Monsieur le pasteur, que faut-il faire pour connaître Dieu ? C’est une question que j’entends souvent comme pasteur, de la part de personnes « en recherche » comme on dit, mais aussi de la part de chrétiens baptisés et confirmés. Et bien souvent je me surprends à me la poser aussi.
Notons que la manière même de poser cette question est très révélatrice. Les mots que nous utilisons en disent long. Dans la question « Que faut-il faire pour connaître Dieu ?», il y a l’idée que la connaissance de Dieu dépendrait de notre capacité à « faire » quelque chose. Et ce « faire » résonne comme un impératif, c’est un « il faut ». Tout cela n’est-il pas, au fond, très révélateur de notre attitude quand nous pensons à Dieu ? Que nous le voulions ou non, que nous en soyons conscients ou non, à chaque fois que nous pensons à Dieu c’est toujours d’abord une idée de contrainte qui s’impose à notre esprit. Nous ne pouvons pas nous empêcher d’associer Dieu à une idée d’exigence morale ou religieuse à remplir sans faute. Se demander « Que faut-il faire pour connaître Dieu ? », c’est déjà faire de Dieu une sorte de récompense à atteindre par la force de nos mérites, par l’efficacité de notre sagesse ou par la perfection de notre obéissance. Comme si la connaissance de Dieu était à notre portée pourvu que nous en payions le prix. Comme si Dieu était au bout de nos efforts. Depuis des générations et des générations, que ce soit dans le christianisme ou en dehors du christianisme, on ne cesse de dresser des listes de choses à faire pour accéder à la connaissance de Dieu. Mais après tout, il n’y a pas de quoi s’étonner. Nous sommes éduqués depuis notre plus tendre enfance à dresser des listes en vue d’obtenir ce que nous convoitons – à commencer par la liste des cadeaux que nous demandons au père Noël, et que nous ne recevrons… que si nous sommes bien sages !
Cette logique est profondément ancrée en nous. Elle nous pousse à faire dépendre la connaissance de Dieu (et la vérité de notre vie) de notre capacité à réaliser quelque chose par nos propres forces. C’est la logique du « prends-toi en main », « aide-toi, le ciel t’aidera », « sois productif », « prends soin de toi », etc. Autant de recettes qui prétendent nous apporter le bonheur et la liberté, mais qui se révèlent en réalité extrêmement culpabilisantes – surtout quand on n’a plus la force de se prendre en main, de s’aider, d’être productif ou de prendre soin de soi… Chaque époque a ses exigences, mais le fond reste le même. C’est toujours soumettre sa vie à la tyrannie du « il faut ». Pourtant, si nous écoutons bien le récit de Luc, l’Evangile nous invite à passer dans un autre registre, à changer notre regard.
Siméon et Anne vont reconnaître Dieu dans un tout-petit. Ils vont reconnaître le salut, la consolation, la libération d’Israël et du monde entier dans un enfant tout à fait ordinaire que rien ne distingue des autres. Avez-vous remarqué à quel point ce récit est sobre ? Il n’y a ni anges, ni armée céleste, ni miracles, ni merveilleux d’aucune sorte. Simplement une famille juive ordinaire venant accomplir le rituel ordinaire qui suit la naissance d’un petit garçon. Autrement dit, cet enfant n’a aucun signe particulier qui permettrait à Siméon et Anne de reconnaître en lui le Messie, le Christ, le Fils de Dieu et le Sauveur. Et les parents de Jésus sont les premiers surpris dans cette affaire, ils ne s’attendaient certainement pas à une telle publicité ! Alors comment Siméon et Anne ont-ils pu reconnaître le Christ de Dieu dans ce petit garçon ordinaire ? Que leur a-t-il donc fallu faire pour parvenir à une aussi parfaite connaissance de Dieu ? Le texte nous dit que Siméon est un homme juste et fidèle et qu’Anne est une femme prophète, toujours au temple, servant Dieu nuit et jour par le jeûne et la prière… Eh bien, n’est-ce pas grâce à toutes ces qualités que Siméon et Anne ont pu atteindre la connaissance de Dieu ? Justement non ! Non, ce qui permet à Siméon puis à Anne de reconnaître en l’enfant Jésus le Christ et le Sauveur, c’est uniquement le Saint Esprit. C’est poussé par le Saint Esprit que Siméon se rend au temple et accomplit ce geste fou de voir dans un petit enfant ordinaire l’Extraordinaire de Dieu. Et c’est comme témoin de cet événement suscité par le Saint Esprit qu’Anne, à son tour, accomplit le même geste. Le Saint Esprit, c’est tout simplement le Souffle de Dieu qui illumine le cœur, qui renouvelle l’intelligence et qui convertit le regard. Le Saint Esprit, c’est l’inattendu de Dieu qui nous visite à l’improviste et qui prend à contre-pied notre sagesse humaine. La connaissance de Dieu n’est pas au bout de nos efforts. Jamais. C’est le Saint Esprit qui seul peut créer en nous cette connaissance. Sans le Saint Esprit qui agit en nous pour changer notre cœur et transformer notre regard, nous ne pouvons pas reconnaître le Christ quand il est en face de nous.
Sans le Saint Esprit, nous ne pouvons que passer à côté du Christ. Nous voyons simplement un enfant semblable à tous les autres. Nous voyons simplement un crucifié semblable à tous les misérables de la terre depuis la nuit des temps. Sans le Saint Esprit nous ne voyons que l’échec et la mort, là où il y a la victoire et la vie. Sans le Saint Esprit, nous ne voyons que l’absence de Dieu là où il y a sa présence. C’est bien là le signe de contradiction dont parle Siméon (Luc 2, versets 34 et 35).
Le Saint Esprit est toujours un cadeau que Dieu nous fait et dont il a seul l’initiative. Au moment le plus inattendu, Dieu peut nous souffler sa Parole, la chuchoter à l’oreille de notre cœur, de sorte que les évidences tombent et que nous pouvons voir Dieu tel qu’il a choisi de se faire connaître à nous, dans le dénuement de l’enfant de Bethléem et dans le crucifié du Golgotha. Le Saint Esprit, c’est Dieu qui nous déplace dans nos attentes, dans nos idées, dans nos rituels ou dans nos habitudes. Il nous permet de rencontrer le Christ là où spontanément nous ne serions pas allés le chercher. Il crée en nous la foi et nous permet de recevoir la vraie connaissance de Dieu, non pas comme une récompense au bout de nos efforts, mais comme une grâce que nous n’avons qu’à recevoir comme un cadeau. Puisse l’Esprit du Seigneur nous faire abandonner nos sagesses humaines et susciter en nous la folie de la foi. Puissions-nous nous abandonner à l’Esprit du Seigneur et le laisser nous conduire vers Christ, vers la vie.
Amen !
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