Suivant la proposition des responsables de la semaine de prière pour l’Unité des chrétiens, vous avez retenu, Frères et sœurs, le thème de l’hospitalité en écho à celle que les Maltais ont réservée à l’apôtre Paul. Permettez-moi d’emblée de vous remercier de la mise en pratique de la suggestion en accueillant ce matin dans votre communauté le naufragé de la Madeleine. L’hospitalité est un thème profondément biblique depuis la philoxénie d’Abraham au chêne de Mambré jusqu’à l’auberge d’Emmaüs, en passant par Bethléem en période de recensement. Faire œuvre d’hospitalité, on le sait, mais il est bon de se le redire, c’est accueillir l’autre, apprendre à le connaître, se laisser surprendre par lui, se mettre à son écoute avant de parler. Ce n’est donc pas lui imposer nos coutumes et nos croyances même si parfois certaines méthodes d’évangélisation ont pu le faire penser. Bien sûr, il peut y avoir urgence à faire échapper l’autre du danger qu’il encoure. Mais Jésus n’a pas dit : « Je vous ferai secouristes ». Bien sûr, le Christ ne veut ni que Paul ni que l’humanité entière risque de s’engloutir, se noyer. Lui-même, Impressionné par tous ceux qui ont du mal à s’en sortir, le Christ nous envoie, pour que nous soyons son regard, sa compassion, la main qu’il tend. « Ils imposeront la main aux malades. » avons-nous entendu dans l’évangile de Marc à propos de la mission confiée aux apôtres. Derrière ce raccourci de l’évangéliste, il y a, sous- entendu, tout un travail d’apprivoisement qui dépasse l’urgence, il y a le comportement qui relève de l’hospitalité. De l’urgence on est invité à passer au long séjour. Sortir de l’eau, c’est l’urgence assurée par les pompiers. Le Christ ne veut pas faire de nous des pompiers. Le pompier est sauveteur. Le Christ est plus qu’un sauveteur. Il est le Sauveur. Il veut nous entraîner sur son chemin de salut. Il nous ouvre un avenir. En se manifestant à ses onze apôtres, avant de monter au ciel, le Christ confie à ces hommes l’avenir de sa parole, il pense sans doute à ce grand rassemblement de l’humanité qu’il est venu inaugurer. Cette minuscule portion d’humanité déjà fragilisée par l’abandon de l’un de ses membres, est appelée malgré tout à être le symbole tout à la fois d’universalité et d’unité à construire. Ce passage d’évangile prend bien sûr une signification particulière dans le cadre de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Une unité qui est beaucoup plus qu’une question de bonne entente ou d’image médiatique, nos divisions faisant mauvais effet. Non, saint Paul, avant son naufrage, le disait à ses communautés et le redit aux nôtres : déchirer l’Eglise, c’est diviser le Christ. Une Eglise divisée n’est plus l’image, l’icône de la communion trinitaire : elle contredit le Dieu qu’elle prétend annoncer. Une Eglise divisée ne répond plus à sa vocation d’être le signe, la préfiguration de ce monde réconcilié qui est le projet de Dieu. Cet Evangile en faisant mention des onze nous fait souvenir un point important qui caractérise ce groupe d’hommes: ils sont deux fois deux frères : Pierre et André, Jacques et Jean. Rien d’étonnant en cela, si l’Eglise qu’ils ont à construire est d’abord une communauté fraternelle. « Les frères », c’est un des premiers noms que se sont donnés les chrétiens. Or nous le constatons tous les jours, cette fraternité, cette unité, ne vont pas de soi. Et cela dès l’origine : « Moi je suis pour Paul, moi j’appartiens à Céphas. Et moi, je suis à Apollos » disaient déjà comme nous, les Corinthiens. Paul s’en scandalise. Quelques que soient les tensions, les divisions, entre confessions chrétiennes, les courants internes au sein de chacune d’elles, ou entre les membres d’une même communauté, anciennes ou actuelles, l’unité ne peut venir que de notre conversion, elle ne peut être qu’un don du Saint-Esprit à quémander dans la prière. Bien sûr, il faut prendre le temps de se parler, de s’expliquer. C’est ce que nous faisons avec bonheur dans notre groupe de réflexion mis en place cette année autour du livre de Daniel Marguerat. Pour autant ne soyons pas naïfs, l’unité ne jaillira pas seulement de ces temps de réflexion et d’hospitalité ni même à plus grande échelle de nos colloques universitaires. Et d’ailleurs, il ne s’agit pas de revenir à une sorte d’unité intellectuelle originelle, comme un paradis perdu. En ce sens, encore une fois, n’idéalisons pas trop les premières communautés : les disciples de Jésus se disputaient déjà pour savoir qui était le premier. Le péché de l’Eglise, notamment chez les catholiques, a toujours été les problèmes ecclésiastiques. On pense aux fils de Zébédée. Deux portefeuilles ministériels auraient bien fait leur affaire : siéger à la droite et à la gauche du maître.
