Heureux les pauvres en esprit…

 

I. Les Béatitudes, c’est le début, l’introduction en quelque sorte, du Sermon sur la montagne, lui-même introduction de l’enseignement du Christ. Texte très connu, célèbre, très commenté, et, il faut l’avouer, complexe.
Le texte a une telle beauté, une telle force et une richesse si condensée qu’on peut penser qu’il n’y a rien à ajouter ou, de manière totalement contradictoire, qu’il y aurait tellement de choses à dire.
Entre le rien et le trop, que dire ?
Ensemble essayons de partager quelques aperçus sur la beauté et la force et la richesse du texte simplement pour avoir, chacun de nous, le désir de relire et de méditer les Béatitudes.

 

  1. La beauté du texte, c’est d’abord sa construction et son style.

Je vais me défendre tout de suite de toute accusation éventuelle de frivolité. L’approche littéraire n’est ni futile, ni déplacée. Dans une conférence récente, dans le cadre du cycle théologique du mercredi soir, Timothée Gestin nous a justement rappelé que la Révélation s’est faite par la parole, l’écriture et dans le langage des hommes. La beauté de l’Écriture est dès lors un hommage à Dieu. Soli Deo Gloria.

Le texte est construit en trois parties :

  • Un récit v.1-2
  • Au cœur du texte les Béatitudes v.3 à 10
  • L’exhortation de clôture v.11 et 12.

Le récit au début du texte nous donne l’approche historique, nous permet de situer le Sermon sur la montagne dans la vie de Jésus. C’est au début de la vie publique de Jésus. Jésus vient de résister aux tentations du démon dans le désert, après son baptême par Jean-Baptiste. Puis après l’arrestation de Jean-Baptiste, Jésus s’est retiré en Galilée. Il a recruté quatre premiers disciples et il a commencé à opérer des guérisons et à proclamer la bonne nouvelle. C’est son rôle de thaumaturge et de prédicateur. Le Sermon sur la montagne est la première grande prédication de Jésus, son enseignement en plein air. Auparavant selon Matthieu, Jésus enseignait dans les synagogues.

Revenons au début du récit. Il y a foule, Jésus monte sur la montagne. Il s’éloigne, seul. Il s’assit. Ses disciples le rejoignent. On peut penser qu’il y a un moment de silence. Puis Jésus prend la parole, « il ouvrit la bouche » dit très concrètement Matthieu, et Jésus commence à enseigner les disciples.

En effet, ses disciples le suivent depuis peu de temps. Ils sont nouveaux et peu nombreux, deux frères, Simon, Pierre, deux autres frères Jacques, Jean, tous les quatre pêcheurs de profession. Jésus s’adresse donc d’abord à ses disciples. Mais pas seulement. Il semble que la foule ait suivi, puisqu’à la fin du texte du Sermon sur la montagne, qui est long et comporte plusieurs discours, il est noté que les foules restèrent frappées de l’enseignement de Jésus « car il les enseignait comme quelqu’un qui a de l’autorité et non pas comme leurs scribes ». [Chap 7 v 28 et 29].

De nombreux tableaux illustrent le Sermon sur la montagne. Par exemple, James Tissot, peintre français de la fin du XIXème siècle plus connue pour ses portraits mondains. Le tableau montre Jésus sur une hauteur, en tunique blanche lumineuse, et la foule plus bas en des couleurs variées et plus sombres.

 

La beauté du texte, c’est aussi son style

et cela concerne plus particulièrement la deuxième partie, les Béatitudes proprement dites. Les Béatitudes sont bâties sur une figure de style, l’anaphore, qui est la répétition d’un terme au début de plusieurs phrases qui s’enchaînent. Dans les Béatitudes c’est le terme heureux, 8 fois de suite. « Heureux les… » « Heureux ceux qui… ». Il y a bien seulement 8 Béatitudes. La neuvième phrase commençant par « Heureux vous êtes » n’est pas une Béatitude mais le début de l’exhortation finale.

C’est à ces 8 Béatitudes d’ailleurs que correspondent les 8 pointes arrondies de la croix de Saint-Jean, ordre protestant, qui est à la base de la croix huguenote. Le terme « Heureux », qui est en début de phrase, existe dans l’Ancien Testament, en particulier dans les Psaumes de David. Par exemple, le 1er Psaume au verset 1 :  « Heureux l’homme qui ne marche pas selon le conseil des méchants ».

L’anaphore est aussi une figure de style de l’Ecclésiaste, avec le terme « du Temps » répété 14 fois en début de phrase. Par exemple, « Un temps pour se lamenter et un temps pour danser ».

Dans les Béatitudes c’est le terme « Heureux » qui est répété huit fois.  Ce qui nous conduit à la force et à la richesse du message des Béatitudes au cœur du texte.

