Prédication sur Esaïe 60, 1-5 et Matthieu 2, 1-12
Où est le roi des juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à l’Orient et nous sommes venus lui rendre hommage. A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé et tout Jérusalem avec lui.
Je dois dire que je comprends leur trouble. Qui sont ces gens qui voient apparaître une étoile dans le ciel et qui se mettent en route pour la suivre ? Ils ne connaissent rien du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Rien de Moïse et de la sortie d’Egypte. Rien de l’Exil à Babylone. Rien de l’attente du Messie. Et pourtant, il y a en eux un moteur intérieur, une curiosité, une envie, un désir d’aller voir… D’abord, il faut bien préciser que ce ne sont pas des rois mais des savants, donc, par définition, des gens curieux, des gens qui veulent comprendre, des gens qui cherchent parce qu’ils savent qu’ils ne savent pas. Ils ont connaissance de leur ignorance. Il y a là quelque chose d’essentiel et de précieux qui se dit.
Mets-toi debout et deviens lumière, car elle arrive, ta lumière. La Gloire du Seigneur sur toi s’est levée. Voilà sans doute le vœu à formuler pour chacun en ce début d’année. Parce que celui qui se met debout pour suivre son étoile devient à son tour lumière pour les autres.
Se mettre en route. Partir pour atteindre son objectif. C’est essentiel dans la vie de savoir où l’on va. Heureux celui qui n’est pas en errance mais un voyageur qui a une direction, un désir et la volonté qui va avec, le moteur intérieur qui pousse en avant et donne sens à une vie. Celui qui a la chance un jour de côtoyer de près des migrants et des sans-papiers prend conscience que ces gens, qui souvent n’ont rien, sont mus par une force intérieure d’une puissance incroyable qui leur donne la capacité de traverser des situations de dénuement et de détresse terribles sans perdre des yeux l’inaccessible étoile chantée par Jacques Brel : traverser l’Afrique à pied, être vendus comme esclaves, violées, volés, battus, trompés, humiliés, rejetés de tous, ils ne peuvent ni rentrer chez eux, ni passer en Europe, ni rester dans des camps… Et pourtant ils gardent une puissance de vie incroyable qui me trouble comme Hérode a été troublé et tout Jérusalem avec lui en découvrant ces savants venus de l’autre côté du monde pour suivre cette lumière. Ils ont un but dans la vie et c’est bien souvent leur seule richesse. Nul n’a le droit d’essayer de le leur interdire, de voler leur rêve ni même de le dénigrer.
Porte tes regards sur les alentours et vois : tous ils se rassemblent, ils viennent vers toi…
Et toi, mon frère, ma sœur ? Quelle est l’étoile que ton cœur désire et qui te met en route ? Où te poussent tes rêves ? Vraiment il est malheureux celui qui ne connaît rien de cette puissance de vie qui se donne dans la poursuite de l’étoile du matin. Malheureux celui qui n’a ni désir ni projet ni direction. Malheureux celui qui réfléchit à sa vie et constate qu’il tourne en rond comme une mouche sous un verre… J’aime ce verset du Siracide 14,14 qui affirme : Ne te refuse pas le bonheur présent, ne laisse rien échapper d’un désir légitime. Voilà la vérité : dans ton désir intérieur se cache le secret de ton bonheur. C’est ce que nous allons découvrir ensemble aujourd’hui.
Tout le monde sait que « désirer » signifie « manquer de » ou plus précisément « regretter l’absence de ». Souvent on pense d’abord à ce qui nous manque matériellement. Désirer, la plupart du temps, est compris comme « avoir envie de » certains objets qui nous manquent ou dont nous pensons avoir besoin. Sortant à peine d’une période de surconsommation avec les fêtes pour entrer dans celle des soldes, nous mettons ce mot dans le registre de l’avoir, de la possession et donc de l’économie. Mais il faut se rendre compte que le désir ne concerne pas seulement, ni même principalement, le domaine des objets et de l’avoir. La plupart du temps, derrière la quête de possession se cache une quête intérieure beaucoup plus profonde, beaucoup plus importante, beaucoup plus vitale que d’accumuler des objets : il s’agit en fait d’un vide d’être. Le plus grand moteur intérieur, au fond, ce n’est pas l’envie d’objets ou de marchandise mais bien plus profondément une question d’être, d’exister et d’être reconnu, apprécié aux yeux des autres, d’aimer et d’être aimé. Derrière la quête éperdue les uns pour le pouvoir, les autres pour le savoir, la richesse, la reconnaissance, etc. se cache un rêve d’amour, un besoin d’amour, en désir d’amour… Je veux compter pour quelqu’un et être reconnu à ma juste valeur. Et ça c’est un moteur intérieur formidablement puissant…
On voit tout de suite combien ce désir légitime est proche de l’espérance. Désirer, c’est espérer que quelque chose va arriver, que quelqu’un va venir. Désirer, c’est un mot non religieux, non chrétien pour parler de l’espérance.
