« La résurrection, ça commence aujourd’hui »

Luc 20, 27-38

Dans le Nouveau Testament, les Sadducéens sont associés aux Pharisiens comme adversaires de Jésus. Les Pharisiens croient à la résurrection, mais les Sadducéens ne croient pas à la résurrection. Ni aux anges, ni aux démons. Ils croient à la politique, ou plutôt à une forme de dérive du politique. Sadducéens et Pharisiens co-existent donc, dans le même conseil juif divisé ; alors les opinions s’affrontent, sauf quand il s’agit de juger Jésus, de persécuter les premiers judéo-chrétiens. Ils constituent en effet un parti religieux puissant. Leur domaine, c’est le temple. Ils font un tri dans leur Bible. Ils n’aiment pas les livres tardifs, donnent une valeur inférieure aux Psaumes. Les Sadducéens gardent quand même le Pentateuque, les 5 premiers livres de la Bible. Ce sont des conservateurs nés, sauf quand il s’agit de conserver le texte biblique. Ils ont leur propre code pénal, et restent attachés de façon attentive aux textes juridiques. Ils rejettent à la fois ce qu’ils considèrent comme des inventions nouvelles, les anges, les démons, la résurrection, qui — il faut bien l’avouer — apparaît tardivement dans le Premier Testament.

En effet, même Job ne semble pas très assuré quant au statut des croyants décédés ; il les compare à des fantômes errants dans les lieux sous-terrains (voir Job 7/9 : “Une nuée se dissipe et s’en va, voilà celui qui descend sous terre pour n’en plus remonter”). Ce qui fit dire à l’Ecclésiaste : “Chien vivant vaut mieux que lion mort”. Pour le judaïsme primitif, la mort est l’événement par lequel on est coupé de Dieu, il ne se souvient plus de vous, on ne peut plus le louer. D’où l’importance pour le Juif de connaître Dieu ici-bas, sur cette terre. Car Dieu est la vie, il n’y a de vie pour l’homme qu’en relation avec lui, dans sa louange et son service. D’où l’idéalisation du mariage et de la procréation, comme conjuration de la mort et la perpétuation du clan.

Les Saducéens n’attendent pas grand-chose de l’avenir, si ce n’est des opportunités de pouvoir. Ils n’attendent pas de Messie, et polémiquent de façon interminable sur des éléments accessoires comme la fixation des dates du calendrier liturgique. Purs hommes de leur siècle, ils se font remarquer par leur compromis avec l’occupation romaine. Ils sont emberlificotés dans l’histoire humaine et violente de l’homme naturel livré à ses penchants. Pouffant de rire devant ceux qui, comme Jésus, croient à la résurrection. Comment avoir la candeur de croire à un lien entre histoire humaine et infini de la résurrection ? Comment peut-on être assez stupide pour avoir la foi en la vie éternelle ?

Très vite, les Sadducéens vont questionner Jésus, demandant un signe qui vienne du ciel (Matthieu 16/1). Ils veulent bien croire à un Dieu visible, théophanique, un Dieu qui se montre, comme dans l’Ancien Testament. Ils veulent des preuves temporelles. Jésus les critique auprès de ses disciples : “Gardez-vous du levain des Sadducéens”. J’en viens à notre texte, ce passage de l’évangile de Luc dont nous venons d’entendre la lecture. Les Sadducéens posent à Jésus un cas d’école, celui d’une femme qui se remarie 7 fois. Ils ne peuvent envisager la résurrection autrement qu’en des catégories terrestres. Si la femme remariée avec ses beaux-frères doit ressusciter, alors avec lequel vivra-t-elle ?

C’est comme si l’on demandait où l’on allait mettre les dizaines de milliards d’êtres humains qui ont existé s’ils ressuscitaient. Ce sont des questions très humaines, qui montrent qu’on ne peut pas imaginer la résurrection. La résurrection, en revanche, on peut la vivre, on peut en faire l’expérience. Ici et maintenant, au-delà et pour l’éternité. Cette loi du Deutéronome, chapitre 25, permettait à une femme d’avoir une descendance et d’avoir une protection sociale, un statut. Une descendance. “Si un homme meurt sans avoir d’enfants, son frère devra épouser sa femme. L’enfant à naître sera considéré comme étant l’enfant du défunt”. Comme une façon de dire que la mort n’a pas le dernier mot.

