Prédication de Clotaire d’Engremont, le dimanche 20 novembre 2022
Dimanche prochain, ce sera le premier dimanche de l’Avent qui nous placera dans l’attente de l’anniversaire de la naissance du Christ fêtée le 25 décembre de chaque année.
Pour ce dernier dimanche avant le temps de l’Avent, fait d’attente joyeuse de la naissance du Sauveur, le calendrier des lectures bibliques nous propose de méditer sur la crucifixion, c’est-à-dire l’aboutissement de ce que fut la passion christique, mort et souffrance annoncées et subies par Jésus à la fin de sa vie terrestre.
Une soixantaine d’années après la crucifixion, Paul a des paroles qui, près de 2000 ans après, résonnent toujours fortement à nos oreilles. Dans la 1ère épître aux Corinthiens, au 1er chapitre (versets 18 et 19), Paul dit : « La prédication de la croix est une folie pour ceux qui périssent, c’est-à-dire pour ceux qui vont à leur perte, mais pour nous qui sommes sur la voie du salut, elle est puissance de Dieu. »
Paul poursuit : « Je détruirai la sagesse des sages et j’anéantirai l’intelligence des intelligents »
Paul continue plus loin (verset 21 et suivants) : « En effet puisque le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient… Nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens… »
En fait, chères sœurs, chers frères, scandale pour les uns, folie pour les autres, la Croix est bien autre chose qu’un objet religieux ; elle est depuis bientôt 2000 ans le symbole de la grâce de Dieu, d’une radicale transformation de nos propres vies
A l’époque de l’empire romain, la croix était un instrument de torture menant à la mort, jugé particulièrement infâmant et généralement réservé aux esclaves coupables des crimes déclarés les plus graves. Le citoyen romain, lui, quand il était condamné à mort avait, si j’ose dire, le privilège d’avoir la tête tranchée, ou mieux, recevait l’ordre de se suicider, et d’échapper ainsi à l’ignominie de la croix qui, selon les mœurs du temps, était un supplice particulièrement cruel et atroce. Cloué sur une croix faite de deux simples poteaux, le supplicié peut souffrir plusieurs jours avant de mourir de soif, de douleur et d’épuisement. Certains bourreaux tendaient aux condamnés quelques breuvages réputés anesthésiants pour apaiser les souffrances endurées. Parfois, certaines personnes compatissantes administraient ces breuvages aux suppliciés gratuitement.
Dans le récit de Luc que nous avons lu, il est dit que les soldats qui se moquent de Jésus lui présentent du vinaigre. Luc ajoute que les soldats le narguaient avec la coupe de vinaigre, ils se moquaient de lui en jouant la compassion, en faisant semblant de traiter Jésus en Roi, comme s’ils lui offraient la coupe du festin et l’honoraient ainsi comme Roi des Juifs.
Rois des Juifs, disais-je ? Les quatre évangiles se recoupent sur ce récit : Jésus est condamné à être crucifié car il était reconnu comme roi des Juifs, selon l’écriteau porté par le soldat de l’escorte menant Jésus au Golgotha et ensuite placé en haut de la Croix. L’occupant romain cherchait ainsi à mater les révoltes par cet exemple.