On voit aussi combien ce mot est proche aussi de la prière. Si prier, c’est vouloir et espérer que les choses changent, demander de l’aide pour changer le monde, changer ma vie, changer la vie des autres, prier, c’est aussi vouloir et espérer la présence de quelqu’un qui m’aime, qui est bienveillant pour moi, c’est attendre et appeler une présence, être devant lui, avec lui, proche de lui… Prier, c’est espérer en quelqu’un d’autre que soi-même.
Le désir est donc un mot non religieux, non chrétien pour parler de l’espérance et de la prière. Je ne sais pas si vous discernez comme moi dans ce mot « désir » un formidable outil de témoignage : à quelqu’un qui ne connaît rien du Christ et de la foi, ne parlez pas forcément d’espérance et de prière (ce sont des mots qu’il ne comprend pas forcément et derrière lesquels il ne met pas forcément la même signification) mais parlez-leur de leur désir… Dis-moi ce que ton cœur désire, et moi je dévoilerai pour toi ton espérance et je pourrai ouvrir devant tes pas un chemin vers la prière.
Oui, c’est vrai, le désir est vraiment une belle chose : cela signifie que j’ai en moi de l’espérance et que je cherche la présence et l’amour d’un autre. C’est un formidable moteur intérieur avec une énergie incroyable. Et quiconque ouvre la Bible découvre que le désir de l’homme est en vérité un CADEAU de Dieu.
Posez-vous la question une seconde : Pourquoi j’existe ? Pourquoi je suis là dans le monde ? Tout simplement parce que Dieu l’a voulu, Dieu en a eu envie, Dieu m’a désiré. Le monde existe parce que Dieu l’a désiré. La création et la vie sont le résultat du désir de Dieu. Il y aurait très bien pu ne rien avoir. Dieu aurait pu rester seul avec lui-même face au néant. S’il a décidé de créer le monde, la nature et tout ce qu’elle contient, c’est parce qu’il en a eu envie. Mon frère, ma sœur, il me semble important de prendre conscience que nous sommes toutes et tous le fruit du désir de Dieu. Chacun d’entre nous a été attendu, espéré, désiré par Dieu.
Et ce désir, il nous l’a insufflé. C’est peut-être son plus grand cadeau d’ailleurs. Le Seigneur Dieu modela l’homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l’haleine de vie, et l’homme devint un être vivant. Dès le début, dès ses 1ers instants, l’homme porte en lui ce souffle de désir et de vie. Et c’est comme un chemin, un appel, une vocation, un projet, une étoile intérieure qu’il faut suivre… Pensons au récit de l’appel d’Abraham (Genèse 12) : Va vers toi, va pour toi, quitte ton pays, ta famille, la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir. Et Abraham partit. Pour lui. Et cet appel reste valable toute la vie, jusqu’au seuil de la mort. Prenez par exemple cette histoire du bon et du mauvais larron qui entourent Jésus à la Croix. Qu’est-ce qui fait que l’un est dit bon et l’autre mauvais ? Moi je crois que la seule différence entre les deux, c’est que l’un veut être sauvé alors que l’autre n’attend rien. L’un a une espérance, l’autre n’a rien. L’un sera sauvé, l’autre sera perdu.
Oui, vraiment, le désir intérieur est vraiment un cadeau de Dieu. C’est là que réside le sens de notre vie, c’est là que nous pouvons puiser toute la force dont nous avons besoin pour traverser les difficultés qui se présentent sur notre route.
Mais en même temps, il faut dire que ce cadeau merveilleux qui nous vient de Dieu a été abîmé, comme défiguré et cassé par le péché. Dieu nous a fait un cadeau extraordinaire et nous l’avons souillé. Tous autant que nous sommes.
Je pense ici au récit de la Genèse quand Eve mange le fruit, cédant à un désir intérieur qui la pousse vers le fruit défendu. Comment se fait-il que ce magnifique cadeau que Dieu nous fait puisse être utilisé contre Dieu et sa volonté ? Voilà la réalité de l’homme mis à nu devant Dieu pour sa plus grande honte : notre désir nous pousse toujours à confondre le désir d’être reconnu et aimé avec le désir d’avoir, de conquérir et de posséder. Tous les hommes utilisent leur désir pour essayer de prouver qu’ils existent en étalant ce qu’ils ont (la voiture, la maison, les femmes, le statut social, le pouvoir, la réussite). Ils transforment l’être en avoir et ils font des autres des instruments de leur réussite personnelle. Ils ont soif de posséder, de conquérir, d’avoir. Ils deviennent boulimiques et avides. Greed ! L’avidité salit l’argent, le sexe, le pouvoir.
