Lectures Bibliques : Psaume 146 – Jean 18,33-38 – Luc 2,22-40
Prédication :
Un couple arrive au Temple. Un couple comme tous les autres couples. Monsieur et Madame Tout-le-Monde. Ils viennent simplement remplir les obligations religieuses normales après une naissance : purification de la mère 41 jours après l’accouchement (Lév 12,3) et consécration à Dieu du premier-né de la famille (Ex 13,2). Tout cela est parfaitement normal et ne mérite aucune attention particulière de notre part. Jésus sera un bon juif comme le reste de sa famille.
Un inconnu arrive au temple. Il prend l’enfant dans ses bras et les parents laissent faire. On les imagine volontiers mi fiers mi surpris, attentifs et prudents. Soudain, l’inconnu se met à parler. Les paroles d’un illuminé. Tenant leur bébé de quelques semaines à bout de bras, il explose de joie : « Oui Seigneur, je peux mourir maintenant : je sais que tu as tenu ta promesse. Le salut est là au creux de mes mains et moi, je n’ai plus peur de rien. Je suis comblé, rassasié. Tout est accompli maintenant, je le sais. Que pourrais-je espérer d’autre ? »
Stupéfaction des parents : Qu’est-ce qui lui prend ? Aurait-il reçu une révélation spéciale ? Le voilà qui se prend pour un prophète. S’adressant directement à Marie, il décrit l’avenir de son fils, sa mission difficile qui suscitera violence et réactions contradictoires, la chute et le relèvement de beaucoup. Il annonce aussi à Marie la douleur inéluctable qui lui transpercera l’âme comme une épée… Quel crédit accorder à de telles paroles. Est-ce un fou ? Un prophète ? Faut-il écouter ce qu’il a à dire ? Trop tard. La prophétie de Siméon se répand déjà. Une petite vieille a tout vu, tout entendu. Mais qui est-ce ? Pour des gens socialement bien intégrés comme nous, elle n’est personne. Une pauvre veuve qui a toujours été là. Elle aurait 84 ans dit-on ! Elle se serait installée dans le temple juste après le décès de son mari, 7 ans après leur mariage. La pauvre… Depuis, elle dit qu’elle sert le Seigneur. Jeûnes et prières constituent son pain quotidien… Une pauvre vieille à qui personne ne fait vraiment attention. Et la voilà qui arrive à ce moment et se mit à louer Dieu. Et elle parlait de l’enfant à toutes les personnes qui attendaient que Dieu délivre Jérusalem. Elle fait comme sur Facebook ou Twitter. D’un clic, elle partage la nouvelle qui se répand avant même qu’on ait pu la vérifier, la recouper, la valider, l’authentifier. Véritable information ou fake-news ? Nul ne peut le dire encore. Elle, elle fait confiance à la parole de Siméon et a décidé de la partager à son tour en toute simplicité, en toute naïveté peut-être.
Tout commence donc par une parole personnelle adressée à des parents concernant l’avenir de leur enfant. Et immédiatement, cette parole est arrachée au cercle familial pour être partagée dans l’espace public. Et toujours cette question lancinante : fallait-il faire confiance à cette parole ? Dans le brouhaha de ce qu’on entend, à propos de Donald Trump, du Brexit, de l’épidémie virale venue de Chine ou de la parole de l’Évangile, que croire et qui croire ? Comment discerner la vérité du mensonge ? Comment savoir ce qui est vrai et ce qui est faux ? Peut-on encore espérer une parole d’Évangile à l’heure des fake-news ? Pour analyser la crédibilité d’une parole quelle qu’elle soit, nous avons intérêt à bien repérer les 3 points de fragilité potentielle de la parole en question en nous posant 3 questions : Qui est le porteur du message ? D’où vient le message ? Et quel est donc ce message en lui-même ?
