« Et vous, qui dites-vous que je suis ? »

Chers amis, chères sœurs et chers frères en Christ, – Dire qui l’on est, qui sont les autres… exercice difficile ! Essayez de dire QUI est votre voisin/voisine de banc ; à part son nom et prénom – et encore – que savez-vous de lui, d’elle ? Filiation et appartenance aux grandes tribus et clans familiaux protestants – ou non – , âge, composition de la famille, métier, adresse, lieu de vacances, fonction dans la paroisse peut-être… Mais à part quelques données, nous ignorons beaucoup de choses, et c’est surtout le noyau de la personne qui nous échappe, en général….

Prenez l’exemple de cet été, dans l’actualité toute récente, il fallait essayer de décrire certaines personnalités bien peu connues du public électoral, pour les placer sur la trajectoire des 1er ministrables. Combien de fois, pour ceux qui suivaient ce feuilleton, nous sommes-nous demandé « qui c’est ? » C’est qui celui-ci, celle-là » ? S’agissait-il d’ailleurs de définir, ou de décrire, de présenter des caractéristiques physiques, sociales, professionnelles, politiques ? En fait, c’est bien difficile de dire « qui » sont les autres….

Mêmes difficultés au temps de Jésus, pour dire QUI est ce Maitre qui enseigne, qui soigne, qui guérit. Le texte de Marc, très imagé, est déconcertant, plein de tensions, de commandements de se taire, et pourtant porteur d’une bonne nouvelle pour nous aujourd’hui. Essayons de voir de plus près ce qu’il dit :

Marc, Matthieu et Luc nous rapportent tous les 3 le même épisode de Jésus, marchant avec ses disciples et les interrogeant en 2 étapes : « qui les gens disent-ils que je suis », là ils répondent tous, en assimilant Jésus à de grandes figures prophétiques de l’histoire d’Israël. Mais Jésus ne commente pas ; il passe aussitôt à la seconde question, qui semble plus importante pour lui: « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » Seul Pierre, évidemment, se risque à répondre, c’est ce que tous les commentateurs nomment sa confession de foi : « tu es le Christ ». Luc ajoute le « Christ de Dieu » ; et chez Matthieu : « Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant » ; Marc est plus sobre « tu es le Christ ». Ce terme grec de Christ, expliquent les commentateurs, signifie Messie en hébreu, c’est-à-dire celui qui reçoit une onction, une consécration, c’est-à dire selon le 1er Testament, les rois, les prophètes et les souverains sacrificateurs, ceux qui conduisent Israël et portent la parole de Dieu. cv

Jésus ne conteste pas la réponse de Pierre, qui semble donc à peu près le satisfaire, mais il réagit très vivement, sévèrement, en commandant aux 12 de ne rien divulguer de ce qui le concerne. Ceux-ci partagent avec Jésus un secret qu’ils n’ont pas le droit de divulguer, ou plutôt ils commencent à avoir accès au fameux secret messianique, comme disent les commentateurs de Marc, mais le moment n’est pas encore venu de le divulguer, et ils n’ont sans doute même pas encore compris ce qu’il signifie. C’est le premier « Tais-toi, taisez-vous » de ce texte.

C’est Jésus lui-même qui va révéler aux disciples, non pas qui il est, mais ce qu’il va lui advenir ; il le fait pour la toute première fois, dans son compagnonnage avec les disciples, ouvertement, alors qu’il vient de leur enjoindre à eux de ne rien dire sur lui-même…. Jésus déclare « Il faut que le fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit mis à mort et qu’il ressuscite ». Remarquez que Jésus se désigne lui-même comme Fils de l’Homme, mais sans définir ce qu’il entend par là. Ce sont des termes qui ne sont utilisés que par Jésus, dans les 4 évangiles. La réaction de Pierre à cette annonce ne se fait pas attendre.

Pierre ne peut pas, d’une part admettre que Jésus soit condamné à mort, ni d’autre part comprendre qu’il puisse ressusciter. C’est en effet inentendable, inacceptable pour des amis, et c’est incompréhensible rationnellement. Pierre le fait savoir à Jésus, en le prenant à part, discrètement, – c’est quand même le Maitre ! mais il le lui reproche bel et bien ! C’est le second « tais-toi » du texte, de Pierre à Jésus.

