît-il (encore que …) ! Mais, en attendant de vérifier, il faut que nous réalisions que, pour « les autres », l’Evangile ne fait guère de bruit.

Tenez : comment vous imaginez-vous la scène de Noël à Bethléem, celle justement que notre évangile de tout à l’heure nous a encore une fois rappelée ?

Vous vous dites peut-être que la crèche a attiré beaucoup de monde. De toute façon, lorsque l’armée céleste chante la gloire de Dieu, ça ne doit pas passer inaperçu. Et puis, hormis le méchant Hérode (qui ne fait pas partie de cet évangile-ci, d’ailleurs), tout le monde avait bien compris qui était ce nouveau-né… L’énoncé même de ces évidences les disqualifie, non ? Même en considérant le genre littéraire un peu légendaire de notre récit, que s’y passe-t-il ? Quelques bergers, la nuit, ont une vision. Ils trouvent alors une famille réfugiée dans une grange, le temps d’un recensement organisé par les troupes d’occupation. Ils repartent.

Et voilà. Il ne se passe rien d’autre, rien de plus. Pas d’attroupement, pas de journalistes, pas de grands personnages, pas de grandes conversions. Des bergers touchés de ce qu’ils ont vu, et louant Dieu. Et s’en retournant vaquer à leurs occupations. Une jeune mère déboussolée, qui ne comprend pas ce qui se passe. Elle vient d’accoucher. Le nouveau-né sera circoncis à huit jours, comme tous les garçons de ce pays et on lui donnera le nom annoncé dès avant sa conception : Jésus, « Dieu sauve ».

Que s’est-il passé cette nuit-là ? Un bébé juif est né. Couché dans une mangeoire par manque de place ailleurs, et des bergers lui ont fait risette. C’est tout…

Voilà le paradoxe. Ce dont nous confessons que c’est le plus grand événement depuis la création du monde est passé totalement inaperçu sauf de quelques personnes marginales, des bergers fatigués, un couple galiléen en déplacement.

Ce que célèbre Noël c’est un « non-événement » sans témoins fiables, sans qui que ce soit pour donner un sens intelligible et convaincant.

La naissance de ce bébé…un événement inaperçu ?

Frères et sœurs, il en est de même de tout l’Evangile. Nous n’avons aucun miracle plein de sens et visible à dix mille kilomètres dont nous puissions nous réclamer. Rien qui puisse faire l’objet d’un article dans une revue scientifique. Rien qui force l’admiration, ni même le questionnement. Nous n’avons rien qu’un petit d’homme, et une révélation… Mais qui dit révélation, dévoilement et accomplissent des promesses, dit aussi discrétion, intimité : l’ange a dit le sens, l’armée céleste a chanté la bonne nouvelle, mais seuls quelques bergers ont reçu ce sens, ont entendu chanter les étoiles. Ils n’ont même pas convaincu la mère du petit…

Il faut donc que nous le réalisions bien : vous et moi, nous ne sommes rien de plus que ces quelques bergers ! Comme eux, on nous a dit, et nous avons cru, et, quelque part, quelle que soit la manière dont nous le dirions, oui, nous avons vu, nous avons contemplé la vérité de ce qui nous avait été annoncé.

Nous savons des choses qui font que nous louons et remercions Dieu, un Dieu que personne n’a vu, mais que nous avons reconnu dans le fameux bébé devenu grand, parce qu’il a donné sa vie pour nous. (Dieu a tant aimé le nom qu’il nous a donné son Fils). Mais ça, c’est nous qui le disons, c’est nous qui le croyons.

 

L’Evangile, c’est une conviction intime, un message reçu, mais un message à redire, qui laisse rêveurs ceux qui doivent le redire comme ceux vers qui ils vont le dire ! Non, vraiment, aucun caractère d’évidence dans ce message. Ah, si on pouvait photographier l’ange ! Ah, si l’on pouvait entendre les étoiles ! Ah, si ce bébé n’avait pas eu la même tête, les mêmes langes, que tout le monde ! Mais non. Ce n’est ni de la mythologie ni de la politique. C’est un mystère qu’il faut pourtant répéter à tout le monde, justement, à ceux qui ressemblent à ce bébé-là : « C’est le Christ, le Seigneur », c’est « un Sauveur qui est né pour vous ».

