En Jésus, une nouvelle page de l’histoire de Dieu avec les humains commence (nouvelle alliance)
Les dimanches de ce mois d’octobre, en suivant le lectionnaire catholique romain, sont jalonnés par la lecture et l’écoute des paroles de jugement prononcées par des prophètes sur l’histoire de l’humanité, sur notre histoire. Ezéchiel dimanche dernier, Esaïe ce dimanche et les deux suivants. Je sais que le mot « jugement » a mauvaise presse. Juger, ce serait culpabiliser, plonger dans le scrupule et le découragement, s’imaginer supérieur aux autres et moraliser. Dire de Dieu qu’il nous juge, ce serait lui prêter un visage sévère, accablant pour ceux qui croient en lui, décevant pour ceux qui n’y croient pas. Du même coup, les prophètes du jugement deviennent des corbeaux de malheur, des figures de malédiction qui vont aggravant la détresse humaine ; j’entends et je sais tout cela. Mais, pour un instant, imaginez l’inverse ; que l’histoire de l’humanité, que nos propres vies n’aient aucun Dieu pour les juger.
Alors, il faut le voir et le dire, il n’y aurait plus aucune justice, car l’histoire n’est jamais sans son propre jugement. Tout arriverait et tout se passerait sans que personne ne vienne dire et manifester le droit. Si Dieu — le juge — s’efface, l’arrogance et l’oubli, le chagrin et la pitié, la chance et le hasard le remplacent. Pour le peuple de la Bible, supprimer la justice de Dieu, ce serait éterniser les ténèbres.
Il nous est certes dit de ne pas juger notre prochain, car ce serait se mettre soi-même à la place de Dieu ; mais il nous est aussi fortement dit d’apprendre et de nous souvenir que chacun, chacune de nous a Dieu lui-même comme juge. Ce n’est pas là notre accablement, mais notre foi, notre espoir, et finalement notre joie. J’écoute donc avec vous ce que le prophète dit ici sur Dieu, notre juge, et le récit qu’il fait de sa justice.
Ce récit se retrouve identique dans l’Ancien Testament, avec le chant du prophète Esaïe sur le bien-aimé et sa vigne comme dans le Nouveau Testament, avec la parabole de Jésus sur les vignerons, meurtriers de l’héritier de la vigne.
On ne peut donc absolument pas opposer à l’Ancien Testament, qui serait le récit du jugement sans amour, le Nouveau Testament, qui serait le message de l’amour sans jugement, car, les deux fois, l’amour vient dans le jugement lui-même. L’amour de Dieu comporte la totalité de sa justice ; sinon, cet amour serait fadeur et pourriture. Le prophète Esaïe et Jésus, de manière identique, nous racontent la conduite de Dieu, notre juge. Ce juge, dans les deux récits, commence par nous faire totalement confiance. Esaïe l’appelle son ami, notre ami, qui nous confie sa vigne, une vigne bien placée sur un coteau, sarclée, dépierrée, avec un plant de choix, destiné à donner un excellent vin. Il y a suffisamment de Français vignerons et amateurs de bon vin pour savoir parfaitement ce que cela veut dire.
La vigne est choisie comme exemple pour deux raisons : elle donne un produit qui réjouit le cœur et, plus qu’aucune autre culture, elle réclame des soins tout au long de l’année, sans relâche, sans saison morte.
Ainsi va Dieu, nous disent Esaïe et Jésus. Il nous donne nos vies comme des vignes, dont il attend normalement de beaux raisins. Notre Dieu, notre juge, est un donateur, cet ami qui nous fait confiance. Alors Dieu s’en va et il nous laisse seuls avec sa vigne.
On a beaucoup parlé du départ de Dieu, de l’absence de Dieu, du silence de Dieu. La Bible en parle aussi, mais d’une manière que nous comprenons mal. Dieu s’en va, non parce qu’il nous oublie, mais, au contraire, parce qu’il nous fait totale confiance. Dieu n’est pas un patron, un contremaître, un inspecteur, un surveillant, un contrôleur, un sergent, peut-être un père ou une mère toujours sur notre dos à nous épier, à nous regarder, à nous surprendre, donc à nous mettre en faute.