 

2. La force et la richesse des Béatitudes sont liées à la simplicité et à l’autorité des énoncés commençant par « Heureux ».

Deux observations qui sont à la fois de forme et de fond.
La temporalité des Béatitudes est organisée en deux modes :

La première et la dernière Béatitude, la huitième, sont au présent de l’indicatif :
« Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ».
« Heureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice car le royaume des cieux est à eux ».
En outre, la première et la huitième Béatitude sont bâties sur la répétition : «Le royaume des cieux est à eux ».

Les six autres sont au futur simple :
 « Heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés ».
« Heureux ceux qui sont doux car ils hériteront la terre »
« Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » etc.

Ainsi, dans six énoncés, il y a une promesse, une annonce ferme mais à venir ultérieurement. Alors que dans deux Béatitudes, la première et la huitième, la contrepartie est déjà une réalité présente et immédiate : « Le royaume des cieux est à eux ».

Les huit Béatitudes expriment ainsi, à la fois, une assurance, une espérance et un chemin de vie, parce que rien n’est acquis et tout est à vivre.

 

II. C’est ce que nous allons essayer de percevoir, en ne retenant que la première Béatitude, et sans prétendre en épuiser ni le sens, ni en percer le mystère.

« Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux »

Trois termes ou expressions qui sont frappants :

  • Heureux
  • Pauvres en esprit
  • Royaume des cieux.

Nous allons les voir successivement, mais en gardant à l’esprit le lien entre ces trois termes.  Lien entre les termes qui est la règle de toutes les Béatitudes. « Heureux » ne peut se comprendre qu’en lien avec la vertu auquel il est associé huit fois, et chaque vertu est en lien avec le royaume des cieux ou avec la conséquence de la vertu.

Heureux

Le premier terme « Heureux », est aussi traduit par « Bienheureux » ou « Bénis ». Les Béatitudes se définissent comme un état de félicité ou de bonheur parfait. Avouons-le toutefois. Le texte commence mal : « Heureux les pauvres ». Ce n’est pas deux termes que nous associons, la pauvreté évoquant la misère. L’adjectif pauvre est souvent associé à un mot pour donner une expression peu flatteuse : Pauvre type. Pauvre d’esprit. Mais ce n’est pas ce que dit Jésus. Il dit « pauvre en esprit ». Et le premier terme est bien heureux. Il s’agit donc d’un état heureux, d’une conscience de soi joyeuse.
Ce qui rejoint d’ailleurs une autre définition du terme « Heureux »: « Heureux est celui qui possède une joie intérieure qui ne peut être affectée par les circonstances qui l’entourent ».
Il s’agit donc d’un bonheur. Le bonheur, notion tellement banale aujourd’hui et parfois l’objet d’une recherche frénétique, si on en juge par le nombre de publications sur le bonheur. Le bonheur est assimilé à un état de bien-être ou de développement personnel, totalement narcissique.
Ce n’est pas le bonheur au cœur des Béatitudes. Ce n’est pas non plus le bonheur, but des institutions politiques dans les Déclarations de droits au XVIIIème siècle.
Le bonheur dont parle Jésus n’est pas politique, ni purement terrestre. Le bonheur est lié au royaume des cieux.  On le sait, le Sermon sur la montagne n’est ni un exposé de doctrine politique, ni un manuel de réussite dans les affaires. Par exemple, mettre en avant la pauvreté n’est pas signifier que les pauvres devraient le rester et s’en contenter. Ce qui ferait du christianisme une religion opium du peuple, selon la formule marxiste.

Ce n’est pas non plus une condamnation sans appel de la richesse ou des riches.

Quel est ce bonheur qui est lié à la pauvreté en esprit ?

 

Pauvres en esprit

Alors, comment peut-on entendre aujourd’hui : « Heureux les pauvres en esprit » ? Plusieurs sens sont possibles et au moins deux.

Le premier sens est d’opposer la pauvreté en esprit à l’envie ou à l’amour de la richesse matérielle. Nous sommes tous contents de nos richesses, quelles qu’elles soient : propriétés immobilières, beaux meubles, collection de tableaux, de dessins, titres, décorations, bijoux… La liste des biens à posséder est très longue, quasiment indéfinie. Vous connaissez les dernières paroles qui auraient été celles du cardinal Mazarin. Regardant ses collections qui étaient admirables, il aurait dit : « Et dire qu’il faut quitter tout cela » ! Mais Jésus nous dit « Heureux les pauvres en esprit », qu’on peut comprendre comme signifiant qu’il ne faut pas s’attacher aux biens terrestres, que le vrai bonheur n’est pas la possession des biens, qu’il ne faut pas adorer le veau d’or mais adorer Dieu seul.