Puis le ton monte encore et on arrive à ce qu’il faut bien appeler en langage actuel, une belle engueulade de la part de Jésus, même pas discrète, car il prend à témoins tous les disciples. Blâme public ! C’est le 3ème « tais-toi » du texte, celui de Jésus à Pierre « arrière de moi, Satan ; parce que tu ne penses pas les choses qui sont de Dieu, mais celles qui sont des hommes ! »

On entend dans la réaction de Jésus un écho de sa réponse au Tentateur au désert « arrière de moi, Satan ». Dans cette réaction, brutale, j’ai d’abord perçu une émotion, une réaction humaine de crainte des sévices et des tortures physiques et morales, crainte devant la mort. Mais on passe en réalité dans un registre eschatologique, où c’est le fils de Dieu qui parle et ne peut accepter  que des paroles humaines viennent troubler le plan de son Père.

Avec cette remontrance de Jésus, voilà Pierre réduit au silence ; la parole n’est plus qu’à Jésus. Et il ne s’agit plus du tout de savoir qui il est, ni ce qui doit lui arriver à lui. Jésus s’adresse à Pierre, aux disciples et à la foule. C’est une annonce qui les concerne tous, difficilement compréhensible, et de contenu rude, peu agréable pour les auditeurs d’alors, comme de maintenant. En général, on retient de cette phrase l’annonce de la souffrance et l’on considère qu’un bon chrétien doit souffrir, est appelé à souffrir, voire à mourir.

Chers frères et sœurs, c’est là que le texte nous rejoint directement aujourd’hui. Jésus annonçait à la foule et aux disciples sa passion, sa mort et sa résurrection. Mais nous avons un immense avantage par rapport aux auditeurs de Jésus : La Croix est advenue et la résurrection ! Il n’y a pas nécessairement moins de risques aujourd’hui qu’alors de suivre Jésus, se confier à Jésus, si l’on pense aux horreurs et aux massacres récents dans de si nombreux pays……. Mais la grâce divine a pris forme humaine et nous a rejoints.

Regardons le texte « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive ».

Jésus ne dit pas je suis un tel et un tel…. Il propose à ses auditeurs de le suivre ! C’est dire qu’il leur offre une relation personnelle, une relation avec lui. A tous, pas seulement aux disciples, mais aussi à la foule d’alors, et à nous aujourd’hui. Mais il y a 3 conditions à cette suivance.

Tout d’abord Jésus dit « celui qui « veut » me suivre » ; il y a donc un choix, une volonté de suivre Jésus; un « Oui » à Lui dire…., Comme l’ont fait ceux qui ont été foudroyés par une révélation comme Blaise Pascal ou Claudel, ou pour d’autres qui l’ont rejoint au terme de réflexions longuement mûries. Mais cela peut aussi être un « oui peut-être », un « oui, je voudrais voir », un oui pour essayer…. il y a beaucoup d’autres façons aussi de lui dire « OUI »…. Mais il faut un oui de notre part !

Ensuite Jésus annonce qu’il faut renoncer à soi-même : Cette recommandation évoque pour nous, 2000 ans après, les paraboles de la Nouvelle naissance ou des outres vieilles et outres jeunes…. A mon avis, il ne s’agit pas de se renier, mais de ne pas faire de soi-même le but, l’objectif de sa vie…. Il n’y a pas d’interdiction d’éprouver de la joie, de fonder une famille et d’y prendre plaisir, de réussir une carrière professionnelle…. L’objectif est de suivre Jésus – mais pourquoi pas, également, dans cette vie sociale, familiale, professionnelle ? En somme, l’introduire dans notre vie quotidienne ! Ce n’est pas un commandement de tout abandonner, c’est une mise en garde qu’un abandon complet de soi peut devenir nécessaire, comme il le fut pour Jésus.

