Lectures Bibliques : Actes 9, 3-9 & 26-29, Jean 3, 16-21
Prédication
Le texte que nous venons de lire fait suite au récit de la rencontre et du dialogue de Jésus avec Nicodème venu le voir la nuit. Pour venir voir Jésus, Nicodème, qui est un pharisien, a préféré les ténèbres qui dissimulent et protègent, à la lumière qui expose et dénonce. Et notre texte reprend cette dualité des ténèbres et de la lumière, dans le verset 19 :
« Et voici le jugement : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont aimé les ténèbres plus que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises »
Dans ce verset, retenons ces deux termes : lumière et ténèbres. Deux termes qui s’opposent nettement, qui nous conduisent à privilégier la lumière, même si nous pouvons comprendre Nicodème, le visiteur de nuit. Nous aussi pouvons être Nicodémites comme disait Calvin, et préférer les ténèbres.
La lumière n’est pas seulement un thème majeur dans l’Evangile de Jean. Elle occupe une place, importante et chaleureuse, dans la Bible. Nous allons voir pourquoi. Elle est un symbole très riche et même une évidence.
Et, pour nous chrétiens, ou qui essayons de l’être, ce n’est pas seulement une évidence, c’est aussi une exigence et nous essaierons de voir comment joindre l’évidence et l’exigence.
D’abord, la lumière est une évidence dans la Bible, et bien sûr, dans l’Evangile de Jean.
Je ne vais pas citer tous les passages de Jean qui font référence à la lumière, mais seulement le Prologue, qui est magnifique :
« Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Tout a été fait par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. Elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas accueillie ».
Outre le lien avec la Parole, le Verbe, le Logos, nous retrouvons la même opposition entre la lumière et les ténèbres, et la préférence des hommes, disons aujourd’hui des humains, pour les ténèbres.
Cette antithèse lumière/ ténèbres, nous la retrouvons, à plusieurs reprises, dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament.
De manière évidente, dès le début de la Genèse, nous savons tous quasiment par cœur le récit, si poétique, de la Création, et notamment du premier jour au chapitre 1 verset 3 à 5 :
« Dieu dit que la lumière soit. Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres. Dieu appela la lumière jour et il appela les ténèbres nuit. Il y eut un soir et il y eut un matin : ce fut un jour ».
C’est le premier jour de la Création, et là encore, le lien entre la parole, les ténèbres et la lumière.
Notons que le texte met le soir, et donc la nuit et les ténèbres, avant le matin et le jour. Les ténèbres, l’obscurité, précèdent la lumière. Celle-ci vient après les ténèbres. Cet ordre de succession est important. Plus que l’opposition ténèbres/lumière, c’est le passage des ténèbres à lumière, de l’obscurité à la clarté, qui est fondamental et sans cesse à refaire.
Cette dialectique des ténèbres et de la lumière, ce passage permanent des ténèbres à la lumière, doivent nous faire éviter l’opposition manichéenne entre les ténèbres et la lumière. Celle-ci, la lumière, a besoin de celles-là, les ténèbres. Il n’y a pas de Résurrection, de victoire lumineuse de la vie, sans la Croix du Christ plongée dans les ténèbres de la mort.
Si vous allez dans un des plus beaux villages de France, en Provence, qui a beaucoup souffert de la violence des guerres de religion au XVIème siècle, les Baux-de-Provence, vous pourrez voir, en montant vers le Château, sur le linteau conservé de la porte d’une maison en ruines, l’inscription « Post tenebras Lux », témoignage émouvant de la Réforme aux Baux-de-Provence. La lumière après les ténèbres, comme est aussi souvent présentée la Renaissance après le Moyen Age, les « Dark Ages » « les âges sombres ». Même si cette opposition peut paraître simpliste, elle est ô combien porteuse d’espérance.
