Faut-il fêter le dimanche des Rameaux ?

Lecture Biblique : Marc 11, 1-11

 

Prédication

Nous sommes donc le dimanche des « Rameaux ». C’est un jour tellement  important que la tradition chrétienne en a fait une fête, avec toutes les ambiguïtés qui accompagnent ce genre de sacralisation. Allez faire un tour sur wikipedia, vous serez édifiés par les traditions liées à cette fête !

 

J’avais imaginé descendre de la chaire et demander à l’un ou l’une d’entre vous de nous raconter l’entrée de Jésus à Jérusalem. Seules les contraintes techniques m’ont freiné dans ce projet, car il aurait été difficile que nos amis internautes qui suivent ce culte puissent bénéficier pleinement de ce récit, sur le vif.

Mais, bien sûr sans tricher en prenant une Bible devant vous, ou sans vous glorifier si vous avez suivi l’étude biblique de jeudi dernier, réunissez vos souvenirs

C’a y-est ! Vous visualisez l’épisode… alors écoutez le récit qu’en fait l’évangéliste Marc (chapitre 11, versets 1 à 11)

1 Quand ils approchèrent de Jérusalem, près des villages de Bethfagé et de Béthanie, ils arrivèrent au mont des Oliviers. Jésus envoya en avant deux de ses disciples : 

2 « Allez au village qui est là devant vous, leur dit-il. Dès que vous y serez arrivés, vous trouverez un petit âne attaché, sur lequel personne ne s’est encore assis. Détachez-le et amenez-le-moi. 

3 Et si quelqu’un vous demande : “Pourquoi faites-vous cela ? ”, dites-lui : “Le Seigneur en a besoin, mais il le renverra ici sans tarder.”  »

4 Ils partirent donc et trouvèrent un âne dehors, dans la rue, attaché à la porte d’une maison. Ils le détachèrent. 

5 Quelques-uns de ceux qui se trouvaient là leur demandèrent : « Que faites-vous ? Pourquoi détachez-vous cet ânon ? » 

6 Ils leur répondirent ce que Jésus avait dit, et on les laissa aller. 

7 Ils amenèrent l’ânon à Jésus ; ils posèrent leurs manteaux sur l’animal, et Jésus s’assit dessus. 

8 Beaucoup de gens étendirent leurs manteaux sur le chemin, et d’autres y mirent des branches vertes qu’ils avaient coupées dans la campagne. 

9 Ceux qui marchaient devant Jésus et ceux qui le suivaient criaient : « Gloire à Dieu ! Que Dieu bénisse celui qui vient au nom du Seigneur ! 

10 Que Dieu bénisse le royaume qui vient, le royaume de David notre père ! Gloire à Dieu dans les cieux ! » 

11 Jésus entra dans Jérusalem et se rendit dans le temple. Après avoir tout regardé autour de lui, il partit pour Béthanie avec les douze disciples, car il était déjà tard.

 

Où est l’entrée triomphale du messie à Jérusalem ? Où est l’ânesse accompagnée de son ânon comme l’avait prophétisé Zacharie ? Où sont les foules en liesse couvrant le chemin de rameaux ou de palmes ?  Où est la joie patriotique qui s’empare de la ville ? Où est le récit des vendeurs chassés du Temple ? (Ce dernier point pour les plus compétents d’entre vous !).
La réponse : Chez l’évangéliste Matthieu ou chez Jean.

Chez Marc, on est tout en retenue. C’est un événement qui n’a pas fait beaucoup de bruit. Pas de quoi en faire une grande fête…. et pourtant !

 

Avant d’aller plus loin, juste un mot sur l’évangéliste Luc pour que vous ne soyez pas frustés. Lui non plus n’en fait pas une manifestation populaire, encore moins que Marc. Seuls les disciples étendent leurs manteaux sur le chemin, manifestent leur joie et font entendre leurs louanges ; suffisamment quand même pour que des pharisiens le fassent remarquer à Jésus qui leur répond : «  Je vous le déclare, s’ils se taisent, les pierres crieront !».

 

Mais revenons à Marc. N’est-ce alors qu’un récit de transition entre deux grandes parties de l’évangile ; celle de la montée vers Jérusalem inaugurée par la transfiguration, la montée vers les souffrances qui attendent Jésus, trois fois annoncées aux disciples mais restées incomprises ; et la partie suivante, les trois jours qui précèdent la passion. Ce récit ne serait qu’une grande respiration joyeuse avant d’entrer dans le drame ? Il est beaucoup plus que cela. Je vous donne trois pistes.

Oui, Jésus est le messie. Il le reconnaît. Oui, il répond aux attentes de beaucoup.