En vingt siècles la poignée de disciples de Jésus est devenue une société qui a cherché à se mettre au service de la liberté de chacun et de la communion entre tous. Mais aussi, avouons-le, avec le risque, comme dans toute société humaine, de tensions, de rivalités et d’abus de pouvoir. D’où dès les premières générations chrétiennes, l’insistance des évangélistes sur la recommandation de Jésus : « Les chefs des nations commandent en maîtres et les grands font sentir leur pouvoir : parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. »
A toutes les époques les chrétiens ont été confrontés à cette même question : comment convertir l’autorité en service sans que le service ne serve à déguiser des appétits de pouvoir ? Pendant des siècles, en Occident, les autorités de l’Eglise sont malheureusement trop souvent apparues comme l’un des pouvoirs de ce monde.
Alors ne rêvons pas de revenir à la Galilée des origines, comme s’il fallait abolir les richesses de nos traditions respectives. Finalement, notre unité ne peut venir que de notre mission : aller ensemble vers la Galilée d’aujourd’hui, notre monde, tel qu’il est, à la fois riche de tant de créativité, d’enthousiasmes, de solidarités que n’arrêtent pas les frontières et à la fois pauvre de blessés de tant de violences, de haines, d’incompréhension.
Puisse-t-il y avoir toujours des protestants pour rappeler aux catholiques le sens exigent de leur dénomination et s’élever dès qu’ils donnent à ce titre de « catholique » un sens trop étroit, parfois à la limite du sectaire, dans une sorte de fierté pharisienne de n’être pas comme les autres. Qu’ils aident leurs frères à être catholique, au sens originel, au sens du Credo, c’est- à – dire à être universels, à devenir ouverts à tous leurs frères chrétiens et à tous les hommes, tous ces compagnons d’humanité, avec lesquels l’ensemble des baptisés ont pour mission de faire advenir dans cette Galilée aux diversités surprenantes, ce royaume de frères inauguré en Jésus-Christ, le Fils unique de notre unique Père.
« Allez par le monde entier, proclamez l’Evangile à toutes les créatures. »
Tous, en effet, nous sommes envoyés car tous nous sommes membres du Peuple de Dieu. Tous nous sommes appelés par le baptême et la confirmation, à devenir ensemble cette Eglise qui est le Corps du Christ et le temple de l’Esprit. En référence au thème de l’hospitalité, vous remarquerez que celui qui accueille et celui qui est accueilli porte le même nom. Il est l’hôte. Tous accueillants, tous accueillis. Il n’y a pas dans l’Eglise des chefs et des troupes, ni des pères et des enfants, ni des fournisseurs et des clients, ni des maîtres et des disciples, ni des responsables et des irresponsables, même si les responsabilités ne sont pas interchangeables. Il n’y a que des enfants du Père, des disciples du Christ, qui ont pour seul et même maître le Saint Esprit.
Puissions-nous, à propos des communautés chrétiennes que sont nos paroisses, parler d’une communion de communautés. Elles n’ont de cesse en effet de tisser de multiples services et responsabilités. Il faut de tout pour faire une Eglise. Si nous parcourions simplement nos annuaires paroissiaux, nous serions étonnés par le nombre et la diversité de ceux et de celles qui se mettent ainsi au service de tous. Tous donnés par le Christ à son Eglise !
Quelle invitation à l’action de grâce ! Sachons à notre tour prendre le temps de mieux découvrir toutes les facettes de la vie de nos communautés et ceux qui s’y investissent. Seule l’action de grâce que chacun de nous célèbre selon la richesse de sa tradition, peut unifier tout cet ensemble visible et invisible de services rendus au grand jour ou dans le secret.
Le Christ a récapitulé toute sa vie dans l’action de grâce, Paul a rendu grâce à chaque occasion de son existence. En Eglise rendons grâce.
Ensemble, en ce dimanche de l’Unité, invoquons sur nous tous la force de l’Esprit, qui seul peut convertir en charité fraternelle nos petites ambitions et nos grandes susceptibilités.
L’Esprit qui nous fait réaliser que nous sommes tous responsables de la vie et de la mission. L’Esprit qui inspire les différents pasteurs de nos communautés dont le ministère est de veiller à cette responsabilité de tous et à leurs nécessaires articulations. L’Esprit qui est la source de notre joie : celle d’être chrétiens pour les autres mais d’abord chrétiens avec les autres comme aurait dit saint Augustin.
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