« Des chrétiens savoureux ? »

  • Qui de vous n’a jamais eu besoin d’une toute petite lumière dans la nuit (veilleuse) – ou de la porte de la chambre ouverte sur le couloir – pour bien dormir ?
  • Qui n’a jamais eu peur dans le noir, même à la première nuit sous tente ?
  • Et qui de vous mange ses frites sans sel ?
  • Qui a déjà félicité le cuisinier quand il avait oublié d’assaisonner les spaghettis et la sauce tomate ?

On n’imagine pas un repas sans sel. On n’imagine pas une vie sans lumière. Et on n’imagine pas un monde sans amour et sans paix.

 « Vous êtes le sel de la terre ; vous êtes la lumière du monde » Paroles familières. Très connues.
Trop connues ? C’est qu’avant même d’avoir pris la peine de lire (ou de relire) le texte, nous croyons en connaître déjà la fin. Pourtant, même si elles sont trop connues, ces paroles nous unissent. Nous les entendons souvent. Les mariés aiment bien choisir cet extrait d’évangile pour le temple ou l’église. C’est fort, c’est concret, ça a du sens.

A l’époque, et nous le sentons encore aujourd’hui, le sel et la lumière sont indispensables pour la vie, humaine, végétale et animale.

Cela dit, pour donner de l’eau au moulin des sceptiques, ne sommes-nous pas dans un rêve où Jésus nous bercerait d’illusions trop douces, trop apaisantes, tranquillisantes, … anesthésiantes ?

Et si ce texte, en l’examinant de près, ne laissait pas apparaître une réalité plus difficile à entendre ; à savoir que :

 La puissance de l’homme, c’est de cacher l’Evangile, la force du Christ, c’est de le révéler

L’évangéliste Matthieu envisage en effet que le sel puisse perdre sa saveur (chimiquement impossible) et qu’une ville sur une hauteur puisse être cachée : Si le sel devient fade (…) Il n’est plus bon qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les hommes. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée.

Si le sel ne peut perdre sa saveur, l’auteur biblique veut nous faire comprendre que la prouesse de l’humanité serait donc justement de faire perdre la saveur au sel …

Bien sûr qu’une ville sur une hauteur ne peut être cachée. L’homme, toujours selon l’auteur, a le pouvoir paradoxal de faire perdre sa force éclairante à la lumière. Ainsi, si l’humanité cache l’Evangile,  le Christ, lui, le révèle. Le Christ révèle l’Evangile, agit, prêche, guérit, enseigne, se déplace.

Au début du chapitre 5, ce sont les Béatitudes qui ouvrent le sermon sur la montagne.

Dans notre passage :

« Vous (auditeurs des béatitudes, fondés sur la présence et l’activité du Christ), vous êtes la lumière du monde »

« Vous, vous êtes la lumière du monde, afin que les hommes  voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux »

Habituellement on ne remarque pas qu’il y a du sel dans la soupe. C’est comme la lumière, bien souvent on n’y fait pas attention. C’est l’absence de sel ou l’obscurité que l’on remarque.
Parfois on s’émerveille de la beauté de la lumière dans les vitraux ou du soleil couchant au mois de juin le long de la Seine. Ainsi en va-t-il des bonnes œuvres des disciples de Jésus. Habituellement on ne les remarque pas.

La saveur de l’Evangile est justement de mettre en marche, de pousser à annoncer, vivre et partager la foi, l’espérance et l’amour.
Une Eglise vivante assure une double écoute : écoute du monde et écoute de la Parole de Dieu pour y discerner sa mission. Bref l’Eglise écoute, reçoit la Parole et cette parole mobilise pour le témoignage devant les hommes de chaque croyant. Pour le dire autrement : l’Esprit saint réunit, constitue l’Eglise dans une double écoute : celle de la misère du monde qui gémit après son salut et celle de la parole de consolation de Dieu. L’Eglise n’a que ce seul fondement : ce moment de la double écoute. Elle ne donne pas ce qu’elle possède. Mais ce qu’elle reçoit. L’Eglise est comme un cœur qui bat, le temps de la contraction, du rassemblement, de la communion étroite, du partage fraternel. Fort de cette contraction, l’Eglise est envoyée, prête à servir Dieu et le prochain.
Pour le dire avec le réformateur allemand Martin Luther, l’homme est juste en vertu du pardon que Dieu lui accorde et qu’il reçoit par la foi.

