Lecture Biblique : Marc 16, 1-8
Prédication
Chers frères et sœurs, l’Evangile que l’Eglise nous donne pour Pâques, est particulièrement troublant. En effet, on nous y annonce que Jésus de Nazareth, crucifié sur le Mont Golgotha le vendredi, est désormais, ce dimanche, ressuscité ! Quelle annonce prodigieuse ! Que d’espérance, que de joie, quelle victoire ! Une victoire sur la mort, une victoire sur l’injustice de la condamnation, une victoire pour les disciples qui avait cru tout perdre avec la disparition de leur maître bien-aimé ! Une victoire et pourtant… Devant cette annonce, la réaction des femmes est à l’opposé d’un cri de joie, d’une exclamation triomphante. L’Evangile dit : Elles furent épouvantées puis Elles sortirent du tombeau et s’enfuirent tremblantes et hors d’elles-mêmes mais elles ne dirent rien à personne à cause de leur effroi. Et ce paradoxe, victoire d’un côté, effroi et peur de l’autre, ce paradoxe s’intensifie quand on pense qu’il s’agit là du dernier verset de l’Evangile de Marc. En effet, les versets 9 à 20 ont été ajoutés après coup à l’Evangile de Marc, précisément devant la difficulté d’un tel paradoxe ! Rendez-vous compte : l’Evangile de Jésus-Christ est fondamentalement une bonne nouvelle, une Parole de vie qui nous relève, nous remet debout, nous lance dans une vie nouvelle… et voilà qu’un évangile se clôt sur la peur, l’épouvante, l’effroi, le silente, la fuite. On ne peut finir comme cela un Evangile – on ne le peut ! – sauf si l’on veut nous conduire à une méditation bien précise. Sauf si l’on veut que le lecteur s’arrête précisément sur ce paradoxe pour en comprendre l’enjeu. Ce n’est pas par hasard en effet que Marc a choisi de clore ainsi son évangile. Il nous faut alors chercher les causes profondes de cet effroi, il nous faut comprendre la raison de cette stupeur, il nous faut saisir l’enjeu spirituel de ces quelques versets.
Alors comment expliquer que devant une annonce joyeuse, victorieuse et triomphante – vous chercher Jésus de Nazareth, le crucifié ; il est ressuscité – les femmes soient effrayées ? Une piste possible consisterait à revenir à l’Evangile de Marc et aux paroles du Christ lui-même pour trouver la cause profonde de l’émoi, de la stupeur et de la fuite des femmes. Les femmes sont des disciples à part entière dans l’Evangile, elles ont donc suivi le Christ et écouté ses paroles comme les apôtres. Or, justement, écoutons les prédictions que Jésus a lui-même faites à ses disciples sur les derniers temps, sur les évènements à venir, à propos de la période qui suivrait sa résurrection. Dans l’Evangile de Marc au chapitre 13, Jésus déclare à propos de « l’après-résurrection » : Prenez garde à vous-mêmes ; on vous livrera aux tribunaux et vous serez battus de verges dans les synagogues ; vous comparaîtrez devant les gouverneurs et devant les rois, à cause de moi, pour leur servir de témoignage (Marc 13, 9). Si les femmes avaient à l’esprit les paroles du Christ que nous venons de lire, l’annonce de la résurrection n’est donc plus l’annonce d’une victoire présente du Christ mais aussi l’annonce des persécutions, des épreuves, des tribulations à venir pour tous ceux qui témoigneront de lui. Or l’ange demande précisément aux femmes d’être l’élément déclencheur de ce témoignage : il est ressuscité […] allez dire à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède en Galilée. A la joie se mêle alors l’appréhension… Que faut-il préférer entre la tristesse du deuil du Crucifié et le tourment lié au témoignage rendu au Ressuscité ? Nous n’aurions pas non plus, je crois, sauté de joie sur les chemins de Galilée. Du point de vue humain, la fuite s’impose. Elles sortirent du tombeau et s’enfuirent tremblantes mais elles ne dirent rien à personne à cause de leur effroi.