Dans le Nouveau testament, dans l’Evangile de Mathieu, nous retrouvons la lumière lors de la naissance de jésus. C’est l’étoile qui guide les mages d’Orient vers Bethléhem.
Ensuite, c’est la succession des ténèbres et de la lumière, dans le récit de la mort du Christ et de sa résurrection. Au verset 45 du chapitre 27 :
« Depuis la sixième heure jusqu’à la neuvième heure (midi à 3 heures), il y eut des ténèbres sur toute la terre »,
Puis, au chapitre 28, aux versets 1à 3, à l’aube du troisième jour, l’ange du Seigneur, qui apparaît à Marie et Marie-Madeleine, « est comme l’éclair et son vêtement blanc comme la neige », donc très lumineux. C’est là encore le passage des ténèbres de la mort à la lumière de la résurrection, le triomphe de la vie et de l’espérance sur la mort.
Le dernier exemple que nous allons citer est celui des Actes des Apôtres que nous avons lu, au chapitre 9, les versets 3 à 9, la conversion de Saül. C’est la lumière et la voix du Seigneur qui le terrasse, l’éblouit et le rend aveugle pendant trois jours. Il lui faut ce temps pour recouvrer, grâce à un disciple à Damas, la vue et aussi l’appétit. C’est alors un cheminement plus complexe entre la lumière, qui d’abord éblouit jusqu’à rendre aveugle, à la lumière retrouvée grâce à l’aide d’un disciple.
Ce qui nous conduit à la symbolique de la lumière dans la Bible. Thème inépuisable que ce thème de la lumière. Nous n’allons pas l’épuiser évidemment.
- La lumière, c’est la vie.
- C’est le Christ lui-même, incarné, fait homme, venu au milieu des hommes
- La Lumière, c’est la vérité, la révélation, par opposition aux ténèbres, qui symbolisent l’ignorance ou les erreurs.
- C’est la vie éternelle, ici et maintenant pour nous, et pas seulement pour après la mort.
- D’où le rite de la lumière, la présence de bougies dans la religion juive, chez les orthodoxes ou les catholiques.
- Ici même, grâce à Louise, nous n’avons pas seulement de superbes bouquets, mais nous avons aussi des bougies et notre rite de la lumière.
- La lumière, c’est aussi le bien par rapport au mal. Le diable n’est-il pas nommé « Le prince des ténèbres » ?
- Evitons toutefois de tomber dans une vision manichéenne de la lumière et des ténèbres, ou dans une perception totalement négative de l’ombre. On peut préférer le soleil vu à l’ombre, au soleil regardé en plein soleil. La part d’ombre correspond aussi à la part de mystère en chacun de nous, mal connue de nous-même.
- Et Il y aura toujours un profond mystère de Dieu, un profond mystère de la Trinité.
- La lumière est encore le reflet ou la marque de l’amour de Dieu, qui nous guide comme l’étoile guidait les mages.
Dans cet aria du catalogue, chacun de nous peut choisir sa partie mélodique, sa vision de la lumière.
Pour moi, la lumière, c’est le point final lumineux de la ligne de fuite, au bout d’une allée d’arbres dans un tableau.
C’est dans la dialectique ténèbres/lumière, la victoire à conquérir chaque jour sur les forces de l’ombre. C’est ce parcours de l’obscurité du sous-bois à la clarté de la clairière, qui est justement l’exigence de la lumière.
Pourquoi parler d’exigence de la lumière ?
Est-ce-que la lumière est seulement un don gratuit de Dieu qu’il suffit de recevoir ? Ou devons-nous agir, et sortir des ténèbres pour accéder à la lumière, à la vie, à la vérité ?
Pour recevoir, il faut donner. Car, si la lumière est une évidence dans la Bible, si elle nous est donnée chaque jour par le lever du soleil, comme la grâce divine, encore faut-il accueillir la lumière, ainsi que l’écrit Jean dans le Prologue de son Evangile.
Or, nous ne sommes pas toujours prêtes à accueillir la lumière.