Le maître de maison part en voyage. Dieu s’en va.
L’incroyable liberté humaine est le produit même de la totale confiance de Dieu en nous, car sans la confiance d’un autre, la liberté n’est souvent qu’une solitude. Les prophètes ne parlent pas tout le temps dans l’Ancien Testament et, dans le Nouveau, après sa résurrection, Jésus disparaît et s’en va. Dieu nous donne sa vigne et c’est à nous, à nous seuls, de faire mûrir les raisins. L’histoire est notre affaire, car Dieu nous l’a confiée.
Au moment des vendanges, Dieu revient. Mais, entretemps, nous disent les deux récits, la vigne est devenue stérile. La création s’est transformée en chaos, l’histoire en meurtre, la confiance en gâchis. Bien sûr, nous pouvons dire que c’est là une vision bien pessimiste des choses et que Dieu, en quelque sorte, noircit nos existences pour se rendre lui-même indispensable comme sauveur. Nous pouvons dire que le message biblique est un « truc » qui plonge l’être humain dans le péché et le culpabilise pour l’obliger à dire ensuite pardon et merci. Nous pouvons nous imaginer que la religion est une névrose artificielle, destinée à favoriser une rédemption, tout aussi artificielle. On peut imaginer ainsi un Dieu heureux d’avoir produit des hommes malheureux qui auront enfin besoin de lui.
Mais ce Dieu-là, frères et sœurs, n’est pas celui que nous racontent nos deux histoires. Il s’agit d’un Dieu triste, comme un ami devient triste quand il découvre le gâchis de sa totale confiance. Le prophète insiste : notre ami avait tout fait pour sa vigne. Jésus précise, en rappelant les destinées des prophètes : vous les avez successivement frappés, tués, lapidés. Et quand le Fils lui-même est venu, nous l’avons tous crucifié.
Car la croix de Jésus-Christ n’est pas une erreur judiciaire, un malheureux malentendu, un incident de parcours, une bavure. Elle est la résultante de notre histoire, collective et personnelle.
Alors, que va faire le juge, bafoué dans sa confiance ?
Il est dur dans la vie d’ouvrir les yeux, semble-t-il trop tard, quand notre lucidité n’est qu’une rétrospective vaine, quand nous n’aurions plus qu’à payer pour un passé joué. Si la justice humaine est si souvent, insupportable, c’est parce qu’elle a ce goût amer de la punition, qui nourrit la révolte, qui elle-même nourrit la propre justice. Dieu le juge est-il donc comme les juges humains : celui qui arrête nos vies par sa sentence ? Ou encore Dieu est-il, à la rigueur, un ami qui viendrait se plaindre et peut-être nous plaindre ? Non, Dieu est comme un homme résolu : il donnera sa vigne à d’autres (une autre nation) qui, eux, sauront lui faire rendre du fruit.
Frères et sœurs, dans l’évangile de Matthieu, la parabole des vignerons est encadrée par la parabole des deux fils et par celle des invités au festin, qui, toutes les deux, racontent un Dieu qui invite d’autres humains à sa joie : une fois des collecteurs d’impôts et des prostituées, une autre fois des passants sur les chemins, des bons et des mauvais.
Dieu en trouvera d’autres si nous gâchons sa vigne. Etonnant jugement qui ne s’arrête pas à l’échec, qui ne s’enferme pas dans la déception. Mais pourquoi ne serions-nous pas nous-mêmes ces autres, les trouvés de Dieu, et non plus les ingrats de Dieu, les derniers qui deviennent premiers et non plus les premiers qui deviennent peu à peu derniers ?Pourquoi ne serions-nous pas joyeux de la grâce, au lieu de rester amers du jugement ? Pourquoi nos vies ne deviendraient-elles pas, à la suite de Jésus, la pierre angulaire, des merveilles et non plus des rejets ?
Dieu le juge, qui est notre ami, attend de nous le changement de nos vies. Un changement radical. Une véritable conversion.
Amen !
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