Est-ce que le messager est crédible ? Luc prend la peine de présenter Siméon comme un juste qui honorait Dieu autrement dit, quelqu’un qui suit la Loi de Moïse avec une fidélité sans faille. Et puis, Luc renforce la crédibilité de Siméon par celle de Anne. Parce qu’elle n’est pas seulement une pauvre veuve : elle est aussi et surtout une prophétesse, c’est à dire quelqu’un qui sait quand une parole vient de Dieu. Mais ce n’est pas tout. Luc nous dit qu’elle est fille de Pénouel. Et Pénouel, c’est le nom donné par Jacob au lieu où il s’est battu contre Dieu (Gen 32,23-32) et ce nom signifie « Face de Dieu ». Autrement dit, Siméon est un juif fidèle et juste et Anne a vu Dieu en face-à-face. Mais cela ne suffit pas : l’origine du message est aussi déterminante pour établir sa crédibilité. Or, nous dit Luc, le message délivré par Siméon et relayé par Anne vient de Dieu : l’Esprit saint était avec lui… et c’est inspiré par l’Esprit que Siméon est allé au temple ce jour-là. Quant à la crédibilité du message lui-même, on sait que, comme tout le monde en Israël, Siméon attendait celui qui devait sauver Israël. L’Esprit Saint lui avait appris qu’il ne mourrait pas avant d’avoir vu le Christ envoyé par Dieu. Alors quand il a tendu l’enfant dans ses bras, une certitude est née dans son cœur, indéfectible : Tu peux laisser ton serviteur aller en paix car j’ai vu de mes propres yeux ton salut… Existe-t-il plus grande force de conviction et de crédibilité que d’asseoir ce que l’on croit sur ce que l’on a soi-même expérimenté ?
Mais, est-ce que cela nous suffit, à nous qui entendons ces paroles en février 2020 ? Pouvons-nous dire avec assurance que la véracité de ce qu’il annonce est établie et que nous sommes convaincus : 1. Que la Bible dit vrai 2. Que Jésus est le sauveur du monde. Et nous pourrions ajouter : 3. Que Jésus est Dieu 4. Qu’il est vraiment ressuscité 5. Que nous pouvons faire confiance à ceux qui parlent comme des prophètes, etc. De fait, notre monde ne ressemble plus du tout à celui du temps de Jésus. Non pas que nous soyons plus intelligents ou plus rationnels, plus évolués ou mieux informés… mais nous n’avons plus du tout le même rapport à la vérité.
Au temps de Jésus et pendant des siècles, la vérité résidait dans la parole donnée : le locuteur (celui que j’ai appelé le porteur du message) tenait une place essentielle et la vérité de son discours était adossée à son statut et sa fonction autant que son autorité et son charisme. La révolution de l’imprimerie au XVe siècle a déplacé l’autorité vers le livre et ceux qui lisent les livres : le protestantisme est né de cette révolution. C’est écrit donc c’est vrai. L’autorité des Écritures supplante celle des hommes d’Église et de la tradition. Celui qui sait lire possède la connaissance et donc, dit le vrai. Aujourd’hui, la révolution numérique redistribue toutes les cartes et l’arrivée d’internet consacre sous nos yeux stupéfaits l’avènement de l’ère de la post-vérité. « Quand les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles » dit le Oxford English Dictionnary. Autrement dit, la radicalisation ne touche pas que les religions : elle affecte également le relativisme des opinions jetant un manteau d’indifférenciation et de confusion sous lequel « toutes les vaches sont grises » comme disait Hegel. Désormais, nous considérons comme vrai ce que nous ressentons comme vrai. Certains vivent une post-vérité déprimée sous le règne d’un relativisme radical : « Au fond, il est impossible de savoir ce qui est vrai. » Tandis que d’autres professent une post-vérité arrogante sur fond d’inculture crasse et de paresse intellectuelle : « J’ai le droit de penser ce que je veux ! » Et nous voyons fleurir sur la toile les théories du complot les plus folles sur fond de défiance profonde contre toutes les institutions et les médias officiels. Nous voilà submergés par une désinformation débridée qui ne cherche plus tant à imposer un mensonge qu’à désorienter l’opinion en noyant la distinction entre vérité et fausseté sous un baratin continu, un flot ininterrompu d’affirmations aussi péremptoires qu’invérifiables. Souvenez-vous du roman de Flaubert, Bouvard et Pécuchet, qui explorait avec beaucoup humour les confins de la bêtise produite par la masse des informations ingurgitées sans être maîtrisées. Aujourd’hui, Wikipédia oblige, chacun se rêve tour à tour médecin, astronaute, botaniste, spécialiste en géopolitique ou en permaculture. Se méfiant de tous et de tout le monde, nous développons une sorte de paranoïa du doute radicalisé reprenant à notre compte l’hypothèse du « malin génie » proposée par Descartes : il doit y avoir une volonté derrière ce complot (les juifs, les reptiliens, les banquiers, les élites corrompues, le gouvernement… que sais-je encore). Dès lors chacun bricole sa petite vérité dans son coin, une vérité sur mesure, ubérisée, prenant sa propre bêtise pour une parole d’Évangile. Comme le disait si bien Umberto Eco : « Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui avant ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. »