Mais pourquoi les hommes, et nous-mêmes d’ailleurs, préférons-nous, parfois ou souvent, les ténèbres ? Parce que leur œuvres sont mauvaises, écrit Jean et qu’ils veulent les cacher.
Et qu’est-ce que les ténèbres aujourd’hui ? On peut en retenir trois illustrations :
- c’est se livrer aux passions tristes, la peur, l’amertume, le désespoir, la jalousie, le ressentiment, voire la haine et la violence envers autrui, ou aussi envers nous-mêmes.
- c’est aussi choisir d’autres dieux, d’autres idoles, déifier la Nature, faire de l’écologie une nouvelle religion par exemple, ou ne viser que les succès terrestres, la fortune, la gloire, ou l’obsession pour le bien-être physique et mental.
- c’est encore le refus de toute transcendance, la sécularisation excessive, le choix exclusif de la raison contre la foi, sans chercher à les concilier.
C’est enfoncer des portes ouvertes que d’observer que la vie en France et en Europe est aujourd’hui largement sécularisée, sans référence à Dieu ni à la religion chrétienne. La déchristianisation en France est particulière sensible, en raison d’une conception radicale de la laïcité et de la méfiance à l’égard des religions.
A cet égard, il s’est produit un renversement de sens, principalement à partir du XVIIIème siècle, dit « Siècle des Lumières » :
- la foi, la croyance en Dieu, est devenue synonyme ou signe d’obscurantisme ;
- et la lumière, ce n’est plus la vérité révélée, mais la connaissance scientifique, rationnelle ou expérimentale.
- un esprit libre, c’est un esprit incroyant, l’athéisme revendiquant ou prétendant incarner la « libre pensée» .
Même pour les croyants, la tentation est grande d’avoir une vie totalement sécularisée, celle du travail, de la profession et des relations sociales, et une vie spirituelle, qui est réduite à la sphère intime, dans le secret de l’âme.
Nous sommes obligés, dans notre vie, professionnelle en particulier, de vivre la dualité de la raison et de la foi, même si nous essayons d’infuser la foi dans tous les aspects de notre vie et de sanctifier notre travail et nos activités.
Alors que faire, comment opérer le passage des ténèbres à ce qui demeure pour nous la vraie lumière, la lumière du Christ, la rencontre de Dieu, pour nous-même et au milieu de nos frères et sœurs ? C’est là, en effet, une exigence majeure.
La première voie, c’est la connaissance de la Bible, en tant que parole de Dieu, ou témoignage de la parole de Dieu, en tant qu’accès à la vie et à la vérité, pour nous éclairés par l’Esprit Saint. La lecture de la Bible devrait nous être très familière, quotidienne.
Et pas seulement la lecture, mais la compréhension et l’interprétation.
La Bible est très complexe. Ne serait-ce que les quatre Evangiles et l’enseignement du Christ tel qu’il nous est rapporté, plein de paradoxes et d’affirmations parfois choquantes ou difficilement compréhensibles. La Bible c’est à la fois toute notre humanité, avec ses péchés et ses malheurs, et la Bonne Nouvelle de la confiance en Dieu à travers la nouvelle Alliance, ce que nous rappelle Jean au verset 16 :
« Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle »
C’est cette confiance en Dieu, la foi, qui doit nous aider à répondre à la seconde exigence qui est l’action, le témoignage. Soyons dans le monde porteurs de la lumière, témoins de la lumière du Christ. Ce à quoi nous invite explicitement le texte de Jean, au verset 21 :
« Celui qui pratique la vérité vient à la lumière, afin qu’il soit manifeste que ses œuvres sont faites en Dieu ».
