« Les Actes de l’Esprit »

Les Actes des apôtres ou : « Le coup du Saint-Esprit ! »

Frères et sœurs, l’appellation « Actes des apôtres » semble logique pour désigner le cinquième livre du Nouveau Testament car il s’agit effectivement du récit de la façon dont les disciples de Jésus, après son Ascension, « continuent » son enseignement, le prolongent, en répandant à leur tour la Bonne Nouvelle.

Pourtant lorsqu’on lit ce livre on s’aperçoit vite qu’il devrait plutôt s’intituler les « Actes de l’Esprit », puisque c’est l’Esprit qui apparaît comme le protagoniste principal, comme l’acteur principal, celui sans qui rien ne se ferait, c’est lui qui bouge les gens, les met en mouvement, les envoie, c’est l’Esprit qui suscite et oriente la mission.

Et c’est exactement ce qui se passe dans notre récit de ce matin, avec Philippe.

Lecture dans le livre des Actes des apôtres, chapitre 8, versets 26 à 40

 

Frères et sœurs,

Initialement Philippe était un diacre, c’est à dire quelqu’un chargé du service des tables. En effet la communauté ayant pris de l’importance, il devient nécessaire en plus de l’organisation de l’annonce de la parole, de la prédication de l’Évangile, de gérer la logistique, de gérer le quotidien matériel.

Car comme on le sait c’est de ce côté-là que les choses peuvent vite tourner au vinaigre et empoisonner sérieusement les relations au sein d’une communauté.

Et comme les apôtres, nous dit le livre, ne se sentant pas appelés à ce genre de missions, à ce genre de préoccupations, ils organisent l’institution des diacres.

L’annonce de l’Évangile, l’enseignement de la Parole pour les apôtres et le service des tables pour les diacres : voilà la division du travail que la première communauté met en place en son sein.

Mais tout cela était sans compter l’intervention perturbatrice de l’Esprit qui va tout bousculer.

Philippe va bel et bien être envoyé par l’Esprit pour prêcher, pour annoncer, pour enseigner la parole même si son ministère, même si sa mission première n’était en principe pas celle-là.

L’Esprit chamboule donc la division du travail mise en place par l’humain.
Et c’est peut-être une question posée pour chacun et chacune d’entre nous ce matin : l’Esprit ne nous envoie-t-il pas, ne cherche-t-il jamais à nous envoyer faire autre chose que ce pour quoi on se croit fait ?

La vocation, ce que l’Esprit nous invite à faire, est-elle forcément un prolongement de ce qu’on est, de ce qu’on a toujours fait, de ce pourquoi on croit avoir été fait ou peut-elle ouvrir des perspectives nouvelles, inattendues et inouïes ?

 

Certes les compétences existent, certes les accointances existent, certes il faut toujours chercher des profils adaptés pour telle ou telle fonction, mais l’Esprit peut parfaitement nous révéler des vocations dont nous ignorions tous, ni plus ni moins que des talents à faire fructifier.

Lorsqu’on lit attentivement le récit on voit également que l’Esprit ne transforme pas Philippe en illuminé qui s’autoproclamerait apôtre, qui prétendrait être ce qu’il n’est pas ou avoir ce qu’il n’a pas.

L’esprit ne transforme pas quelqu’un en médecin ou en mécanicien comme ça d’un coup de baguette magique alors que ce quelqu’un n’a absolument aucune compétence, aucune connaissance : sinon bonjour les dégâts !

Personnellement je n’irai pas faire vérifier les freins de ma voiture par quelqu’un qui me dirait « l’Esprit m’a dit que je devais réparer ta voiture », faudrait être fou !

Dans notre récit, en revanche, Philippe a indiscutablement de réelles compétences pour annoncer l’Évangile à l’homme éthiopien (l’eunuque), même si, encore une fois, ce n’était pas son travail, même si, encore une fois, ce n’était pas sa fonction.

L’eunuque est un haut fonctionnaire, c’est donc quelqu’un qui a une solide instruction, on ne risque pas de l’embobiner avec quelques slogans approximatifs d’illuminés. Et il est vraisemblable que si l’eunuque avait eu l’impression d’être avec un tel illuminé il l’aurait tout de suite fait descendre de son char pour pouvoir être au calme et se concentrer sur ce passage d’Esaïe qui décidément le travaille et l’interroge.

Au contraire, Philippe fait preuve de retenue, il ne lui saute pas dessus en cherchant à tout prix à lui refourguer ses convictions et à lui refiler ses explications.

Au contraire il se propose de l’écouter et lui pose une question simple : « Comprends-tu ce que tu lis ? ».

S’il lui avait dit « ah tu lis ça ?!! j’adore !!, je vais tout t’expliquer et blablabla et blablabla » l’eunuque aurait surtout cherché à faire cesser son piaillement en le débarquant au plus vite.

Ce qui interroge l’eunuque, ce qui le questionne, ce ne sont pas de grands discours bien ficelés, ce ne sont pas de grandes convictions bien formulées, c’est la parole étrange étonnante, incompréhensible, qui témoigne de l’abaissement consenti de quelqu’un.

L’eunuque est un personnage très important qui exerce les plus hautes fonctions, il est profondément troublé et questionné par cet abaissement dont parle Esaïe qui est à la fois au plus lointain et au plus proche de sa propre existence.

Cet abaissement est au plus lointain de lui parce qu’il n’est pas envisageable que quelqu’un de haut rang se drape de faiblesse et s’abaisse, mais en même temps il lui est proche parce que quelqu’un qui exerce de hautes fonctions, avec l’expérience finit par comprendre que la gloire qui fait tant rêver les hommes n’apporte rien, sinon bien souvent le malheur individuel et collectif.

Et il sait très bien qu’une société court à sa perte d’autant plus vite qu’elle refuse de consentir à des renoncements, à des sacrifices, pour ne vivre aveuglément que l’ivresse présente du toujours plus.

Et c’est pourquoi lorsqu’il demande à Philippe « je te prie, de qui le prophète dit-il cela ? De lui-même, ou de quelqu’un d’autre? » il exprime une interrogation à partir de son expérience, à partir de son existence.

Cela démontre que si Philippe n’était pas à sa place humaine de diacre en allant prêcher l’Évangile alors que ce n’était pas son boulot, il n’était pas pour autant un simple illuminé puisqu’il avait suffisamment de connaissance, de compétence et de sensibilité pour discuter avec ce haut fonctionnaire et partager avec lui ce qui le travaille.

Et cela démontre sa très grande capacité à annoncer l’Évangile : annoncer l’Évangile à quelqu’un, à un seul est souvent bien plus subtil, bien plus délicat que de l’annoncer à des foules, à des groupes.
Annoncer à des foules il y a toujours cet effet de foule, cette identification individuelle avec la masse, cette exaltation collective, c’est pourquoi je soutiens qu’il est bien plus subtil de l’annoncer à un seul.

Philippe nous montre que pour annoncer il faut également savoir se taire. Savoir se taire pour laisser de la place, de la place pour lui et sa parole, de la place pour ses questions, de la place pour un cheminement et toute une existence, et de la place pour l’Esprit.

Et moi j’aime bien cette prédication de Philippe, cette prédication non prévue par l’organisation.
Parce que peut-être que si Philippe parle si bien à l’eunuque c’est justement parce qu’il a été au service des tables et pas apôtres. En effet les apôtres ont l’habitude des discours très construits, très élaborés, ils parlent aux foules et les foules les écoutent, comme des chefs, comme des têtes.

On ne voit qu’eux, on n’entend qu’eux, et les gens deviennent eux, deviennent comme eux.

Quelqu’un qui sert à table ne parle pas. C’est même le contraire puisqu’il écoute. Il écoute ce qu’on lui commande, il écoute ce qui se dit, parfois il essuie la mauvaise humeur et l’empressement.

Et c’est en fonction de tout cela qu’il gère son service en apportant ce qu’il faut et en cherchant discrètement mais opiniâtrement à ce que tout se passe pour le mieux.

Autrement dit, cette capacité à écouter l’eunuque, à lui laisser la place nécessaire sans le gaver, sans le soûler, sans l’étouffer avec son propre enthousiasme, c’est très certainement au service des tables qu’il l’a appris.

De la même manière, c’est là qu’il a appris à s’effacer comme tout serviteur inutile.

 

Frères et sœurs,

L’eunuque est baptisé. Il n’y a pas la cathédrale à laquelle son rang aurait pu prétendre, il n’y a pas de foule, il n’y a pas de registre de baptême.

Le baptême est simplement le signe, le sceau, que l’eunuque a compris que cette Parole qu’on lui a donnée, qu’on lui a servie, cette Parole est désormais la sienne.

Il se sait désormais fils de Dieu comme Philippe, comme les apôtres, comme toutes celles et tous ceux qui croient.

Il n’a plus besoin de Philippe, la joie d’un excellent service a pris sa place.

 

 

Frères et sœurs c’est l’histoire d’un acte de l’Esprit, un parmi d’autres, il est si singulier, si unique, qu’il a le pouvoir de parler à beaucoup.

 

 

Prions,

Dieu fidèle,
Tu nous invites à trouver en ton Eglise la maison où tu dresses la table et où chacun trouve sa place.
Que ta Parole fasse grandir en nous la foi, et nous incite à aller au devant de quiconque désire venir vers toi.
Par Jésus-Christ, ton Fils, notre Seigneur.
Amen

 

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