Je pense aussi à cet autre récit de la Genèse quand Caïn compare son offrande avec celle d’Abel, son frère. Voilà 2 frères qui ont un même désir d’offrir à Dieu ce qu’ils ont de meilleur. Qui pourrait y trouver à redire ? Et pourtant tout dérape, tout déraille. Pour la simple raison que le désir de l’homme se calque sur celui de son voisin ou de son frère. Comme des enfants qui jouent et qui se disputent parce qu’ils veulent tous les deux le même jouet au même moment. Tous les hommes font cela. On appelle cela le désir mimétique : je veux la même chose que mon voisin. Ainsi naît dans le cœur de l’homme l’esprit de comparaison, le ressentiment, la jalousie, l’envie de vol, le désir de meurtre. Comme Caïn qui a tué son frère Abel par simple jalousie, le roi Hérode essaie de savoir où se cache l’enfant qui vient de naître pour l’éliminer comme un concurrent. Le fabuleux cadeau de Dieu devient la source du meurtre et de la violence.
Alors, faisons le point pour conclure notre parcours. Nous nous sommes mis à la suite des Mages partis d’Orient pour suivre l’étoile nouvelle. Bienheureux celui qui sait ce qu’il veut faire de sa vie. Le désir est un outil offert par Dieu pour mettre dans le cœur de l’homme l’espérance et la prière. Mais dans le même temps, nous en avons perçu tous les dangers. Les religions se sont beaucoup méfiées du désir et nous, dans le protestantisme, nous avons toujours été très forts pour museler le désir, par la morale, les règles et la surveillance réciproque des uns et des autres. Je connais une caricature qui résume la prédication de beaucoup de pasteurs par la phrase : « Chez nous, tout est permis… pourvu que cela ne fasse pas plaisir ! » Mais le protestantisme n’a pas été le seul à vouloir contenir la formidable énergie qui se dévoile dans le désir de l’homme. Le judaïsme a mis en place 613 commandements avec 365 commandements négatifs (tu ne feras pas) – 1 par jour !!! – et 218 commandements positifs (tu feras) dans tous les secteurs de la vie (allumer la lumière, cuisiner, voyager, etc.) De son côté l’islam a développé la même chose avec la Charia. Puisque c’est là la source de sa plus grande souffrance, le bouddhisme, lui, se donne comme objectif de donner le moyen d’éteindre tout désir dans le cœur des hommes par la méditation pour atteindre le nirvana, l’extinction du désir. Finalement le cheminement est simple à comprendre :
- Dieu a fait un grand cadeau d’une énergie vitale incroyable : le désir
- L’homme a perverti ce cadeau en le détournant de son objectif, il a fait du désir un danger pour l’homme
- Les religions ont cherché à retirer ce cadeau de Dieu fait aux hommes (à la cadrer, le museler, le freiner, l’enfermer)
- Comme dans la parabole du fils prodigue, les fils aînés ont obéis et sont restés bien sagement à la maison, tandis que les fils cadetsont quitté la maison paternelle et ont fui la religion et les églises pour rester libres.
- Les uns ont perdu le désir, les autres ont perdu Dieu… Bienheureux celui qui pourra retrouver les deux en même temps !!!
Où est le problème ? Est-ce le désir lui-même qui est trop dangereux pour l’homme ? Le problème n’est pas le cadeau fait par Dieu mais bien la manière dont nous nous en servons. Le péché a obscurci le désir et l’a détourné de son objet. C’est ce que j’apprends dans notre récit des Mages et du roi Hérode. Les deux cherchent la même chose mais ils ne suivent pas la même étoile, pas le même objectif, pas le même projet. Ils ne veulent pas la même chose. Les uns suivent l’étoile pour se mettre à genoux devant un bébé, lui faire des cadeaux et l’adorer. L’autre veut trouver le bébé pour éliminer un concurrent potentiel et il fait d’un nouveau-né un adversaire. Voilà, me semble-t-il, la clé pour discerner : le désir, c’est le moteur, l’envie, la volonté qui nous pousse en avant mais il peut être orienté dans une mauvaise direction s’il est outil au service de notre profit. Le début d’année nous offre l’occasion de faire le bilan de notre projet de vie, de notre désir, de notre objectif pour cette année dans tous les domaines (famille, argent, amour, église) Est-ce pour adorer et offrir ou est-ce pour prendre et garder pour soi ? Dans les deux cas, c’est le même désir mais l’objectif est différent. Je forme le vœu que votre désir soit un outil au service de Dieu et de votre prochain. Amen !