Texte qui fait écho à celui de Mathieu au chapitre 5, versets 14 à 16, chapitre qui relate le Sermon de Jésus sur la Montagne :
« C’est vous qui êtes la lumière du monde… Or n’allume pas une lampe pour mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. Que votre lumière brille ainsi devant les hommes, afin qu’ils voient vos œuvres bonnes, et glorifient votre Père qui est dans les cieux. »
Etre des témoins du Christ, des porteurs de sa lumière, n’est pas dangereux pour nous, au sens où il l’était pour l’apôtre Paul menacé de mort, comme nous l’avons vu. Mais ce n’est pas facile pour autant.
Pour beaucoup, les valeurs chrétiennes sont devenues des valeurs humanistes et prétendent ne plus se fonder sur la foi en Dieu. Alors, que faire pour montrer que nos œuvres sont faites en Dieu ? Non pas pour gagner notre salut, mais pour être des témoins vivants et lumineux de la « Bonne nouvelle ».
Etre témoins sans être prosélytes, sans prétendre convertir les autres, sans être agressifs ou arrogants. Nous savons que la foi ne se transmet pas. Mais peut-être pour permettre à d’autres de prendre conscience de l’étincelle divine qui est en chacun de nous, et contribuer à l’accueil de la grâce.
La voie est étroite pour parler de religion ou de croyance, pour témoigner de l’amour de Dieu ou du royaume de Dieu, ici et maintenant. Déjà nous ne savons pas discerner quelle est la part essentielle de Dieu et quelle est notre petite contribution, que Dieu attend de nous.
Cependant, si vous interrogez autour de vous des personnes sur leur itinéraire personnel, qui les a conduites à rejoindre l’Eglise réformée, beaucoup vous diront l’importance des rencontres, celles d’amis ou de proches, qui n’hésitaient pas à dire et montrer qu’ils étaient chrétiens protestants et que c’était un élément fondamental de leur vie et de leur identité, de ce qu’ils font et de qu’is sont.
Alors n’hésitons pas nous-mêmes simplement à être porteurs de lumières. Comment faire ?
Une première réponse, peut-être un peu frivole. Porter la croix huguenote. Cela reste un signe religieux discret dans l’espace public. Tellement discret que c’est tout au plus un signe de reconnaissance entre protestants. La plupart des gens ne la connaissent pas et ne savent même pas que c’est une croix.
Plus sérieusement sans doute, essayons de montrer des œuvres bonnes faites en Dieu. N’ayons pas peur. Parler de la foi chrétienne n’est pas un tabou. Trouvons notre voie personnelle pour être des témoins de la foi, de l’espérance et de l’amour, comme nous l’enseigne Paul, sans pour autant nous transformer en frères prêcheurs, mais surtout en agissant en chrétiens.
Il peut paraître présomptueux, ou excessivement optimiste, de penser comme notre ancien pasteur, Samuel Amedro, que « Les chrétiens pourraient changer le monde » [Titre du cycle de conférences de carême 2021 édité par Olivétan].
Remarquons d’ailleurs que Samuel reste réaliste, en utilisant le conditionnel. Et nous ne pouvons qu’adhérer à la conclusion de sa dernière conférence :
« Nôtre rôle, notre mission, notre vocation consiste à redonner le courage d’être comme disait Paul Tillich, la puissance d’agir, le désir d’inventer et de créer du neuf, l’envie d’aimer le monde et les autres, la capacité à imaginer demain face à tous ceux qui sont paralysés par la peur, la colère ou la dépression. Ce n’est qu’à cette condition que l’Evangile redeviendra une Bonne Nouvelle. »
Et si nous doutons, légitimement, de nos capacités, redisons cette prière de Michel-Ange :
« Seigneur, accordez-moi la grâce de toujours désirer plus que je ne peux accomplir ».
Autrement dit, accomplir davantage, en sachant que c’est une petite part de l’action de Dieu dans le monde.
Continuons à désirer être toujours porteurs de lumière, au-delà de nos capacités limitées et de nos faiblesses pour avoir la force d’agir. Et faisons confiance à la liberté humaine et à la grâce divine.
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