« La crise d’ado du Christ »

 

« Monsieur le pasteur, voilà mon enfant, je vous le confie pour le catéchisme. Oh, je sais bien, vous ne me voyez pas souvent au culte, c’est vrai. Mais pour mon enfant, c’est important qu’il connaisse la Bible, la religion, Dieu ; nos racines, quoi ! Ça fait partie du bagage nécessaire à la vie, vous ne pensez pas ? ».

Dieu fait partie du bagage. Avoir Jésus dans ses bagages. Comme des affaires de toilette… spirituelles et morales, celles-là. Avoir Jésus dans ses bagages…

Joseph et Marie, ils pensaient bien avoir Jésus dans leurs bagages, ce jour-là. Enfin, pour être précis : dans leur caravane, pour ce trajet de retour, après le pèlerinage à Jérusalem. Il y avait les amis, les connaissances, les baluchons et les enfants qui devaient trotter, quelque part, à l’arrière ou à l’avant du convoi. Et puis le soir, à l’étape, plus de Jésus. Disparu. Alors, le lendemain, Joseph et Marie abandonnent la caravane, les parents et les connaissances, pour retourner vers Jérusalem, pour retrouver Jésus. Et ce n’est qu’après trois jours qu’ils le retrouveront.

Au fait, trois jours, ça ne vous dit rien ? Jésus qui disparaît et qu’on retrouve le troisième jour. Et puis, ces petits détails que Luc a glissés dans cette histoire. L’allusion à la fête de la Pâque, la montée à Jérusalem, les maîtres qui s’extasient, comme d’autres s’extasieront devant la résurrection de la fille de Jaïrus ou sur le chemin d’Emmaüs.

Et puis enfin, quand Joseph et Marie auront retrouvé leur fils, cette question de Jésus : « Pourquoi me cherchiez-vous ? » ; la même question qu’un ange posera aux femmes venues au tombeau : « Pourquoi le cherchez-vous ? ».

Oui, il y a, sur tout ce petit récit, qui est bien autre chose que la peinture d’un enfant-prodige, il y a déjà l’ombre de la passion et la lumière de la résurrection. Et l’inquiétude, l’angoisse, l’incompréhension de Joseph et Marie sont les mêmes que celles des disciples quand Jésus leur annoncera sa mort prochaine, bien plus tard ; les mêmes que celles des deux pèlerins d’Emmaüs, plus tard encore.

Le chemin que Joseph et Marie doivent faire, c’est le chemin que les disciples devront à leur tour emprunter : c’est le chemin auquel nous sommes invités pour comprendre qui est ce Jésus, ce Jésus qui parle si étrangement de son Père.

Dans une douzaine de jours, nous fêterons Noël. Noël ! Ce jour-là, Dieu est avec nous ! Ça y est ! Noël, c’est Dieu qui quitte son trône, son ciel, sa puissance et ses légions d’anges, pour venir, tout petit parmi nous, parmi les humains. C’est Dieu qui se donne un visage. Dieu qui devient concret, visible, palpable. Les bergers, Siméon et Anne la prophétesse ne s’y trompent pas. Dieu est maintenant au beau milieu des hommes. Il est un de nos semblables. Et il ne fait pas une visite-éclair ! Il va vivre comme nous, il est là et bien là. Et maintenant qu’il est là, on ne va pas le lâcher.

Les hommes restent des hommes ; mais Dieu, lui, se fait homme.

C’est lui qui accomplit ce chemin, c’est lui qui supprime cette distance. Pour être avec nous, pour marcher avec nous, pour nous accompagner. On ne va pas le lâcher.

Joseph et Marie non plus, ne voulaient pas le lâcher. Et pourtant, il a glissé entre leurs doigts. Maintenant, c’est eux qui vont devoir marcher et parcourir la distance. Si Luc, dans ce qu’on appelle l’évangile de l’enfance, c’est-à-dire ses deux premiers chapitres, montre bien que Dieu vient au milieu des hommes, dans ce dernier petit récit qui clôt cet évangile de l’enfance, il renverse tout. Dorénavant, et ça ne changera plus, ce sera Jésus-Christ, le centre. Le pivot autour duquel tout va tourner, celui par rapport à qui il faut se décider, celui qui va nous appeler à lui après être venu à nous.

