« La sentinelle : écouter Dieu et avertir les humains »

 

C’est donc une histoire de bouche à oreilles.
Ou plutôt, une histoire d’oreilles à bouche.

Je relis un verset du livre du prophète Ezéchiel, en hébreu Yeh’ezqel : « Dieu rendra fort, Dieu fortifiera » : Tu écouteras la parole qui sort de ma bouche et tu les avertiras de ma part v.7

Seulement voilà, frères et sœurs, vous le savez, c’est une clé de la communication, les affaires qui marchent grâce au « bouche à oreille » sont en général de bonnes affaires.
D’excellentes affaires.
Vite ! On se passe le mot afin que chacun puisse en profiter.

Or, cette parole « entendue » et qu’il faut répéter, c’est la suivante : Méchant, oui, tu mourras (de mort certaine) !
Apostropher quelqu’un en le traitant de « méchant » c’est déjà une chose. Quant à lui dire qu’il mourra de mort certaine…
Tout d’un coup, le silence s’impose.

 Qui ? Qui oserait encore proclamer une telle parole aujourd’hui ?

Dans notre société, en général, la retenue est de rigueur, la nuance est reine, celui ou celle qui a des opinions fortes se fait traiter d’intolérant et tous sont à la recherche d’un consensus.
Il est même délicat pour un prédicateur de choisir un tel passage de la Bible. Nous préférerions entendre les « classiques » aimez-vous les uns les autres ; Dieu nous a aimés le premier

Ce matin, nous relisons Ezéchiel :

  • Tu écouteras la parole qui sort de ma bouche et tu les avertiras de ma part (v.7)
  • Méchant, oui, tu mourras ! (v. 8)

Une parole d’avertissement donc.
Une parole pour l’autre, pour qu’il revienne de sa voie et qu’il vive.

Dieu lui-même s’exclame, quelques versets plus loin :
Ce que je désire, ce n’est pas que le méchant meure, c’est qu’il change de conduite (qu’il revienne de sa voie mauvaise) et qu’il vive !
Revenez, revenez de vos mauvaises voies ! Pourquoi devriez-vous mourir, maison d’Israël ? v. 11

Mais les paroles pour la vie, les paroles qui font vivre ne sont pas forcément agréables à entendre. Loin de là.
Aussi, de tout temps, on fait taire les prophètes car ils dérangent.
Nul n’a envie de se faire traiter de « méchant » et encore moins de s’entendre dire que sa voie conduira à la mort. Cela nécessiterait trop de remise en question.
Le prophète Ézéchiel, en hébreu : « Dieu rendra fort, Dieu fortifiera » est prévenu, il va s’adresser à la maison d’Israël, au front dur (endurci) et le cœur obstiné (au cœur inflexible), incapable d’écouter  (3, 5-7).
Or, on le voit dans le texte, la vie du prophète est intimement liée à celle de son peuple. S’il n’avertit pas, le méchant mourra dans sa voie mais le prophète devra alors rendre compte de son silence.
Solidaire de la situation de son peuple, il est responsable du sort de celui-ci. Et c’est peut-être là le mot qui fait défaut dans nos vies : être responsable. Pas uniquement de soi (ce qui serait déjà pas mal) mais responsable aussi des autres.

Celui qui est responsable répond de ses actes et on le voit bien dans notre société actuelle : en l’absence de responsable, on cherche à tout prix un coupable.
Avertir ses contemporains donc.
Pourquoi ?
Pour vivre !

Les avertissements que les prophètes nous adressent ne sont pas là pour nous indiquer le bien et le mal : ce qui serait de l’ordre de la morale. Ces avertissements nous montrent ce qui est porteur de vie et ce qui est porteur de mort : c’est de l’ordre de l’Évangile.

Nos choix peuvent être porteurs de mort et souvent nous nous mettons à l’écoute de paroles qui sonnent bien à nos oreilles, des paroles mielleuses et démagogiques qui ne risquent pas de nous déplacer.

A bas les prophètes qui osent dire des paroles fortes !