Pourquoi finir ainsi l’Evangile ? Pour rappeler à une communauté touchée par les difficultés qu’elle ne subsiste pas grâce à la force de quelques héros des premiers temps. Les autres évangiles ne sont pas plus tendres à l’égard des hommes qui sont terrés dans une maison, également tremblant, tout aussi pris de doute. Il fallait que les femmes s’enfuient d’abord avant qu’elles ne témoignent, car elles ont fini par témoigner, comme il fallait que Pierre renie d’abord avant qu’il ne prêche car il fallait que soit inscrite dans la Parole de Dieu cette vérité : l’homme ne peut affronter avec ses propres forces l’épreuve de la foi.
Qu’étaient venues faire les femmes au tombeau ? Tout simplement affronter une des épreuves de la vie : elles étaient venues faire le deuil d’un être cher. Comme cela nous arrive aussi. Et pour cela, elles avaient en effet des ressources puisées dans leur culture et leur religion : elles viennent embaumer Jésus et, probablement, réciter quelques prières pour se recueillir. On embaume le corps pour conserver l’être cher près de nous un peu plus longtemps, pour avoir le temps de dire au revoir, on se rassemble autour de la tombe pour manifester que l’amour demeure malgré l’absence et l’on y prie pour balbutier l’espoir d’une nouvelle rencontre. A chacune des épreuves de notre vie, nous avons des ressources : nous traversons ainsi nos peines et nos joies, de la naissance à la mort. Nous savons faire la fête pour une naissance, une réussite scolaire ou une réussite professionnelle, nous savons épauler un ami ou une amie lors d’une séparation, nous savons endurer une passe difficile dans un couple ou dans la relation parents-enfants etc. Nous avons des habitudes, des coutumes, des mécanismes pour affronter les épreuves de la vie. C’est ce que désignent les aromates que les femmes apportent au tombeau. Notons d’ailleurs que pour nous, chrétiens, la religion est d’un grand secours face aux épreuves de la vie : baptême, catéchisme, confirmation, mariage, décès, notre religion nous fournit des ressources extrêmement précieuses pour les épreuves de la vie.
Mais voilà, les épreuves de la vie ne sont pas l’épreuve de la foi. Et c’est ce que vont découvrir les femmes. Venant faire le deuil, elles doivent subitement annoncer la vie. Connaissant le lieu où repose une dépouille immobile, elles doivent partir à la recherche d’un vivant en mouvement, sur les chemins, et annoncer aux disciples la Résurrection. L’épreuve change de nature : il ne s’agit plus d’une épreuve de la vie quotidienne, il s’agit de l’épreuve de la foi. Et devant cette épreuve, les disciples, femmes incluses, manifestent toujours peur, crainte, incompréhension, refus, rejet. Expliquons ce point.
Dans l’Evangile de Marc, il y a un motif littéraire et spirituel très important qu’on appelle le « secret messianique ». Marc recule en effet au maximum l’annonce selon laquelle Jésus de Nazareth est le Messie tant attendu. A chaque fois qu’un démon ou qu’un disciple l’affirme, Jésus lui ordonne de se taire. Pourquoi ? Parce que le Messie que les hommes veulent et le Messie que Dieu envoie n’est pas le même. Les Juifs du 1er siècle, pour une large part, attendaient un Messie qui soit un roi temporel qui aura vocation, comme le roi David, de conduire le peuple d’Israël à la liberté politique : David a délivré les Israélites des Philistins, le Messie délivrera les Juifs des Romains. Un Messie qui annonce qu’il faut aimer ses ennemis et qui finit cloué sur une Croix ne correspond pas du tout à cette attente. L’idée d’un royaume des cieux, sous-entendu un royaume spirituel et non temporel, ne va pas non plus. Il faut donc orienter le regard vers la Passion et vers la Croix pour comprendre ce que veut dire « Jésus de Nazareth est le Messie ». Autrement on s’imagine que Jésus va régner politiquement sur Israël. Pensez à l’ironie de la plaque surplombant la Croix : « le roi des Juifs ». Sommet de l’incompréhension. Car roi il l’est mais pas un roi comme les hommes le veulent. En fait, les Juifs de ce temps étaient comme nous : ils voyaient dans la religion une ressource pour affronter les épreuves de la vie. Leur peuple doit affronter une terrible épreuve : une domination politique, une occupation étrangère. Il faut donc que Dieu les assiste dans cette épreuve et les délivre. Mais il nous faut noter ceci : si le problème consiste pour Israël à acquérir une indépendance politique, en quoi cette épreuve nationale diffère des épreuves que connaissent tous les autres peuples ? Il s’agit, et c’est légitime bien sûr, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, rien de plus. Quelle est l’épreuve que Dieu a voulu faire subir à son peuple ? Elle est tout autre. Retournons au désert de l’Exode, les Hébreux ont fuit l’Egypte sous la conduite de Moïse et reçoivent la Loi au Mont Sinaï puis, ils errent quarante longues années dans le désert : Dieu n’a pas voulu en premier lieu l’indépendance politique du peuple car il fallait d’abord que les hébreux apprennent à être un peuple qui suit Dieu. Un peuple qui tire sa vie, son unité et sa force de Dieu. Voilà l’épreuve de la foi : vivre sa vie à la suite du Dieu qui nous conduit. C’est-à-dire, nous y reviendrons, adopter les fins, les buts, la direction que Dieu nous propose. Cette épreuve est bien différente des épreuves de la vie. Et cette épreuve ne peut être traversée par des moyens humains.
Les femmes sont donc face à l’épreuve de la foi alors même qu’elles pensaient traverser une des épreuves de la vie. Et remarquez-le, leurs propres ressources symbolisées par les aromates et la visite au tombeau ne sont d’aucun secours pour affronter l’épreuve de la foi : il n’y pas de corps à embaumer et le tombeau est vide. L’homme ne peut vivre selon Dieu par ses propres forces. Mais il s’imagine devoir le faire. Et c’est pour cela que nous nous effrayons que nous reculons, je dis « nous » parce que les femmes c’est nous évidemment. Précisons alors ce que nous entendons par l’épreuve de la foi. L’épreuve de la foi, c’est précisément la nécessité de reconnaître notre incapacité à accomplir ce que Dieu nous demande et donc nous en remettre totalement à lui par la foi. C’est, en un mot, faire une confiance absolue à Dieu, c’est s’en remettre à lui pour sa vie. Mais s’en remettre à Dieu ce n’est pas demander à Dieu de nous aider dans notre vie quotidienne au sens où nous aurions notre vie quotidienne indépendante de Dieu, au sein de laquelle nous fixerions nous-mêmes nos buts, nos projets, notre direction, puis nous demanderions à Dieu de nous aider et de nous épauler pour réaliser la vie que nous avons choisie. Non, s’en remettre à Dieu c’est adopter le projet de Dieu pour nos vies comme notre projet. C’est accepter que Dieu oriente lui-même notre vie. Dans le cas des femmes, c’est accepter d’aller témoigner de la Résurrection alors même que cela bouleversera certainement la vie qu’elles avaient décidée pour elles-mêmes. Pour les Hébreux c’est accepter de vivre selon la Loi de Dieu et non plus selon leur propre désir. Or adopter les fins de Dieu pour nos propres fins, c’est justement cela le combat spirituel. Cette épreuve fait forcément jaillir en nous peur, épouvante, tremblement, fuite.
Que faire alors ? L’Evangile de ce jour vise-t-il à nous terrasser en montrant la fuite des femmes comme une fatalité ? Bien sûr que non ! Un verset, niché au milieu de la tourmente, doit être entendu, il nous est adressé : Ne vous épouvantez pas […] [Jésus] vous précède en Galilée. Au nom de quoi l’ange peut-il dire « ne vous épouvantez pas » si précisément nous n’avons pas les ressources de nous en remettre à Dieu ? Parce que Jésus nous précède sur le chemin de l’épreuve de la foi. Revenons en effet au vendredi saint, au jardin de Gethsémané et voyons le Christ lui-même ployer sous l’épreuve de la foi : Jésus commença à être saisi d’effroi et d’angoisse. Il leur dit : Mon âme est triste jusqu’à la mort ; […] Puis il s’avança un peu, se jeta contre terre et pria que, s’il était possible, cette heure s’éloigne de lui. Abba, Père, toutes choses te sont possibles, éloigne de moi cette coupe (Marc 14). Voilà l’homme Jésus pris d’épouvante devant le projet de Dieu pour sa vie : comment accepter la crucifixion ? L’homme Jésus n’a pas les forces suffisantes alors il crie pour être délivré de cela. Mais sa prière se poursuit : Toutefois non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. Voilà l’homme Jésus qui s’en remet entièrement à la volonté de son Père, quoi qu’il advienne de lui. Jésus est lui-même passé par cette terrible épreuve, Jésus lui-même a dû abdiquer sa force et s’en remettre à Dieu. Jésus nous précède sur ce chemin, il a ouvert la voie. Il nous rend capable, en l’ayant vécu et en nous donnant les mots pour notre prière, d’emprunter son chemin.