Ses parents l’apprennent à leurs dépens : « TON PERE et moi, nous te cherchons tout angoissés », dit Marie ; et Jésus répond : « Ne savez-vous pas qu’il me faut être chez MON PERE ? ». (relire Luc 2, versets 48 et 49).

Tout est inversé, maintenant, jusqu’à ce lien filial : le père de Jésus, celui qui compte, ce n’est pas celui que vous croyez, c’est l’autre. Tout est inversé, jusqu’aux détails de la scène. Jésus parle avec les maîtres, les sages. Contrairement à ce qu’on croit, d’ailleurs, il ne leur fait pas la leçon, mais il apprend, il écoute et il répond aux questions qu’on lui pose. Mais voilà : « Ils le trouvèrent, au bout de trois jours, dans le Temple, assis au milieu des maîtres ». Autrement dit sur l’estrade. C’était le maître, le rabbi, qui était habituellement assis au milieu de ses disciples ; ici, c’est Jésus.

Noël. Dieu est avec nous. Dieu vient à nous. C’est vrai ! Et c’est la bonne nouvelle de Noël. Mais maintenant, il va falloir le suivre. Tout reste à faire. Tout est devant. Tout est à conquérir. C’est à nous d’être avec Dieu. Car si, avec Jésus-Christ, Dieu est avec nous, rien ni personne ne peut le retenir, le garder, l’avoir avec soi une fois pour toutes.

Joseph et Marie n’ont pas pu le retenir. Les disciples n’ont pas pu le retenir, que ce soit pendant son activité ou sur le chemin d’Emmaüs. Ils ont pourtant bien essayé. Et nous aussi, nous essayons, si souvent, parfois sans le savoir, de le retenir, dans notre vie ou dans nos Eglises. Je me demande d’ailleurs parfois si les tabernacles dans les églises catholiques, les icônes chez les orthodoxes, ou encore ce que les protestants disent sur l’inspiration et l’autorité de l’Ecriture, ce n’est pas, de temps à autres, quelque part, cette vieille tentation de retenir Dieu, de retenir Jésus avec nous, de l’enfermer. Mais rien ne peut l’enfermer. Ni nous ni personne. Même le tombeau s’est retrouvé irrémédiablement vide.

Ce jour-là, après leur pèlerinage, Joseph et Marie ont découvert quelque chose, sans vraiment encore le comprendre d’ailleurs. C’est que leur fils n’était plus seulement ce petit, qui les suivait docilement. Mais qu’il était déjà loin devant eux. Ils ont appris que, pour le retrouver, il leur fallait marcher, chercher, avancer, et non pas attendre.

Et nous ? Où est Jésus pour nous ? Où le plaçons-nous ? Fait-il seulement partie de nos souvenirs d’enfance ? De ces souvenirs délicieux, charmants qui font chaud au cœur, mais qui sont dépassés et à jamais perdus ? Ou bien Jésus est-il encore et toujours devant nous ? Celui qu’il faut chercher. Celui qui guide nos pas, qui oriente nos chemins. Celui qui peut changer le cours de notre vie ?

C’est là qu’est la bonne nouvelle de ce matin. Jésus ne fait pas partie du paradis perdu. Il est devant nous.

Lorsque ta vie a perdu son sens, lorsque tu n’attends plus rien de bon ni de neuf, lorsque ta vie semble sombrer dans la routine et l’habitude, y compris l’habitude des fêtes ou des pratiques religieuses, Jésus-Christ s’offre comme chemin et comme espérance. Il est devant toi et il t’appelle. Il t’appelle à le rejoindre.

Trois jours…Trois jours. Le temps de se laisser surprendre. Le temps de se tourner vers un horizon neuf.

A Noël, le Christ est né là où on ne l’attendait pas ; et les bergers ont marché pour le trouver.

Le jour du pèlerinage à Jérusalem, Jésus était là où on ne l’attendait pas ; et Joseph et Marie ont marché pour le retrouver, et en même temps le découvrir.

Ne cherche pas Jésus-Christ dans ton passé, tes souvenirs ou tes habitudes.

Ne le cherche pas là où tu l’as laissé cette année.

Il est déjà ailleurs…

Et il t’attend sur ce chemin nouveau.

Amen !

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *