Lecture Biblique : Jean 1,1-18
Prédication
Préparant la liturgie pour ce culte spécial, je reçois un mail qui me dit : C’est parfait. Juste une remarque : je n’aime pas beaucoup le terme « nouveau ». C’est vrai au fond, il n’est pas très heureux ce terme « Accueil des Nouveaux ». Parce que ce qui est nouveau n’apporte pas forcément un progrès à accueillir. L’idéologie dominante de la croissance infinie nous pousse à survaloriser ce mot dans une sorte de fuite en avant perpétuelle. Faut-il que le dernier-né prenne inévitablement la place de celui qui est encore là sans se sentir forcément périmé et obsolète ? Sommes-nous condamnés à vivre sous la peur du « grand remplacement » qui habite le monde de la technologie, les discours anxiogènes sur l’immigration, le monde des religions et qui affecte même les hommes politiques atteints par ce qu’on a appelé le « dégagisme » ? Faut-il forcément que les nouveaux chassent les anciens ? Bien sûr que non ! Et sur ce point, l’Église se doit d’essayer de faire autrement que le monde. Que je sache, l’arrivée du Nouveau Testament n’a pas rendu obsolète la lecture de l’Ancien Testament, n’en déplaisent à certains. Et si nous lisons le prologue de l’Évangile de Jean : Au commencement la Parole… C’est parce qu’il nous renvoie un écho de la Genèse : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre… Et quand l’Évangile de Jean affirme : La Parole avec Dieu ; Dieu, la parole. (…) Par elle tout est venu et sans elle rien n’a été de ce qui fut, nous avons tous dans l’oreille Dieu dit : Que la lumière soit. Et la lumière fut… Les deux poèmes, ancien et nouveau, consonnent, se parlent, s’échangent, se répondent, se nourrissent, s’enrichissent. Ici, personne ne prend la place de personne. Comme nous l’avons dit à Abdoul pour son baptême : si jamais tu venais à t’éloigner (à Dieu ne plaise !), ta place parmi nous sera toujours marquée, indélébile. Et pour faire une place à ceux qui arrivent, nul besoin de virer ceux qui sont déjà là. D’ailleurs, si j’en crois le nombre de places vacantes sur les bancs de notre temple, cette pathologie de l’exclusion ne devrait pas nous contaminer trop rapidement.
Mais si nous n’excluons personne, si l’arrivée d’un nouveau venu ou d’une nouvelle venue nous réchauffe le cœur, si nous avons voulu organiser ce culte spécial pour faire connaissance avec celles et ceux que Dieu nous donne comme frères et sœurs, c’est essentiellement et principalement par ce « Au commencement » qui nous fonde et qui nous structure. Nous ne parlons pas d’un début chronologique mais bien d’une fondation, d’une structure fondamentale qui dit notre identité profonde de chrétiens protestants réformés, ce que nous sommes en propre. Et c’est cela que j’aimerais partager avec vous ce matin. Vous qui venez nous rejoindre, nous vous devons la vérité.
Au commencement, la Parole… Rien d’autre. Voilà la Genèse. En 2 mots, le poème nous offre une remontée phénoménale jusqu’à l’origine des êtres et des choses, jusqu’à l’origine de notre existence. Rien que 2 mots et voilà ton être véritable qui se dévoile. Les hommes passent leur vie entière à se demander qui ils sont et d’où ils viennent. Leur absence d’origine les blesse à tout jamais. Alors ils s’inventent des filiations rafistolées ou mensongères à coup de GPA ou de PMA, de pureté de la nation, de concept de races. Toi, cela t’est donné dès le départ, en 2 petits mots : Au commencement, la Parole. Mais pas n’importe quelle parole : la poésie. C’est un poème qui ouvre la Bible et qui la ferme. La poésie ne décrit rien. Elle n’appartient pas au discours scientifique qui rationalise, qui analyse et qui décortique pour prouver. La poésie, elle, crée du symbolique. Elle offre un espace d’imaginaire et de beauté qui ensemence le monde. Quel est le crétin de créationniste qui a osé opposer notre poème des commencements avec le Big Bang et la théorie de l’évolution ? Il ferait mieux de se taire plutôt que d’user de son pouvoir de parole pour dire des âneries !