Oui, ce récit est pour nous.

 

Oui, Jésus est le messie. Il le reconnaît.

Ce n’est pas parce que l’évangéliste fait un récit de l’entrée à Jérusalem tout en réserve qu’il ne la lit pas comme une entrée messianique. Les détails ne trompent pas et notamment le choix d’un ânon. C’est non seulement, explicitement, une référence au texte du prophète Zacharie : « Eclate de joie, Jérusalem ! Crie de bonheur, ville de Sion ! Regarde, ton roi vient à toi, juste et victorieux, humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse. ». Mais en citant les acclamations de ceux qui marchaient devant Jésus et ceux qui le suivaient Marc complète la signification de la venue du Messie. « Que Dieu bénisse le règne qui vient, le règne de David notre Père.»  Et il se réfère, en cela, à la suite du texte du prophète Zacharie : «  A Ephraïm, il supprimera les chars de combat et les chevaux, à Jérusalem ; il brisera les arcs de guerre. Il établira la paix parmi les pays ; il sera le maître d’une mer à l’autre, depuis l’Euphrate jusqu’au bout du monde. » » Marc souligne que cette entrée messianique à un sens qui va bien au-delà des temps présents. Il lui donne une couleur eschatologique. Il tourne nos regards vers l’après Pâques, et vers la fin des temps quand tout sera récapitulé  dans la paix de Dieu, inaugurée par la venue du Messie.

Pour la première fois Jésus reconnaît qu’il est le Messie.

Non seulement, c’est lui qui a demandé aux deux disciples d’aller chercher un petit âne, mais il accepte sans rechigner l’acclamation des disciples et des gens qui marchent avec eux.

Toutefois, en supprimant de cette journée le récit des vendeurs chassés du Temple et en la terminant de manière abrupte... « Jésus entra à Jérusalem dans le temple. Après avoir tout regardé autour de lui, il partit pour Béthanie avec les douze disciples, car il était déjà tard », Marc nous amène à regarder plus loin, au-delà de cette journée, et même au-delà de la croix et du tombeau vide.

Le récit de Marc est probablement celui qui est le plus proche des événements tels qu’ils se sont produits. Il est pour le moins cohérent avec ce Jésus qui trois fois a annoncé sa mort et sa résurrection. Jésus reconnaît qu’il est le messie, celui qui va inaugurer des temps nouveaux, mais il sait aussi la distance qu’il peut y avoir entre « faire la volonté de son Père » et « répondre aux attentes du peuple ». C’est probablement cette distance que soulignent les récits de Matthieu et de Jean dont l’entrée triomphale, portée par les foules en liesse, contraste cruellement avec le « Crucifie-le ! » crié peu de jours après par les mêmes foules à Pilate qui proposait de libérer Jésus.

Marc évite de faire des foules les acteurs ou spectateurs de cette entrée messianique. Il a les disciples et  « beaucoup de gens ».


Parlons, précisément, de ces témoins.

Qu’attendaient-ils ? Qu’espéraient-ils ?

C’est Jésus qui les a, en quelque sorte, provoqués ! En demandant à deux disciples d’aller chercher cet ânon, voilà que l’espérance messianique peut s’exprimer. Est-il le nouvel Elie, attendu ? Le prophète espéré qui annonce les temps nouveaux ? Voyait-on vraiment en lui le Messie ? Allait-il libérer son peuple ? Il est probable que chacun interprétait à sa manière le signe que Jésus leur donnait ? Mais peu importe. Les disciples, et ceux qui les accompagnaient ont senti que quelque chose d’historique se produisait sous leurs yeux. Et leurs attentes confuses, ambigües, s’expriment dans leurs acclamations. Ils communient avec Jésus et Jésus se laisse porter par cette effervescence spontanée.

Il sait, lui, que cette entrée à Jérusalem est – excusez la formule – le commencement de la fin. Il sait qu’il n’est pas là pour prendre le pouvoir mais pour suivre le chemin de la volonté de son père. Mais pourquoi détromper ses disciples et ceux qui marchent avec eux. Comment comprendraient-ils, eux à qui il a déjà annoncé par trois fois le sens se sa montée à Jérusalem ?  Luc exprimera cela en disant qu’il pleure sur la ville en y entrant.

Marc nous fait le récit d’une entrée à Jérusalem, qui est bien l’entrée du Messie dans sa ville, mais qui est faite  autant de communion que d’incompréhension.

Communion de Jésus avec son peuple. C’est pour lui qu’il est venu. Communion du peuple avec Jésus. N’est-il pas celui que nous attendons ?  Incompréhension parce que le regard de Jésus porte bien au-delà du regard  de ceux qui l’acclament.