Pauvre en esprit renvoie aussi à la gratitude et à la générosité, opposées à la suffisance et à la cupidité. Gratitude à l’égard de Dieu. Générosité envers les autres, ainsi que le souligne Antoine Nouis dans son commentaire des Béatitudes.

Le vrai bonheur est lié à la vraie richesse, qui est celle du royaume des cieux.

Le deuxième sens de « Pauvres en esprit » oppose l’humilité à l’orgueil, au contentement de soi, si facile parfois. Pauvre en esprit, c’est reconnaître sa petitesse, son état de pécheur, face à la grandeur et à l’Infinie miséricorde de Dieu. Bref, être et se montrer humble. Le meilleur exemple de cette humilité est la formule de Martin Luther : « Nous sommes tous des mendiants, devant Dieu».

Le bonheur des pauvres en esprit est donc le royaume des cieux. Le royaume des cieux est une notion très présente dans les Évangiles et illustrée par des paraboles, telles que celle du semeur, du grain de moutarde ou du levain, dans l’Évangile de Mathieu.

Jésus est le poète du royaume, écrit Daniel Marguerat dans « la vie et le destin de Jésus de Nazareth ».

 

Royaume des cieux

Deux formulations existent : Le royaume des cieux ou le règne de Dieu, qui sont synonymes. L’une est spatiale, le royaume. L’autre est temporelle, le règne. Les deux expressions renvoient ainsi aux deux catégories fondamentales de l’esprit, l’espace et le temps. Mais l’expression demeure mystérieuse, parce que l’espace est infini et le temps est éternel.

Le royaume des cieux renvoie-t-il à une sorte d’idéal platonicien, du juste, du doux, du pacifique etc. de toutes les vertus ou qualités supérieures et rêvées ?

Le royaume des cieux serait un ensemble de valeurs de référence extérieures, la perfection évangélique, celle du Christ lui-même, un exemple absolu, mais impossible à suivre.

On le sait, l’enseignement du Christ est rugueux, paradoxal et exigeant.

Ces valeurs qui caractérisent le royaume des cieux, la pauvreté en esprit, la douceur, la miséricorde, la pureté intérieure, la faim et soif de justice, l’action pour la paix, sont des valeurs à intégrer, à faire nôtres.

Le royaume des cieux est donc aussi un état intérieur, une force intérieure pour agir à l’extérieur dans le monde terrestre, à l’égard des autres. Le Christ le dit. Le royaume des cieux n’est pas de ce monde. Mais il est dans le monde. On peut alors comprendre que le royaume des cieux est en nous l’étincelle divine, le signe de la grâce qui vous vient de Dieu, du Père qui est dans les cieux, et qui nous permet d’agir dans le monde.

Le royaume des cieux, c’est alors ici et maintenant, une force intérieure, une espérance à chaque instant, qui montre une voie à suivre, sans se leurrer sur les difficultés dans le monde tel qu’il va et avec les hommes tels qu’ils sont.

Pour autant, les Béatitudes ne sont pas une leçon de morale, pas plus qu’un exposé de doctrine politique. Jésus ne nous dit pas, dans les Béatitudes, faites ceci, ou ne faites pas cela !

Encore que on peut se poser la question « Est-ce que les Béatitudes ne sont pas des commandements, sous une forme plus douce que la loi de Moïse ? » Laissons la question ouverte.

Retenons que Jésus nous dit à la fois la difficulté et le bonheur de suivre son enseignement. Mais ces énoncés de perfection évangélique ne relèvent pas d’un univers totalement éthéré et abstrait. Et nous arrivons à la troisième partie du texte, l’exhortation.

 

III. L’exhortation

Les Béatitudes n’expriment pas ce qui serait une forme de naïveté du Christ. Jésus-Christ n’ignore pas les réalités du monde extérieur ni sa dureté. Aux derniers versets 11 et 12, s’adressant plus particulièrement à ses disciples, Jésus leur dit :

« Heureux serez-vous, lorsqu’on vous insultera, qu’on vous persécutera et qu’on répandra faussement sur vous toute sorte de mal, à cause de moi »

Et Jésus insiste :

« Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse parce que votre récompense sera grande dans le royaume des cieux ».

Ce n’est pas seulement une promesse pour une vie future, pour l’éternité, c’est une espérance et une assurance pour chaque jour, pour participer au règne de Dieu et agir dans le monde.

Le royaume des cieux est aussi le symbole de la nouvelle alliance de Dieu avec l’humanité, à travers Jésus-Christ.

Les Béatitudes sont là pour nous accompagner. Pas seulement comme une consolation quand nous pleurons, mais comme une lumière qui nous guide, qui donne à notre vie un sens heureux et possible, parce qu’il nous offre une assurance et une espérance pour nous montrer un chemin de vie à suivre.

Avec la suite immédiate du texte et les deux magnifiques métaphores, à l’adresse des disciples :

« Vous êtes le sel de la terre »

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