Jean, le précurseur du Seigneur

Les enfants, connaissez-vous le prénom des parents de Jean qui baptise ? (Jean-Baptiste est le fils de Zacharie et Elisabeth)

Arrivé à l’âge adulte, Jean reçoit un appel de la part de Dieu et se met en route pour prêcher un baptême de repentance pour le pardon des péchés. On découvre donc la prédication de Jean-Baptiste qui prépare la venue de Jésus avant de le baptiser, dans le Jourdain. Jean-Baptiste est donc un prophète, un porte-parole de Dieu qui prêche un changement radical pour se préparer à accueillir Jésus : le baptême de repentance.

Dimanche dernier, Elies a rappelé ici que Jean-Baptiste reprenait la vieille prophétie d’Esaïe : « préparez le chemin du Seigneur … et toute chair verra le salut de Dieu. » Ce matin, nous retrouvons ce même Jean, celui-là même qui baptisera Jésus dans le Jourdain inaugurant ainsi son ministère, à l’âge d’environ 30 ans. Les exégètes ont souvent présenté Luc comme ayant essayé d’être le premier historien de l’Église au travers de son œuvre que l’on peut considérer comme faisant un tout en deux tomes : son Évangile et le livre des Actes des apôtres. Et dans ce début du chapitre 3 de l’évangile, nous voyons bien ce travail d’historien. Luc prend la peine de nous situer les événements dans le temps avec le plus de précisions possibles. Il cite les noms de personnages importants, que tout le monde est censé connaître. L’Empereur romain Tibère, d’abord. Toujours désigné dans le nouveau Testament par le titre de « César », qui était devenu un synonyme d’empereur. Il est celui à partir duquel l’écoulement du temps est défini, ce qui n’est pas rien ! Nous en sommes à la quinzième année de son règne, c’est à dire aux environs de l’an 30 de notre ère, puisqu’on pense que Tibère a régné entre les années 14 et 37.

Pour Luc, ce qui marque le temps auquel il fait allusion est donc l’occupation romaine que subit Israël. Il en est persuadé, c’est cela que retiendra l’Histoire. Que l’on approuve ou pas cette occupation n’est ici pas du tout le problème. C’est une donnée historique, une contrainte extérieure, avec laquelle il faut bien faire. Ensuite, Luc cite Ponce Pilate (un romain encore) comme étant gouverneur de Judée. Puis Hérode, Philippe et Lysanias tétrarques respectifs des autres provinces. C’est ici le royaume d’Hérode le Grand (celui dont il est question dans l’Évangile de Matthieu dans l’histoire des rois mages) qui a été divisé entre ses fils à sa mort, et qui se trouve donc morcelé. Le pays est donc dans une période politiquement instable, où des pouvoirs divers s’exercent sur le peuple en concurrence et en connivence les uns avec les autres, où le pouvoir juif est en train de perdre du terrain devant l’occupant romain (à l’occasion de la succession d’Hérode le Grand, le Judée a été confiée à un préfet romain).

Enfin, Luc mentionne les grands prêtres de Jérusalem, Hanne et Caïphe. Le pouvoir religieux apparaît dès lors comme un acteur à part entière des événements qui vont se dérouler. Antithèse du pouvoir de César, et néanmoins pouvoir humain qui pèse sur les hommes et l’histoire. Cette Histoire nous parle d’un temps difficile. Un temps où le peuple juif sent sa foi et son identité menacées par un occupant toujours plus envahissant. Économiquement, la situation est difficile. Si le roi, sa cour, le clergé et les collecteurs d’impôts sont riches, la plupart des agriculteurs et des artisans survivent difficilement, écrasés par le poids des impôts. Religieusement, le pays est aussi divisé. À côté du judaïsme officiel centré autour du Temple, de multiples groupes plus ou moins messianiques, plus ou moins révolutionnaires, s’organisent. Mais quand certains passent à l’action, ils sont sauvagement réprimés. Une Chape de plomb et de lassitude écrase le peuple. Aucune amélioration n’est en vue. Certes, on attend un messie, mais cela fait tellement longtemps qu’on attend… Voilà pour la grande Histoire à laquelle Luc veut rattacher son récit, celle à qui l’on met un grand H. Celle dont l’être humain se sent plus souvent l’objet que le sujet, emporté par un flot qu’il ne maîtrise pas et dont bien souvent nous ne discernons le cours que beaucoup plus tard. Mais voilà que soudain dans le récit de Luc, il y a une rupture.