La Parole tournée vers Dieu. Dieu, la Parole. Elle est au commencement avec Dieu. Te rends-tu compte que le poème t’invite à entrer dans l’intimité de Dieu ? Avance doucement, humblement. Et fais, silence. Écoute Dieu parle ! S’il ne se parle pas à lui-même, peut-être est-ce à toi qu’il parle déjà, avant même que tu n’existes, comme une mère parle au bébé dans son ventre. Avant que je te forme dans le ventre de ta mère, déjà je te connais, avant que tu sortes des entrailles, déjà je te mets à part, dit Dieu à Jérémie (Jer 1,5). Toute parole que tu diras sera une réponse à cette parole première qui te fonde. Ne l’oublie jamais. C’est ce qu’il y a de plus beau en nous comme au moment où nous guettons le premier mot d’un enfant. Dieu était la Parole, dit le Poème. Maintenant, elle est en nous.
Et quel pouvoir ! Quelle puissance incroyable ! Par elle, tout est venu et sans elle rien n’a été de ce qui fut. Un pouvoir de création donc. Donner vie à ce qui n’en a pas. Par la Parole et non par la force virile ou la pulsion charnelle. Contrairement à ce que croient les mâles dominants, la testostérone ne crée rien d’autre que des pulsions. Par elle, les hommes ont inventé le pouvoir par la domination et la subordination. La Parole, elle, crée un pouvoir par la collaboration, l’écoute, l’échange et le partage. A ceux qui l’ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Abdoul, soit le bienvenu dans la famille des enfants de Dieu. C’est là ta juste place. A ceux qui l’ont reçue, elle a donné le pouvoir de pardonner qui seul peut dénouer un passé trop douloureux. A ceux qui l’ont reçue, elle a aussi donné le pouvoir de promettre et de s’engager qui seul peut ouvrir un avenir que nul ne peut prédire. Le pardon et la promesse sont des actes de parole qui créent un monde vivable basé sur la confiance.
Alors bien entendu, la parole donnée, quand elle renonce à la manipulation et à la domination, se risque à la possibilité du refus et du rejet : et la lumière brille à travers la nuit et la nuit ne l’a pas reçue. (…) Elle, la seule et vraie lumière, en venant au monde a éclairé chaque homme. Elle a été dans le monde le monde fait par elle et le monde ne l’a pas reconnue. Elle est venue chez elle et les siens ne l’ont pas reçue. Là se joue le drame de notre liberté. L’impossible possibilité de l’erreur et du malheur. Et pourtant, les protestants y tiennent plus que tout. En elle se fonde notre protestation constante pour la liberté de conscience. C’est elle qui fait dire à Luther devant Charles Quint et le légat du Pape : « Ma conscience est captive de la Parole de Dieu ; je ne peux ni ne veux me rétracter en rien, car il n’est ni sûr, ni honnête d’agir contre sa propre conscience. » C’est elle que Pierre Bayle défend contre la chasse faite à ceux de la Religion Prétendue Réformée par les troupes du Roi Soleil. Le philosophe protestant précurseur des Lumières, s’est réfugié aux Pays-Bas après la révocation de l’Édit de Nantes. De là il mène le combat des idées. Pour lui, la liberté de conscience doit être accordée à tous ou elle n’est pas. C’est la loi du tout ou rien : elle ne peut pas être réservés à ceux qui revendiquent être seuls détenteurs de la vérité, usant d’arguments circulaires du type : « J’ai raison donc vous avez tort » ou « J’ai la vraie religion donc vous êtes un hérétique. » Pour Bayle, orthodoxie et hérésie sur un pied d’égalité et il revendique pour chacun ce qu’il appelle les « droits de la conscience errante ». Même si vous pensez que je me trompe, dit-il aux catholiques, vous n’avez aucun droit de contraindre ma conscience.
En elle, la vie. La vie, lumière des hommes et la lumière brille dans la nuit, la nuit ne l’a pas reçue.