 

Un Sauveur. Parce que tu as besoin d’être sauvé, de trouver un sens à ta vie en dehors de toi. Parce que Dieu se préoccupe de toi, qu’il t’aime, qu’il a tout donné pour toi, pour que tu ne te perdes pas dans les ténèbres, pour que tu aperçoives la lumière qui t’inondera de joie…

Un Sauveur pour toi. Voilà l’Evangile de Noël. Peut-être vous est-il déjà arrivé que brusquement, à l’occasion d’un événement extraordinaire ou anodin, la logique de votre vie s’impose à vous, et vous réalisez que cette vie ressemble un peu à une course en haute montagne.

Mais une course folle, sans fin : « toujours plus haut, dans l’escalade du ciel ! ».Le ciel, c’est ce qu’on appelle le bonheur en langage courant.

Les symptômes de cette folie sont variés. En voici une liste indicative :

– attrait du pouvoir,

– orgueil de la réussite,

– recherche effrénée de la jouissance,

– colère à la moindre contrariété,

– besoin impératif de remplir immédiatement tout espace vide par de la nourriture, de la musique, des paroles, du travail, des loisirs…

– élucubrations intellectuelles, avec toutes sortes de spéculations philosophiques ou théologiques…

 

Chacun peut compléter cette liste pour lui-même, repérer quelles voies l’ascension du ciel emprunte dans sa propre vie, et quelles sont les drogues qui lui donnent l’illusion d’y arriver. Et vous découvrirez peut-être que, là même où vous vous croyez le meilleur des hommes, dans vos engagements religieux ou humanitaires, dans ce qui fait de vous un homme de bien, là aussi, c’est encore et toujours cette folie qui est à l’œuvre : escalader le ciel. Donner un ciel, c’est-à-dire un sens à ma vie. Maladie mortelle, car « tôt ou tard, tu te casseras le cou ! » comme l’écrit Martin Luther.

Dieu loge dans une crèche à Bethléem ; il n’habite pas le ciel de ton imagination.

Il s’offre à tes yeux pendu sur une croix, à Jérusalem ; il s’offre à ton écoute dans les mots de l’Evangile ; il s’offre à ta bouche dans le pain et le vin de la Cène.

Il ne te dit pas : « Monte vers moi ! » ; il descend vers toi.

Car il faut bien faire résonner l’Evangile, la bonne nouvelle de Noël :

« N’escalade pas le ciel, car le ciel descend pour toi.

Ne cherche pas à atteindre le bonheur, car le bonheur s’est offert gratuitement, ici et maintenant ».

C’est tout. C’est presque rien : la naissance d’un enfant dans des conditions précaires. Une scène malheureusement trop ordinaire pour ces pauvres bergers. Et cela se déroule tout près de là : à Bethléem. Et pourtant, à cause de ces mots qui leur ont été donnés, cet enfant-là, avec ses langes, c’est celui en qui ces bergers reconnaissent ce jour-là leur bonheur. L’impossible concert, dont nous rêvons tous, est devenu réalité l’espace d’un instant, et la réalité tristounette de cet enfant qui naît juste au mauvais moment, cette réalité-là devient leur bonheur, pour l’éternité.

Bethléem, c’est tout près. Ce n’est pas au-delà des mers. Ne réserve pas ton billet d’avion.

Bethléem, c’est ici et maintenant, partout où résonne ce nom : dans les temples, les églises, dans les foyers où l’on ouvre la Bible, Bethléem, c’est cette Parole qui t’est offerte. Presque rien : des mots qui disparaissent aussi vite qu’ils sont prononcés. Mais cette Parole n’est pas dans le ciel. Tu n’as pas besoin de te décarcasser et de courir de-ci de-là. Elle est là, tout près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur. C’est la Parole de la foi que tu entends à cette heure.

Bethléem, pour toi, c’est ici et maintenant, qui que tu sois, quoi que tu aies fait, quoi que tu penses de toi-même : « Il vous est né un sauveur ». C’est pour toi qu’il est né ; c’est en toi qu’il est en train de naître, aussi réel et aussi proche de toi… que votre café ou votre pain de ce matin.

Sais-tu ce que veut dire ce nom « Bethléem » ? Il signifie : « la maison du pain » !

Alors, « mon cher – comme l’écrit Martin Luther -, pour reconnaître Dieu, tiens t’en à la crèche. N’escalade pas le ciel : va d’abord à Bethléem ».

Amen

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