Après 7 mariages, la femme finit aussi par mourir.

  • Y aura-t-il résurrection de la chair ?
  • Le rassemblement des ossements ?
  • Comment éviter la jalousie entre les ranimés ?

Jésus répond : la résurrection ne sera pas comme une histoire humaine. Sinon, ce serait l’enfer. Pas de réanimation des cadavres, résurrection du souvenir de la personne dans ce qu’elle a vécu en relation avec Dieu. La résurrection, pour Jésus, est un don, “ils ne pourront plus mourir”. Croire en la résurrection, c’est recevoir avec l’apôtre Paul l’assurance de la victoire sur la mort. “O mort, où est ta victoire ? O mort, où est ton aiguillon ?” (1 Corinthiens 15). Les ressuscités ne peuvent plus mourir, ils appartiennent à un autre ordre que celui du monde terrestre. Ils n’ont plus besoin de se marier, de faire des enfants pour perpétuer le clan, s’assurer des enfants pour soutenir leur vieillesse.

“Ils sont comme les anges, ils sont fils de Dieu, fils de la résurrection”. Ils ont passés de la mort à la vie, d’une vision temporelle à une vision d’éternité. Ils sont comme les anges. Les anges, dans la Bible, ce sont des messagers, agissant pour louer Dieu, annoncer un message urgent, leur programme c’est de servir Dieu. Dans sa réponse aux Sadducéens, Jésus dit des choses simples : il indique que la résurrection ne prétend pas être une sorte de vie recommencée, avec la logique propre à notre conception humaine du temps. Du temps qui passe, dans sa succession chronologique. Du temps qui permet d’oublier, pour pouvoir continuer à vivre.

Une petite anecdote : Si quelqu’un vous demande comment vous vous nommez, répondez-lui, mais en lui faisant quand même remarquer qu’il serait plus juste de vous demander comment vos parents vous ont nommé. On rencontre beaucoup de personnes qui ne portent pas leur vrai prénom, leur premier prénom, celui de l’état-civil. On croise aussi beaucoup de personnes qui n’aiment ni leur nom ni leur prénom (pas seulement ceux qui ont un patronyme bizarre ou prêtant à sourire). Ils ne sont pas heureux parce qu’ils ne le trouvent pas beau, parce que leur nom ou leur prénom véhiculent une histoire trop lourde à porter, et pour mille autres raisons. Ne demandez pas à quelqu’un comment il se nomme, mais comment ses parents l’ont appelé.

Cette petite anecdote montre à quel point nous sommes tous héritiers d’une histoire, qui souvent nous dépasse, qu’il n’est pas toujours facile d’assumer et qui porte en elle la volonté de nos parents, de nos prédécesseurs, d’assurer la poursuite de la famille, d’assurer la pérennité de la lignée. Et cela se fait souvent par le nom et le prénom. Combien de personnes portent le prénom d’un père ou d’un grand-père, d’une marraine ou d’une tante, voire d’un frère ou d’une sœur décédée ! Combien de personnes portent le nom de leurs deux parents avec un trait d’union entre les deux, ou combien de femmes portent leur nom et celui de leur mari accolé ! Volonté de transmettre, d’assurer une descendance, une suite, volonté de durer, de perdurer. Les Sadducéens, ceux qui ne croient pas à la résurrection des morts (contrairement à Jésus, bien sûr, mais aussi aux Pharisiens), sont dans le même état d’esprit : vouloir laisser à tout prix une trace pour les générations à venir. Car l’histoire que racontent les Sadducéens se fonde sur la volonté de donner une descendance au mort, une descendance masculine, bien sûr.