Enfin, il faut se charger de sa croix. L’expression est passée dans le langage courant pour désigner toutes les souffrances, toutes les difficultés de la vie auxquelles nous sommes confrontés. Le texte ne fait pas l’apologie de la douleur, de la souffrance, n’affirme pas qu’un bon chrétien doit souffrir ! Se charger de sa croix, – c’est la porter ; c’est exactement la même expression que dans le récit de la Passion- (Et d’ailleurs les récits de la Passion des 3 évangiles synoptiques rapportent que ce n’est pas Jésus qui a porté seul sa croix, mais que Simon de Cyrène a été désigné pour le faire. Je ne sais pas très bien s’il faut considérer que nous recevons de l’aide pour porter nos croix ; ce serait une question à creuser… une autre fois).

Mais en tout cas, il ne s’agit pas de se complaire à regarder sa propre croix. On n’est pas en face d’elle – à souffrir et attendre…. Au contraire, le texte conseille de se charger, de prendre sa croix, qui devient ainsi partie de nous ; on ne la contemple pas du dehors, elle est en quelque sorte acceptée. Puis une fois chargée, il s’agit de bouger, de se mettre en mouvement ; La phrase de Marc est simple et claire : tu portes et tu viens derrière moi, tu me suis…. ! Je ne minimise pas les enjeux : Evidemment, l’acceptation est très souvent plus que difficile et il y a des croix beaucoup plus lourdes que d’autres à porter….

Vouloir suivre Jésus, c’est savoir que l’on peut risquer sa vie, mais ce n’est pas un commandement de souffrir ! Oui, le pronostic vital peut être engagé si l’on suit Jésus, mais ce n’est pas une fin en soi, une obligation… Pierre fera l’expérience de ce risque, lorsque le coq chantera, et qu’il comprendra avoir trahi pour sauver sa tête. Mais combien de Chrétiens, trop de Chrétiens, aujourd’hui malheureusement doivent affronter ce risque, allant jusqu’au bout de leur foi et de leur vie pour confesser que Christ est Seigneur.

Et pour nous aujourd’hui, pour qui le risque vital est quand même peu présent, mais qui connaissons des quantités de situations douloureuses pour nous-mêmes ou pour les autres, que répondons-nous à la question de Jésus « Qui dites-vous que je suis » ; aujourd’hui, à la lumière de la croix et de Pâques, ensemble, nous pouvons répondre qu’il est le Seigneur et Sauveur.

Mais chacun de nous, comment le désignons-nous ? en nous-mêmes, devant des amis coreligionnaires, devant des inconnus…. ? Est-ce que nous pensons à des propos de Jésus lui-même ; « je suis le pain de vie », « je suis le chemin, la résurrection et la vie », « Mon Seigneur et mon Dieu » par exemple ? Chacun de nous peut associer au nom de Jésus des paroles bibliques, des images, des interrogations…. Faites l’exercice pour vous, cela peut être amusant et/ou instructif …. La réponse, les réponses ne peuvent être que personnelles, vécues dans l’intimité de notre foi, et de nos doutes et interrogations. Et elles peuvent d’ailleurs évoluer selon les évolutions de nos propres vies et de nos réactions intellectuelles et affectives.

Peut-être aussi ne sommes-nous pas beaucoup plus au clair avec Jésus que ne l’étaient les disciples, et ne saurons-nous pas non plus le désigner, le décrire. Essayer de dire qui Jésus est, c’est un exercice passionnant, compliqué, pas réservé aux spécialistes de philosophies, ontologies, théologies, et qui peut nous intéresser nous aussi, qui peut nous faire progresser dans notre foi ou dans notre recherche ; mais c’est un exercice au fond purement intellectuel.

Finalement, la vraie question de Jésus, non posée dans le récit de Marc, est « veux-tu me suivre ? » C’est une question de foi, une question de confiance. C’est accepter de répondre à la confiance que Jésus met justement en nous, en nous proposant le suivre. C’est avoir une foi active – même si elle est contemplative -, mais au service des autres, du prochain et à Son service. L’épitre de Jacques nous rappelle que la foi sans œuvre aucune, est « morte en elle-même ». Demandons à Dieu que dans Sa grâce, notre foi, aussi faible soit-elle, reste ou devienne active.

AMEN

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