Cela dit, cela ne s’arrête pas là, nous ne sommes pas appelés à être des justifiés oisifs, des pardonnés passifs, … Le pécheur – justifié est appelé à s’occuper des œuvres bonnes que réclame la loi et produit en lui la foi. Il est rendu capable des œuvres justes. Le bon arbre porte nécessairement de bons fruits. Je cite Martin Luther : « Des œuvres bonnes et justes ne font jamais un homme bon et juste, mais un homme bon et juste fait des œuvres bonnes et justes ». En théologie, cela signifie que personne ne se rend bon par ce qu’il fait.

L’Evangile enseigne, non pas ce que je dois faire mais ce que Christ a fait pour moi (Cf. les Béatitudes : pour toi, j’ai été le pauvre de cœur, l’affligé, le humble, l’affamé et assoiffé de justice, le miséricordieux).

C’est en recevant cet enseignement au moyen de la foi que je suis rendu libre pour agir conformément à ce qu’exige la loi : « C’est le Saint Esprit qui pousse l’homme à tous les exercices de la piété, à l’amour de Dieu, à la patience dans les afflictions, à la prière, à l’action de grâces et à la charité envers tous » (MLO XV, 166-167)

Il s’agit donc pour les hommes de recevoir l’Evangile et d’être les portes paroles de Bonne Nouvelle. Annoncer le salut en Jésus-Christ, des porteurs de sel et de lumière pour la terre et le monde.

Qu’avons-nous à faire aujourd’hui ? Jésus ne nous appelle pas à faire le bien « pour » être remarqués. Jésus nous invite à faire le bien comme Dieu crée le ciel et la terre, dans la discrétion : « Donnez gratuitement ce que vous avez reçu gratuitement » ; et encore « que ta main droite ignore ce que fait ta main gauche ».
Le désir et la joie de Jésus c’est que les hommes, les femmes et les enfants de cette terre soient heureux. Qu’ils se rendent compte ou non d’où viennent cette joie et ce don.

Les chrétiens protestants aujourd’hui, sont-ils de ceux qui aident à la révélation du Christ, ou sont-ils de ceux qui la cachent ? Sont-ils sel de la terre et lumière du monde, ou sont-ils fades et éteints, des beaux parleurs qui diluent le sel et éteignent la lumière ?

Jésus ne dit pas : « Toi, tu seras porteur de lumière, tout seul. » Mais il dit « Vous« . « Vous êtes lumière – ensemble. » Ensemble, vous pouvez beaucoup. Prenez conscience de l’énergie qui est en vous, de l’énergie de vie, d’amour et de paix. Ne la cachez pas. Utilisez-la, faites-la vivre. Et entraînez-vous, comme les sportifs, à entretenir votre énergie (développer la vie fraternelle).

Cela dit, Jésus ne nous encourage pas à « en mettre plein la vue » ou bien à « mettre son grain de sel » partout où nous le pouvons.

Demeurer sel de la terre est possible grâce à l’intime communion avec le Christ. Car lui se fait nourriture. Il nous éclaire de sa lumière pour qu’à notre tour, nous soyons lumières pour éclairer autour de nous.

Dieu vous aime tels que vous êtes. Il partage et donne la lumière en vous. Il voit aussi que sans vous, la vie serait fade comme un repas sans sel. Il veut que vous ayez votre rôle à jouer, même étant jeunes, même en étant âgés. Il y a de la place dans le service et l’action pour chacun. Pas tous seuls mais dans le cadre d’une communauté solidaire. Il attend votre présence, votre parole et votre action, il les attend avec toute la joie de son amour.

L’Évangile nous pousse à mettre du sel dans nos mots, pour réveiller chez nos contemporains le sens du goût et, enfin, apprécier la saveur authentique de l’existence humaine. L’Évangile n’est pas un discours périmé, qui prend la poussière, qui moisit avec les années et finit par pourrir, mais une parole impérissable, c’est-à-dire toujours actuelle, stable, fiable, solide, fraîche, à laquelle on peut toujours venir s’alimenter quand on en a soupé des fausses promesses et des consolations illusoires. De ce point de vue, le sel de l’Évangile est un conservateur – pas au sens étroitement moralisant du terme, mais au sens où il protège, abrite, sauvegarde ce qui est susceptible de nourrir, en nous, la faim de vérité, de justice et de liberté qui nous tient éveillés et vivants. La pincée de sel de l’Évangile n’a rien de la poudre aux yeux qui essaye d’aveugler, au contraire : elle ouvre le regard pour qu’on sache discerner la vraie valeur des choses, sans tomber dans le piège de l’image flatteuse et de la publicité séductrice.

Frères et sœurs, que l’Évangile du Christ nous aide à être le grain de sel dont ce monde a besoin pour apprendre à savourer le festin de la grâce.

Amen.

 

 

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