On a envie d’appeler au secours et nous attendons tous la venue d’un Messie qui nous sauvera de cette nasse. Mais que pourrait-il faire ou dire quand il n’y a plus d’argument d’autorité qui puisse être imposé de manière à être cru du simple fait d’être énoncé. Il n’y a pas lieu de regretter cette situation passée qui consacrait le forcement des consciences. Mais à l’inverse, la vérité d’aujourd’hui est noyée dans la multiplicité des autres messages concurrents. Il n’y a pas de démonstration rationnelle possible quand il n’y a plus que des opinions qui s’affrontent. Alors de quoi avons-nous besoin aujourd’hui pour accorder notre confiance ? Je crois que trois ingrédients sont nécessaires qui s’articulent et se complètent : une part de rationalité et de compréhension (ne cédons pas sur notre intelligence), une part de confiance et de relation (à qui puis-je faire confiance ?) et une part d’expérience et de vécu personnel (j’ai vu mon salut de mes propres yeux).
Reprenons notre question de départ : Est-ce que Jésus est le sauveur du monde ?
– Nous pouvons démontrer rationnellement que notre monde a vraiment besoin d’être sauvé, libéré, guéri : du règne de la post-vérité, de la bêtise et du bavardage, de sa peur de disparaître sous des catastrophes toujours plus meurtrières, de l’injustice dans la répartition des richesses et des libertés qui suscite un véritable ressentiment, une colère et une violence sans limite, de l’absurde d’une vie passée à courir après toujours plus de consommation d’objets aussi inutiles que coûteux, de la sensation de vies enfermées et paralysées… Oui, c’est vrai, notre monde a besoin d’être sauvé.
– Est-ce que la venue de Jésus constitue une réponse à ces défis et cette quête d’un salut ? Est-ce qu’il apporte une solution crédible quand le monde affronte de telles difficultés ? Oui je le crois profondément parce que je le vis personnellement. Voici notre 2ème ingrédient indispensable : le vécu et l’expérience personnelle sont devenus des critères déterminants pour la vérité. J’ai fait ici parmi vous l’expérience personnelle d’un salut, d’un renouveau, d’une résurrection et je souhaite partager cette expérience, ce vécu personnel dont je témoigne devant vous aujourd’hui. Quand je suis arrivé ici j’étais un pasteur en mauvais état arrivant dans une paroisse en mauvais état : blessé et abattu par une expérience très dure dans mon précédent ministère, vous m’avez guéri et relevé. La résurrection de notre paroisse et à l’image de la résurrection de son pasteur. Nous l’avons vécu ensemble. C’est une réalité dont nous pouvons témoigner ensemble.
– Est-ce que cela peut être vrai pour le reste du monde ? Seuls ceux qui peuvent nous faire confiance seront en capacité de recevoir le témoignage de notre vécu comme pouvant être valable pour eux aussi. Cela exige une relation de confiance réciproque et donc une rencontre, une présence et un partage entre ceux qui ont fait l’expérience du salut en Jésus-Christ et celles et ceux qui en ont besoin. Sans relation de confiance, pas de partage possible, pas de témoignage crédible, pas de salut pour le monde. Partager la Bonne Nouvelle nous demande donc de sortir de notre zone de confort. Que nous disent Siméon et Anne ? Siméon nous annonce que Jésus est vraiment le sauveur mais que cette vérité ne s’imposera jamais ni par la force ni par la preuve ni par l’argument d’autorité : la vérité de Jésus ne s’impose pas parce qu’elle subit et provoque la contradiction et l’opposition. C’est inévitable. Mais en même temps Anne la prophétesse nous rappelle qu’une parole joyeuse et habitée portée par une petite veuve insignifiante peut suffire à propager la Bonne Nouvelle du salut pour le monde entier. Désormais cette responsabilité nous échoit. Amen.
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