Dieu parle. « La parole de Dieu fut adressée à Jean, fils de Zacharie, dans le désert (verset 2°)

En ce temps-là, dans cette Histoire-là, une autre histoire resurgit. À côté de la parole tonitruante de l’historien qui cherche un sens aux événements, c’est la parole du croyant qui tout d’un coup se fait entendre. Discrète, ténue. Presque impossible à entendre au départ. Cette parole n’est adressée qu’à un seul : Jean. Dans un lieu hostile et inhabité : le désert. Loin du fracas du monde et de ses contingences, loin des aspirations du peuple et de ses espérances. Reprenant la tradition prophétique de l’Ancien Testament, Dieu parle. Dans le lieu le plus improbable et le plus impossible, là où il n’est pas possible de s’installer. Dans le lieu de l’épreuve et de la solitude absolue. Là où l’être se résume à ses besoins essentiels : manger, boire, vivre, Dieu parle. Comme il l’a fait avant avec Abraham, avec Moïse, avec Élie, avec tant d’autres, avec Esaïe bien sûr, Dieu parle. D’une voix presque inaudible pour l’immense majorité du peuple. D’une voix qui ne peut être entendue que de celles et ceux qui sont taraudés par la faim et la soif, la solitude, l’épreuve.

Et qu’annonce-t-elle cette voix, justement ?

La venue du Messie, le salut de Dieu.

Une Parole qui résonne dans l’Histoire, et qui se rattache à l’Histoire. Une Parole qui vient de loin, qui semble avoir voyagé, bourlingué et qui tout à coup resurgit comme une source jaillissant après être passée sous la terre. Une Parole qui, tout d’un coup devient concrète, matérielle, réelle, dans un geste : le baptême. Un geste qui parle d’eau, justement. Un geste qui se rattache à la vie et à la mort. Dans le baptême administré par Jean, on a vu parfois un rite de purification assez banal à l’époque. C’était peut-être le cas. Mais sous la plume de Luc, en tout cas, il s’agit d’autre chose. Il nous parle d’un « baptême de conversion en vue du pardon des péchés ». C’est à dire d’un acte qui scelle une décision personnelle, un retournement intérieur de ceux qui le reçoivent. Recevoir ce baptême au bord du Jourdain, c’est placer toute sa vie, passée et à venir, sous le regard de Dieu et ne plus espérer qu’en son Amour. Là est la véritable eau qui vient désaltérer ceux qui ont soif. La promesse qui se fraie un passage depuis hier jusqu’à aujourd’hui. Le salut annoncé par les anciens et attendu par chaque génération.

En nous racontant la vocation et le début de la prédication de Jean, l’Evangile selon Luc témoigne de cette autre Parole qui vient résonner dans le brouhaha du monde. Doucement, imperceptiblement, seulement d’abord pour ceux qui sont à l’écart et osent entendre le silence du désert dans lequel Dieu se met à parler. Au cœur de l’Histoire avec un grand H, voici qu’une autre histoire vient se mêler, improbable, discrète, presque banale. Un vieux couple stérile. Une jeune femme innocente et son fiancé. Quelques bergers des environs de Bethléem. Une mangeoire. Un bébé. Une petite histoire sans éclat, faite de femmes et d’hommes de chair et de sang, d’attentes et de souffrances, d’angoisses et d’amour dont Luc a patiemment mis en scène les personnages dans les deux premiers chapitres de son Évangile.

Au chapitre 3, les choses se précisent et l’histoire commence vraiment, avec cette parole de Dieu venant résonner dans le désert. L’Histoire du salut vient se mêler à l’histoire des hommes, grande ou petite. En Jésus-Christ, Dieu vient se lier à cette (ces) histoire(s) comme le fil se mêle aux autres dans l’étoffe sur le métier à tisser. Voici des histoires qui ne sont plus parallèles ou concurrentes, mais indissociablement reliées. Voilà, je crois, ce dont témoigne Luc en ce début du chapitre 3 de son Évangile. À côté de la parole tonitruante de l’historien qui cherche un sens aux événements, c’est la parole du croyant qui tout d’un coup se fait entendre. Discrète, ténue. Presque impossible à entendre au départ. Une parole qui témoigne d’un bouleversement intérieur, d’une conversion, d’un changement de regard.

Pour Luc, l’Histoire poursuit son cours, emmenant les uns et les autres sans leur demander leur avis. Mais il discerne aussi les signes discrets d’une autre histoire qui concerne tout autant l’humanité, l’Histoire du salut. Vous savez, c’est comme lorsqu’à force d’être dans le noir, la nuit, on s’habitue à l’obscurité et on discerne enfin les étoiles. En ce temps de l’Avent, Luc tente d’allumer pour nous quelques-unes unes de ces étoiles dans la nuit du monde, quelques sources dans nos déserts.

Dieu parle. Hier, aujourd’hui, demain. (Cf. la prière : « Eternel, tu es le Dieu de notre passé, de notre présent et de notre avenir »)

Son histoire se confond et se mélange avec la nôtre. Qu’importe alors si nous ne percevons pas le dessin entier de l’étoffe terminée. Qu’importe si nous n’avons que quelques bribes de sens auxquelles nous accrocher pour continuer la route. Ici et maintenant, Dieu parle. Allons dans le désert attendre celui qui vient. Se taire. Ouvrir les yeux. Tendre l’oreille. Entendre que l’Histoire du Salut, c’est aussi notre histoire.

Amen

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