Deux choses encore. Premièrement, l’épreuve de la foi ainsi présentée n’est qu’un horizon sombre et terrible : Jésus doit accepter la mort, les femmes et les apôtres les persécutions à venir, les Hébreux l’errance du Désert. Deuxièmement, on a l’impression que la foi s’oppose à la vie quotidienne si l’on distingue l’épreuve de la foi d’un côté et les épreuves de la vie de l’autre. Que dire alors ? D’abord, le Christ est ressuscité, les apôtres ont changé la face du monde, les Hébreux ont habité la Terre promise. L’épreuve, et c’est Pâques qui nous l’apprend le mieux, est toute entière ordonnée et orientée vers la victoire. L’épreuve de la foi si elle peut terrifier en apparence est en réalité une lumière incomparable, une force vive, une source de vie pour nous. S’en remettre à Dieu, laisser sa vie être conduite par le Dieu de Jésus-Christ c’est trouver le bonheur. Il n’est pas de plus grande joie, quelles que soient les difficultés, que de marcher à la suite du Dieu d’amour. Ensuite, l’épreuve de la foi ne conduit pas à écarter la vie quotidienne mais à la retrouver par un chemin détourné. Ecoutons l’Ecriture : Chercher premièrement le royaume Dieu et sa justice et toutes choses vont seront données en plus (Matthieu 6, 33). S’en remettre à Dieu pour sa vie, ne vivre que de la force que Dieu donne ce n’est pas oublier sa vie d’homme, notre vie quotidienne. Mais c’est redéfinir l’essentiel. Vivre pour Dieu dans l’amour des hommes. Vivre d’abord pour cela et non pour la réussite, le bien-être, la situation sociale, les honneurs, la puissance. Si nous nous donnons à Dieu à la suite du Christ, Dieu marchera à nos côtés y compris dans les épreuves de la vie, y compris lorsque nous accueillerons une naissance, que nous subirons une maladie, que nous nous réjouirons d’une réussite, que nous serons devant la fin de notre existence ou celle d’un proche. Mais Dieu ne sera pas pour nous un moyen de vivre une vie sur laquelle il n’a pas de prise. Au contraire, Il sera Celui qui la conduira, l’orientera. Précisons d’ailleurs que chacun d’entre nous doit, en sondant les Ecritures, en priant, discerner ce que Dieu veut de lui. Il s’agit avant tout d’une rencontre, pas de l’application d’un plan abstrait. Relisons l’histoire d’Abraham.
Voilà chers frères et sœurs, le combat spirituel que les femmes ont dû mener : accepter de vivre la vie que Dieu a préparée pour elles en dépendant uniquement de la force qu’il donne. Voilà chers frères et sœurs que nous sommes en cette fête de Pâques devant ce même combat spirituel, devant l’épreuve de la foi. Si nous sommes poussés à fuir comme les femmes, que cette fuite ne soit pas le dernier mot de notre vie. Laissons-nous transformer par la vie qui vient de Dieu, allons trouver le Christ qui nous précède, marchons vers notre propre résurrection à la suite du Christ. Donnons-nous à Dieu. C’est la seule véritable joie, la seule véritable victoire, le véritable essentiel pour nos vies.
Ne vous épouvantez pas, notre Seigneur nous précède dans l’épreuve de la foi, et il nous en montre l’aboutissement : la vie, la victoire, la résurrection, l’amour.
Que Dieu nous vienne en aide. Amen !
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