On peut penser que la peine est disproportionnée au regard des faits reprochés, que même Pilate ne daignait pas prendre en compte. Pourtant, alors que chez Matthieu et Marc, Jésus se pose la question, vite réprimée d’ailleurs : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? », chez Luc il ne se révolte pas ! La vraie question est bien celle-ci : Jésus accepte son sort terrestre, sans résistance, sans s’indigner, au milieu des quolibets et des sarcasmes. « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » (verset 34 de notre texte). Tout doit être accompli selon le plan de Dieu. Jésus résiste –on imagine sa lutte intérieure – à la tentation de se proclamer roi des Juifs ou de demander une sorte de miracle qui sauverait le fils de Dieu. D’ailleurs n’a-t-il pas dit : « Celui qui voudra sauver sa vie la perdra ? »
Dans ses commentaires sur les évangiles, Jean Calvin souligne que dans le récit de la Passion, Satan fait un dernier effort désespéré pour compromettre Jésus. Je cite Jean Calvin : « Satan tâche de nous tirer en désespoir… C’est folie de nous assurer de l’amour de Dieu, quand nous n’apercevons pas son aide devant nos yeux… En effet l’homme voudrait tout maintenant. Il n’y a rien de plus absurde – continue Jean Calvin – « de restreindre son amour à chaque minute du temps… » Plus loin, Jean Calvin ajoute : « Par quoi, c’est une chose contraire à la nature de la foi, de vouloir faire pression et d’insister sur le seul mot « MAINTENANT » quand par la Croix il nous forme à l’obéissance et nous incite à la prière et à l’invocation de son Saint Nom. »
Cette réflexion sur le temps est toujours d’actualité. Pourquoi tout vouloir à la minute, en exigeant une réponse sur le champ ? Certes la condition humaine ne nous épargne pas les épreuves matérielles parfois physiques ou parfois même morales. Mais au-delà de la litanie des malheurs possibles, nous savons que Jésus a refusé d’échapper à la mort pour partager notre humanité et devenir, grâce à son geste, le Christ Sauveur, don de Dieu. Il a sauvé les autres, mais ne veut pas se sauver lui-même. Il veut porter nos personnes vers Dieu son père.
Selon le récit de Luc, Jésus agonisant n’est même pas désespéré ; abandonné de tous, il ne marque aucune révolte apparente, ni même aucune impatience. Satan le tentateur n’a pas de prise sur lui, pour employer le vocabulaire de Jean Calvin. Il prend même le temps de chercher à apaiser le brigand repenti. Le passage concernant ce dernier est, à mes yeux, un joyau évangélique dans le récit de Luc, car il est spécifique et uniquement présent chez Luc. Dans les autres évangiles, les deux brigands sont présentés comme des jumeaux dans l’insulte blasphématoire ! Certains exégètes vous diront que le récit des deux larrons chez Luc correspond aux deux facettes possibles de l’être humain capable de repentir, même après les pires méfaits. Pourquoi pas ! Mais cette façon de dire n’enlève rien dans ce texte à la beauté incommensurable de la parole de Jésus dans l’échange qu’il a avec celui qui sera désormais appelé « le bon larron ». Après avoir rabroué l’autre brigand, le brigand repenti dit à Jésus : « Seigneur, souviens-toi de moi quand du viendras dans ton règne. »
Laissons là encore parler Jean Calvin dans ses commentaires sur les évangiles. Je cite : « Ce brigand
-dit repenti- qui non seulement n’avait point été enseigné à l’école du Christ, mais en s’acharnant à commettre des meurtres exécrables s’était efforcé d’éteindre tout discernement du bien et du mal, monte soudain plus haut que tous les apôtres que le Seigneur avait pris tant de peine à enseigner. …. C’est l’écroulement dans la grandeur ; dans l’opprobre, la gloire ; dans la perdition, la victoire ; dans la servitude, le règne. »
Dieu n’est jamais aussi grand qu’au moment où Jésus pour sauver le pécheur accepte son propre anéantissement et se contente du repentir et de la foi du bon larron. « Tu seras avec moi dans le Paradis » dit Jésus avec la plus grande simplicité, juste avant d’expirer et avant même qu’il soit question de la résurrection pascale ! La dernière parole de Jésus est une parole d’amour. Toute haine est abolie ! Le questionnement angoissé sur la présence lancinante du mal devient sinon inutile, du moins remis à sa juste place.
Dans l’histoire du salut et sans oublier les erreurs et les fautes des Églises qui suivront la mort et la résurrection, il reste ce message d’espérance et d’amour incarné en une personne : Jésus, fils unique de Dieu, « qui a gémi dans les langes, et a tété le sein de sa mère, » aimait à rappeler Martin Luther. Incarnation ineffaçable, folie nous dit Paul, mais mystère divin qui fait de nous des frères et des sœurs en Christ à l’image de Dieu au service de celles et de ceux qui souffrent, dans l’immense lignée des témoins qui nous ont précédés.
Amen
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