 

Et ce récit est donc pour nous, nous qui connaissons la suite de l’histoire.

Pour nous, bien sûr, la compréhension de ce que Jésus, le Christ, le Messie veut dire. C’est probablement le plus grand malentendu du discours chrétien concernant Jésus. Nous en parlons couramment comme Jésus Christ, oubliant de dire que l’appellation Christ est un titre et pas un nom de famille.

Je ne vous ferai pas l’injure de penser que vous ignorez que l’appellation Christ est la traduction en grec de l’hébreu Messie ; mais je vous rappelle quand même que ce titre est porteur de toute l’attente d’un roi ou d’un prophète sauveur – l’un et l’autre recevant l’onction d’huile désignant la fonction dont Dieu les investit. Parler du Messie c’est reconnaître que Dieu est à l’oeuvre pour apporter au monde le salut. L’entrée de Jésus à Jérusalem, comme Messie, est comme un nouveau passage de la mer rouge, une nouvelle création, une préfiguration de la résurrection. Oui des temps nouveaux s’ouvrent, mais avec une différence notable par rapport aux anciens rois et prophètes. Ici c’est Dieu lui-même en la personne de son Fils qui vient. Ce n’est pas un roi aux prétentions politiques conjoncturelles ; ce n’est pas un prophète ne faisant qu’annoncer le renversement des puissants, c’est le règne de Dieu qui vient, non comme les hommes en rêvent mais comme Dieu en a décidé.

Non comme les hommes en rêvent… De là, la trahison de Judas qui rêvait qu’il chasserait les romains… De là, la trahison de Pierre qui ne pouvait admettre qu’il soit arrêté pour être crucifié… De là, l’incompréhension de tous ceux qui accompagnaient cette entrée à Jérusalem. De là, notre probable incompréhension, à nous aujourd’hui qui n’avons même plus l’espérance messianique du peuple juif de l’époque et qui le plus souvent n’attendons rien, ou rien d’autre que notre salut personnel. Jésus, le messie, inaugure des temps nouveaux, même s’il sait que leur réalisation se passera autrement que Jérusalem les attendait.

 

Et pourtant, le récit manifeste cette attente et nous ne devrions pas la mépriser. Cette attente, telle qu’elle est exprimée par l’évangéliste Marc correspond peut-être plus justement que ce qu’en disent Matthieu ou Jean, avec ce que nous constatons en nous et autour de nous aujourd’hui.

Voici Jésus. Il est sur le chemin. Bien des témoignages ont précédé sa venue. Nul ne peut dire véritablement qui il est mais nombreux sont ceux qui sont prêts à faire route, un temps peut-être, avec lui, et se joindre aux témoins qui l’accompagnent. Ce ne sont pas des foules immenses. Mais un nombre significatif de personnes qui expriment une attente. Et Jésus est prêt à les accueillir dans sa marche.

Peut-être en êtes-vous, vous ce matin qui m’écoutez. La parole des chrétiens, des Eglises, aussi confuse soit-elle au sujet  de Jésus, le Christ, vous a donné le désir de faire un bout de route avec lui.

Et nous qui portons son nom, saurons-nous vous dire de venir marcher avec nous, d’entrer dans la communion de cet inconnu qui parlait du règne de Dieu comme aucun homme ne peut en parler ? Saurons-nous vous accueillir précisément parce que nous avons besoin de vous pour le mieux comprendre et l’acclamer ensemble ? Saurons-nous avec vous construire des lieux de communion dont il sera le centre ?

Nous entrons dans la semaine sainte essayant de comprendre pourquoi il a donné sa vie pour nous ? Pourquoi il n’a pas voulu se faire l’égal d’’un dieu mais c’est abaissé jusqu’à la mort infâme sur une croix ? Pourquoi, dans cet abaissement, il est reconnu comme le vrai visage de Dieu ?

Nous ne vous poserons pas de question pour savoir  pourquoi vous êtes là, si vous êtes de bons disciples… parce que c’est lui qui marche devant nous et qui nous accueille comme vous.

 

Faut-il fêter le dimanche des Rameaux ? Certes oui, s’il nous permet à nous chrétiens de nous replacer devant nos incompréhensions et de gouter la saveur de l’accueil de Jésus qui nous entraine vers le règne de Dieu. Certes oui, s’il nous permet d’accueillir tous ceux qui attendent, même confusément, quelque chose de lui. S’il nous dit, ce dimanche de la marche avec Jésus vers Jérusalem, que demain nous pourrons continuer de marcher avec lui.

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