Tu n’imagines pas le pouvoir de cette Parole qui t’es donnée aujourd’hui, dit le Poème de Dieu. Un pouvoir de vie. Mais aussi un pouvoir de mort. Parce qu’il y a des mots qui font vivre. Mais il y a aussi des mots qui tuent. Telle une arme redoutable de vie ou de mort. N’oublie jamais que ta parole est réponse à ce Dieu qui te parle depuis bien avant ta naissance. Alors, ta parole deviendra une arme de vie, réponse d’amour à une parole d’amour. N’oublie jamais non plus que tout ce qui a vie est né de la Parole de Dieu. Ce qui signifie que ta vie entière dépend de Dieu. Vouloir sortir de sa main, se déclarer athée ou agnostique et rejeter cette parole première, c’est vouloir quitter ce qui te donne vie, c’est vouloir mourir. Mais n’oublie jamais non plus que tout ce qui est vivant (le végétal autant que l’animal) est aussi, comme toi, dans la main de Dieu. Ce poème est un immense hymne à la Vie. Oh que j’aimerais que ta vie durant tu saches reconnaître la parole de Dieu derrière chaque visage que tu rencontreras sur ta route, même les plus insignifiants, même ceux que tous rejettent, même les plus monstrueux, même les plus indignes. Il n’y a pas de vie indigne, dit le Poème. Et c’est une Parole de Dieu. Jésus la fera retentir très fort quand il affirmera : Moi je viens pour qu’on vive, que tous aient la vie en abondance (Jean 10,10). Alors peut-être que les difficultés traversées te feront dire que ta vie n’est pas aussi belle que ce que peut laisser espérer ce poème. Peut-être qu’à l’inverse, tu te dis alors que toute vie est sacrée ? Et alors tu te poseras des questions insolubles quant à l’IVG ou le suicide ? C’est pourquoi le Poème va plus loin quand il affirme cette parole très juste : la vie que tu as reçue de la Parole de Dieu n’est pas en toi de manière indéfectible. Nous ne sommes pas immortel parce que cette vie nous la recevons de l’extérieur comme la lumière nécessaire, indispensable au maintien de la vie. Déjà le Psaume 36, 10, un autre poème, le disait : Auprès de toi est la source de vie. Dans ta lumière nous voyons la lumière. Alors voilà la vérité : ne pas recevoir la lumière, c’est se cacher de Dieu. Et se cacher de Dieu, c’est vouloir mourir.
Alors, parce que Dieu ne peut accepter la mort de ceux qu’il aime, il fallait un témoin. Parce que son projet, pour toi, pour moi, comme pour chacun d’entre nous, c’est que nous ayons TOUS la vie en abondance. Il y eut un homme envoyé de Dieu nommé Jean. En tant que témoin il est venu témoigner de la lumière afin que tous, par son intermédiaire, aient foi. Il n’était pas la lumière mais il s’en portait témoin.
Jean-Claude, Frédéric, Pascale, Jeanine, Mireille, Clotaire, Sylvestre, Liliane, Martine, Jean, Antoine… je ne peux pas tous les nommer : à vous de faire leur connaissance. Mais ce sont ici autant de témoins que Dieu met sur votre route pour que jamais ne soit cachée l’évidence de sa lumière. Telle est la vocation des anciens qui vous accueillent ici aujourd’hui : chacun de nous essaye, à sa modeste mesure, d’être témoins de la lumière. Lui qui vient après moi est plus grand que moi car il était avant. Nous voulons lui rendre témoignage parce que nous savons d’expérience que la Parole n’a d’autre force que la Parole. Elle porte en elle une puissance de vie sans pareille, et en même temps elle reste d’une fragilité sans pareille. Il n’y aura jamais aucune évidence, aucune preuve, aucun savoir, aucune certitude : juste une Parole à laquelle il faudra faire confiance. Avec toujours le risque de se tromper. Mais aussi avec une promesse : cette Parole qui a pris chair parmi nous, qui a planté sa tente pour que nous puissions contempler son éclat. Éclat du fils unique du Père plein de tendresse et de fidélité. De sa plénitude nous avons tous reçu, tendresse sur tendresse. Voilà la promesse que nous pouvons vous faire ce matin. Des anciens vers les nouveaux et réciproquement. Que la tendresse de Dieu vous inonde. Là est le véritable commencement de notre vie. Amen.
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