Il n’y a rien de nouveau sous le soleil car déjà le serpent des origines flattait l’homme en lui disant : Mangez, vous serez comme des dieux. Le serpent n’aime pas l’homme, il le jalouse même, c’est pourquoi il le flatte. Il lui dit ce qu’il a envie d’entendre.
Dieu en revanche aime l’homme, c’est pourquoi il lui impose des limites, faute de quoi il tomberait dans des délires de toute puissance.

Ecoutons encore la parole de l’Eternel adressée à Ezéchiel, en hébreu : « Dieu rendra fort, Dieu fortifiera » : Toi, fils d’homme, je t’établis comme sentinelle (je te nomme guetteur – TOB) (…) Tu écouteras la parole de ma bouche et tu les avertiras de ma part

Idolâtrie, injustice, violence, manque de cohésion sociale, famine, iniquité du commerce international, arrogance des grandes puissances, dérèglement sexuel, désordre économique : autant de maux, combattus par le livre d’Ézéchiel et qui n’ont, hélas, rien perdu de leur actualité.
La vision des ossements desséchés, 4 chapitres plus loin, atteste la radicalité de la transformation nécessaire.
La grandeur d’Israël est d’avoir reconnu dans ce livre une parole de Dieu et d’en avoir fait du même coup une parole pour d’autres temps.

Fils d’homme, je t’établis comme sentinelle, je te nomme guetteur

Il est temps de conclure en déployant et travaillant une question :
Qu’est-ce qu’être humain et qu’est ce qu’être homme devant Dieu ? Qu’est ce qu’un guetteur ? Qu’est-ce qu’une sentinelle ?

Être homme, être humain tout d’abord.
De tout temps, l’homme cherche à refuser sa condition. Il refuse les limites et bien que conscient de sa faiblesse (ou par ce que conscient de sa faiblesse justement), il veut s’en échapper.
Cette expression « fils d’homme » peut donc s’entendre de façon négative. Elle nous dit notre fragilité.
Mais être un humain devant Dieu, n’est ce pas la plus élevée des créatures, celle qui lui ressemble ?
C’est être l’objet d’un grand projet et d’une grande espérance.

En appelant Ézéchiel (Dieu rendra fort) fils d’homme, Dieu ouvre devant lui une existence d’homme telle qu’il la conçoit.

L’expression s’alourdit de tout le poids de l’autorité divine, mais en changeant de signe : expression d’un dépouillement, d’une déchéance, d’un désespoir (expression toute négative donc), elle se charge de positivité car Dieu a choisi l’homme pour faire alliance avec lui.
Dieu interpelle un homme, un simple être humain, comme toi, comme moi, pour participer à ce qu’il veut accomplir au milieu et en faveur de ses créatures révoltées.
Cet homme est une sentinelle qui annonce la venue du péril ennemi, mais pas seulement. Il participe aux travaux de défense dont il a même mission d’assurer la vérité.
Il ne peut ignorer les brèches, les points faibles de la communauté, il doit au contraire les observer de près, les signaler à l’attention de tous, faire en sorte que le travail de restauration ne soit pas superficiel mais atteigne le fond des choses : le cœur d’un peuple que menace moins la ruine de ses murailles que l’effondrement de sa conscience.

Frères et sœurs,

Le guetteur, la sentinelle scrute avec passion l’obscurité environnante, afin d’y déceler les silhouettes fugitives d’un éventuel ennemi dissimulé et redoutable, afin d’entrevoir aussi les rayons furtifs de l’aube naissante, indice du salut imminent.

S’appliquant à repérer les « signes du temps », la sentinelle est l’interprète de l’histoire, chargé de préparer ses auditeurs à l’accueil judicieux du temps qui vient et du jour qui se lève.

Toi, fils d’homme, je t’établis comme sentinelle (…) Tu écouteras la parole qui sort de ma bouche et tu les avertiras de ma part.

 Cf. Jésus, le fils de l’homme en Matthieu 18, 15-20

 « Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux » dit Jésus (Mt 18, 20)

 Amen.

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