Et Jésus leur répond en disant que, dans ce monde ci, les hommes et les femmes se marient, mais que, pour les hommes et les femmes qui sont jugés dignes de revenir de la mort à la vie et de vivre dans le monde à venir, ceux-là ne se marient pas. Par-là, Jésus montre l’absurdité de la position des Sadducéens. Cette position se fonde sur la loi du lévirat qui consiste, pour le frère d’un homme mort, à épouser la femme de ce dernier, si elle n’a pas eu de fils, et cela, pour que le nom du frère décédé soit perpétué. « Ainsi son nom ne sera pas effacé d’Israël » (Dt 25, 6). Elle est doublement contraire à la résurrection :
– d’une part, la situation racontée dans ce texte de l’évangile de Luc est effectivement absurde. S’il y a résurrection, avec qui la femme est-elle mariée ?
– d’autre part, comme le sous-entend Jésus dans sa réponse à propos du mariage, cette loi du lévirat est absurde du point de vue de l’espérance de la résurrection, et donc absurde pour Jésus lui-même.

En effet, en faisant l’hypothèse de la résurrection (et Jésus la fait assurément), alors ni le célibat, ni le mariage, ni aucune descendance ne compte plus. Ça n’est plus un drame de ne pas avoir de descendance masculine ni de n’avoir qu’une descendance exclusivement féminine. Rien de tout cela n’a d’importance car, depuis Pâques, la vie éternelle a commencé. Ce n’est pas ce qui restera qui compte, c’est ce qui commence aujourd’hui et maintenant qui a de l’importance.

Alors effectivement, face à la remarque des Sadducéens, la résurrection semble bien absurde, irrecevable, folie. Mais c’est pourtant la voie que Jésus choisit et nous propose. En Jésus, il n’est pas besoin de vouloir marquer l’histoire de son nom. En Jésus-Christ, par sa mort et sa résurrection, tout est déjà gagné. Comme pour enfoncer le clou face aux Sadducéens, Jésus ajoute une autre objection de taille : « Moïse indique clairement que les morts doivent ressusciter. Dans le récit du buisson ardent, il appelle le Seigneur « le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ». Dieu [ajouta Jésus] est le Dieu des vivants, et non de morts ; car tous sont vivants pour lui ».

Frères et sœurs, notre vie se joue avant la mort. Contrairement à ce que les Sadducéens feignent de croire, contrairement aussi à ce que l’Eglise a fait croire pendant des siècles, pendant trop longtemps, ça n’est pas après la mort que les questions importantes se posent, mais avant, pendant la vie. Ça n’est pas de parler d’enfer, de paradis, de purgatoire ou des limbes, qui est important. Outre qu’il n’y a dans toutes ces notions aucun fondement biblique, elles nous ont trop longtemps fait croire que toute notre vie se réalisait dans la mort. Ce qui est absurde, comme le souligne Jésus. Dieu est le Dieu des vivants, pas celui des morts.

Jésus parle de Moïse. Dieu ne s’est pas présenté à Moïse pour lui dire qu’il allait délivrer le peuple d’Israël, esclave en Egypte, parce qu’il était le Dieu des morts. Jésus accomplit la prouesse d’utiliser un verset biblique de l’Ancien Testament, qui ne parle pas de la mort, mais qui l’affirme avec force, parce que l’histoire d’Israël l’implique forcément. De la même façon, Dieu ne s’est pas présenté à Jésus en lui disant qu’il allait le ressusciter parce qu’il était le Dieu des morts. Non, c’est absurde ; le ministère de Jésus et la volonté de Dieu, c’est d’agir pour les vivants. Comme l’écrit Jean Calvin : « Nul ne peut être nommé père sans enfant ni roi sans sujet ; ainsi, à proprement parler, le Seigneur ne peut être appelé Dieu, sinon des vivants ».

Enfin, sachez que certains chrétiens d’Orient, au lieu de se saluer par leur prénom et leur nom, donnés par leurs parents, se saluent en disant : « Il est vivant ! », ou « Il est ressuscité ! ». En Jésus-Christ, nous avons tous et toutes une nouvelle identité, qui nous est donnée et dont nous pouvons vivre, dès aujourd’hui !

Amen

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